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La Fanzinothèque : documenter l’underground par le fanzine

La Fanzinothèque : documenter l’underground par le fanzine


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Le média culture bordelais Le Type lance sa revue bi-annuelle Akki, qui entend consigner les aventures des marges en Nouvelle-Aquitaine. Un bel objet au design sobre, entre la recherche et l’archive, dont on publie ici un article du n°1 « Contre-cultures » paru en décembre 2020.

À l’heure du règne sans partage des « contenus » et de leurs flux ininterrompus sur les plateformes et réseaux, il peut être difficile d’imaginer, pour toute une génération, la façon dont circulait l’information culturelle avant l’avènement du web. Par sa liberté, à la fois sur le fond et la forme, le fanzine a incarné dans les années 1970, 1980 – voire encore jusqu’à aujourd’hui parfois – le visage de cette presse alternative. Documentant les marges artistiques partout où elles se manifestaient, il constitue un révélateur de la vitalité de certains courants underground. Le fanzine apparaît dès lors comme un objet idéal en vue d’appréhender l’activisme contre-culturel de ces quarante dernières années, notamment en Nouvelle-Aquitaine. Qui plus est dans la mesure où c’est à Poitiers, dans le département de la Vienne, que se déploie la Fanzinothèque, la plus grosse collection de fanzines dans le monde. Loin d’être le fruit du hasard, cette localisation témoigne du dynamisme historique et contemporain des courants culturels alternatifs dans la région.

On est pas des sauvages N°8 © DR

« Le fanzine, c’est un média de liberté totale. » Attablé au restaurant du Confort moderne (lieu culturel archipel poitevin regroupant entre autres des salles de concerts, d’expositions ainsi que la Fanzinothèque), Guillaume Gwardeath esquisse une définition d’un objet difficilement saisissable par nature. « Il n’y a pas de cahier des charges du fanzine. Il y a quelques indicateurs, notamment le fait qu’il s’agisse d’une publication amateur, à faible tirage et qui va documenter des centres d’intérêt de marge » poursuit le directeur de l’association en charge de l’archivage et de la valorisation d’une multitude de fanzines. Mot-valise né de la contraction de « fan » et « magazine », cette forme de micro-édition place aussi la passion de ses auteurs et lecteurs au cœur de son ADN.

Média des marges

Nés dans la première moitié du XXe siècle outre-Atlantique, c’est dans les années 1970 que les fanzines font leur apparition en France. S’inscrivant dans l’héritage de mouvements apparus dans les années 1960 (hippie, féminisme, écologie, etc.), ils deviennent rapidement le réceptacle médiatique de nouvelles formes artistiques alternatives émergentes. « Le fanzine est un organe contre-culturel dans la mesure où les thèmes documentés sont issus de pratiques culturelles underground, à la marge. À l’image du mouvement punk à la fin des années 1970 et ses nouvelles vagues dans les années 1980. Il s’agit d’un courant musical important, qui n’est pourtant pas traité dans les médias de l’époque » raconte Guillaume Gwardeath.

À l’heure où l’internet n’est encore qu’une utopie, le fanzine permet alors de lire des interviews d’artistes, d’activistes, de dénicher des adresses de ventes de disques ou d’autres lieux où se rendre dans certaines villes. Parallèlement, « les groupes achètent les fanzines ; c’est devenu un des médias principaux pour diffuser ces cultures-là ». Au-delà du punk, on retrouve une diversité de courants et de pratiques référencés dans une pluralité de fanzines : B.D, illustrations, littérature, S.F, cinéma de genre, photographie, poésie, pratiques urbaines, skateboard, BMX, tatouage… Si la plupart sont devenues parfaitement acceptables au sein de la société actuelle, d’aucunes de ces pratiques ont pu être considérées comme « underground » ou subversives quelques années en arrière.

Le Confort moderne à Poitiers, haut lieu des contre-cultures locales © DR
Sud Ouest underground

Dans le Sud Ouest, les fanzines se sont multipliés. « Ça s’explique ! Les fanzines documentent des pratiques underground et alternatives. Ces pratiques ont eu lieu dans des zones géographiques où les populations artistiques, étudiantes – donc plutôt jeunes – sont dans le désir d’expérimenter des choses. Bordeaux par exemple a eu de nombreux groupes novateurs ; les fanzines sont allés à la rencontre de ces groupes. C’est la même chose pour Angoulême avec le festival de la bande dessinée. Ce qui a pu donner des fanzines emblématiques comme Hello Happy Taxpayers à Bordeaux ou Ego comme X à Angoulême » explique le directeur de la Fanzinothèque.

Cette vitalité artistique des marges se retrouve également dans d’autres villes de la région, à l’instar de Pau et son fanzine On est pas des sauvages, titre ultra spécialisé qui assume le fait d’« habiter en province. Là où la frustration et le rêve prennent une dimension inégalable » comme l’indique Patrick Scarzello dans son édito du n°13 paru en 1982. À Limoges, c’est Guérilla urbaine, qui relaie les informations sur le groupe de punk Attentat sonore. En 1984, à Poitiers, David Dufresne (aujourd’hui connu pour son travail journalistique lié aux violences policières) fonde de son côté Tant qu’il y aura du rock. TQADR prône le rock comme mode de vie et parle de garage-bands américains, de punk et autres musiques psychédéliques des années 1960. À Bordeaux, en plus d’Hello Happy Taxpayers, on en compte un certain nombre : Psychotic Reaction, Abus dangereux, Inside Mind, Rock Ballad

Hello Happy Taxpayers N°10 (1993) © DR
Avènement du web : déclin du fanzine ou évolution ?

Le déclin du fanzine dans la forme qu’on lui connaît apparaît à partir des années 1990. « C’est surtout l’effondrement des fanzines de nature informative » note Guillaume Gwardeath. En effet, pourquoi continuer à faire de « l’actu » sur un support papier quand toutes ces informations se retrouvent en ligne ? « Tout n’a pas disparu, mais il y a eu une sacrée érosion. J’ai longtemps collaboré avec des fanzines musicaux, retrace Guillaume. Il s’agit souvent de décrire de la musique ; mais quel intérêt de décrire de la musique aujourd’hui alors qu’on peut l’écouter en deux secondes sur Bandcamp ? On peut raconter autre chose sur un fanzine. Mais les fanzines prescripteurs, informatifs, eux ont pris un sacré coup. » Sans même parler des plateformes d’écoute (streaming), l’avènement du web 2.0, des blogs et autres webzines, a porté un coup à ce format papier.

Pour autant, la facilité de production et d’accès à ces services (pour les auteurs mais aussi pour les lecteurs) a sans aucun doute contribué à l’évolution du fanzine. Car cette migration du papier au digital ne signe pas pour autant la mort de ce médium. « D’autres fanzines plus artistiques, riches en illustrations ou en graphisme se développent » mentionne le directeur du lieu collectionneur : les graphzines. « Certains sont perçus par leur éditeur comme des objets d’art. L’auto-édition fait office d’images multiples, d’œuvre d’art en petit tirage, parