Doully, 1001 vies et jamais ne s’arrête

Doully, reine de l’humour trash – qui sillonne la France avec son spectacle Hier j’arrête – s’est laissée allée à une interview portrait pour Manifesto XXI. On a parlé monde de la nuit, drogue, upcycling et stand-up.

Sur France Inter elle ouvre chacune de ses chroniques par un joyeux « Salut les petits culs ! » parce qu’elle trouve ça assez amical et qu’elle a du mal à appeler les gens par leur prénom quand elle les aime bien. Quand je rejoins l’humoriste Doully dans un café à Saint-Paul, elle plante ses grands yeux bleus dans les miens, et avec sa voix qu’elle qualifie elle-même de « voix de clochard·e bourré·e » me demande « ça va ma belle ? ». L’endroit, c’est son repère lorsqu’elle est à Paris et qu’elle a deux minutes pour se poser, autant dire très rarement. L’humoriste débarque du tournage de l’émission Groland qu’elle présente sur Canal+ depuis presque trois ans. Elle porte un merveilleux manteau, digne d’une méchante dans les dessins animés. Le genre marron foncé avec de la fourrure sur le col. Doully en quelques mots, c’est de l’humour trash à se faire pipi dans la culotte. Son crédo, c’est beaucoup son ancienne vie de toxico. Moi qui ai bien roulé ma bosse dans la teuf, je trouve cette femme inspirante. C’est très dur de parler de ses addictions sans être stigmatisé·e·s et encore plus dur d’en sortir pour construire une carrière dans un milieu de requin comme celui du stand-up. Dans ses chroniques, elle parle aussi de celleux qui ont la bonne idée de commencer la drogue à 40 ans, de sa voix si particulière ou de la honte qui ne tue personne (surtout quand on est pété·e·s). Son premier spectacle, elle l’a joué en 2017, il s’appelait L’addiction c’est moi et depuis elle est passée par Europe 1 avant d’atterrir sur Inter. En ce moment, elle est en tournée dans toute la France et après m’être poilée pendant près d’une heure et demie, je ne peux que vous conseiller de filer voir son spectacle qui s’appelle Hier j’arrête

Hyperactivité et racines de gingembre

Doully grandit à Paris et du plus loin qu’elle se souvienne, elle a toujours fait du théâtre. « J’étais dans une école un peu parallèle depuis mes quatre ans. On avait des cours normaux jusqu’à midi et après c’était théâtre tout le reste de la journée ! On était très libres, on n’avait pas de devoirs. J’ai tout de suite adoré ça » raconte-t-elle. Doully a toujours eu envie de faire du stand-up, mais elle est passée par beaucoup d’étapes avant ça. D’ailleurs, Doully, est-ce que c’est son prénom de naissance ? Non, elle et ses parents ont décidé de le changer quand elle avait trois ans, parce que son premier prénom « ne collait pas à sa personnalité ».

Je ne me dis pas que je suis fatiguée. Il ne faut pas y penser. C’est quand tu te dis que tu es fatigué·e que tu l’es.

Doully

Sur scène, au bout de quelques minutes elle s’excuse auprès du premier rang de la salle pour la vue sur ses « racines de gingembre ». Les racines en question, c’est ses ieps : porter des chaussures lui fait mal car Doully est atteinte de la maladie de Charcot-Marie-Tooth, une maladie dégénérative qui entraîne une paralysie progressive des jambes et des mains. « C’est aussi pour ça que je tremble tout le temps ! Ça plus ma voix de clochard, ça donne toujours l’impression à tout le monde que je suis bourrée alors que je ne picole même pas ! » Même crevée par son handicap (et son rythme de vie effréné), Doully reste créative. « Depuis que j’ai parlé de ma maladie dans une interview à Konbini, beaucoup de gens m’écrivent et me demandent comment je fais pour supporter la fatigue. Premièrement, je crois que je suis un peu hyperactive et que ça m’aide à compenser. Deuxièmement, je ne me dis pas que je suis fatiguée. Il ne faut pas y penser. C’est quand tu te dis que tu es fatigué·e que tu l’es. » 

Une adulte de 14 ans

Sur scène et dans ses chroniques, elle raconte sa vie vraiment pas banale. À 14 ans, alors qu’elle est encore au lycée, Doully prend un appartement seule. « J’avais une vie d’adulte tout en allant en cours. J’arrivais de boîte de nuit, encore bourrée avec mes talons dans le sac et je demandais une feuille à droite, un stylo à gauche. » Elle me précise qu’elle avait trafiqué sa carte d’identité pour rentrer dans lesdits clubs à l’aide de petites gommettes et que ça faisait très vrai. La créativité chez Doully, ça ne date pas d’hier. C’est aussi à ce moment-là qu’elle goûte à la drogue pour la première fois. « Personne ne m’a jamais incitée, c’est moi qui suis allée la chercher ! » raconte-t-elle très sérieusement. Elle fait la fête, fume des pétards et prend de la coke. À la fin du lycée, elle commence à travailler dans le monde de la nuit où elle est responsable de bar, dame pipi, ou s’occupe du vestiaire. Doully est une bosseuse et elle a l’énergie de la débrouille. 

Aujourd’hui, tu me proposes de l’héro, je te réponds non parce que j’ai fait le tour de la question et que je trouve ça naze. Pour deux heures de kiff, une semaine de bad, non merci !

Doully

Un soir, un père et son fils, qui organisaient des soirées sur une péniche où elle travaille, passent chez elle, affolés. Ils sont recherchés par la police pour trafic de stup’ et ils ont pour projet de déménager à Marseille en urgence. « Je ne savais pas qu’ils étaient trafiquants, ils étaient juste passés pour boire un verre. Et ils ont fini par me laisser des plaquettes de shit et plein d’héroïne en me disant “tiens, fais-en ce que tu veux !” Et j’ai tout pris. » me raconte-t-elle, tout en buvant sa verveine à la paille. Sans me préciser de date, Doully me raconte qu’à cette époque, l’héroïne inondait Paris. Beaucoup de jeunes tombaient dedans et il était très facile de s’en procurer. « Au début, c’était juste pour accompagner mon pétard du soir, je la sniffais. Le jour où je n’en n’ai plus eu, je ne me suis pas inquiétée, mais j’ai découvert la sensation de manque physique. Si j’avais laissé passer dix jours, j’aurais été héroïnomane pendant deux mois de ma vie. Mais des copains sont passés à la maison, m’en ont laissé… Et c’était foutu. » En parallèle, elle continue à bosser dans le monde de la nuit. Elle s’était donné un an pour se droguer, puis arrêter l’héroïne. Et donc un an après, elle met fin à sa consommation à l’aide de médicaments « qui te cassent et te shootent ».

Guérison en Israël, renaissance à Barcelone

Mais Doully reprend trop tôt le boulot dans un monde de la nuit, où on est toujours tenté·e de se foutre un truc dans le nez. Un coup dur, un copain qui passe et elle retombe dans l’héroïne. « Je n’ai pas tout arrêté en même temps, je ne prenais juste pas d’héro. Parce que sinon, l’alcool, la coke et tous ces trucs-là, je n’ai jamais vraiment eu de problème [comparé à l’heroïne]. Aujourd’hui, tu m’en proposes, je te réponds non parce que j’ai fait le tour de la question et que je trouve ça naze. Pour deux heures de kiff, une semaine de bad, non merci ! » Au bout de quatre années d’allers-retours avec la substance opiacée, Doully se trouve dans un état vraiment inquiétant. « J’allais crever. J’ai fait trois arrêts cardiaques. À la fin, j’étais presque morte. » Elle trouve un médecin qui réside en Israël et qui a une méthode de sevrage spéciale: il peut sauver quelqu’un de l’héroïne en 24 heures, d’après ses dires. Sur sa page Wikipédia, on peut lire que Doully est partie en Israël pendant un an, mais c’est faux. Elle n’y est allée que pour quelques jours. En rentrant, elle se fait tatouer le nom de ce médecin dans le dos. « Il m’a sauvé la vie » me dit-elle en souriant. Elle rentre à Paris, reprend le bar pendant à peu près un an. Mais trop de coke, trop d’alcool. L’arrêt d’un produit entraîne la compulsivité des autres. Un jour, elle en a vraiment ras-le-bol. Pour faire peau neuve, elle décide d’aller vivre toute seule en Italie loin de ses addictions. « Mais à ce moment-là des potes me disent : ”mais non t’es con, on part louer une baraque à Barcelone à trois, viens avec nous ! » Elle rit : « Bien évidemment, Barcelone n’était pas la meilleure destination pour décrocher. J’habitais avec trois DJ, on faisait soirées sur soirées. Mais je me suis dit que c’était encore mieux d’être dans l’antre de l’Enfer et de se confronter à ses démons pour les vaincre pour de bon ! » Et c’est ce qu’elle fait.

En Catalogne, fini le bar. Elle lance sa marque de fringues qui s’appelle Doully M. Elle m’explique qu’elle a toujours fait ses fringues depuis toute jeune, en mode Doully Yourself.

 « Je faisais des sacs en tissu que je brodais. Je faisais aussi des porte-monnaies, des sacs en cuir où je m’arrachais la moitié des doigts parce que je n’avais pas le matos pour travailler le cuir ! » Quand elle se lasse de faire des sapes, elle devient prof de français dans une académie de langue où elle enseigne à des enfants qui ont entre 9 et 16 ans. « J’adorais ça ! Tous mes cours étaient sous forme de jeux ! » Pour elle, on apprend qu’en s’amusant. « Par contre, j’étais bien emmerdée quand on me posait des questions sur les histoires de COD, de pourquoi on dit “qui” ou “que”. À chaque fois, je leur disais que c’était une question très pertinente, mais que ce n’était pas le sujet du cours d’aujourd’hui. Après la classe, je téléphonais à des ami·e·s pour avoir la réponse et je la leur donnais le lendemain. Ça passait ! »

J’aime les musiques des pays qui en ont chié parce que t’as tout dedans. Les gens qui écrivent de la musique dans des contextes difficiles le font pour sortir de cette difficulté et mettre de la joie dans leur vie de merde.

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Doully
Maintenant ou jamais

Mais l’idée de faire du stand-up, elle, ne passe pas. « J’ai toujours voulu faire ce métier. Je ne m’étais jamais lancée parce qu’il y avait trop de drogue dans ma vie. Pour moi, ce n’était même pas envisageable. » À Barcelone, elle commence à faire des petites vidéos sur YouTube qui prennent, mais sans plus. C’est en envoyant un SMS à Yacine Belhousse qu’elle débarque sur scène à ses soirées “Première fois” qui accueillent un public rôdé aux humoristes débutant·e·s. « C’est un des premiers à qui j’ai parlé dans ce métier et il pensait que j’étais déchirée quand je suis venue le voir. Je me suis dit que c’était l’un des rares métiers où tu pouvais venir voir ton ou ta futur·e boss, qu’iel pense que t’es déchirée, et qu’on te prenne quand même à l’essai » me raconte-t-elle en riant. Elle fait des allers-retours entre Barcelone et Paris, mais se rend compte qu’elle est obligée d’être sur place pour que sa carrière se lance. Elle quitte l’homme avec qui elle partage sa vie depuis six ans « qui ne comprenait pas que s’il me donnait assez d’argent pour vivre et qu’il m’achetait ce que je voulais, je veuille quand même aller travailler » et revient à la capitale pour enfin vivre la vie dont elle avait toujours rêvé. « Je me suis dit, c’est maintenant ou jamais » raconte-t-elle. Ce modèle de féminité ne lui convient pas. Et quand je lui demande s’il y en a un auquel elle s’identifie, elle me répond que non et qu’elle trouve ça très bien comme ça. 

La nuit, lors de ses insomnies à répétition, elle travaille, écoute des podcasts qui traitent de faits divers parce que ce sont les seuls qui l’aident à s’endormir, mais surtout, elle écoute de la musique, sa passion. « J’aime beaucoup le rap, les musiques des Balkans, les musiques orientales. Mais aussi les musiques israéliennes, yiddish. En fait, j’aime les musiques des pays qui en ont chié parce que t’as tout dedans. Les gens qui écrivent de la musique dans des contextes difficiles le font pour sortir de cette difficulté et mettre de la joie dans leur vie de merde. Tu peux les écouter quand tu es triste et quand tu es joyeux·se. » Doully peut être triste, joyeuse, mais elle est surtout stressée. Même si elle se produit sur scène depuis 2016 le trac est toujours là, « mais la peur n’évite pas le danger », c’est ce qu’elle se dit avant d’y aller. « Je suis tellement stressée que j’ai un problème de salive ! Du coup, j’ai trouvé une technique : je coince une pastille Fisherman dans ma joue et si je suis en galère de bave, je croque dedans. »

Doully a fait une force de ce qui lui a gâché la vie, et sa nouvelle addiction c’est la scène. 

Après ses mille et une vies, je lui demande quelles sont les prochaines. « C’est tout ce qu’il se passe en ce moment, mais multiplié par dix ! J’ai bien des projets concrets, mais je ne te les dirai pas. Ça porte malheur » dit-elle l’air rieur. D’ici là, l’artiste se produit en tournée dans toute la France pour son spectacle Hier j’arrête, et on vous conseille vivement d’y aller pour une belle tranche de rigolade. 


Crédit photo : © Christine Coquilleau

Relecture et édition : Sarah Diep et Apolline Bazin

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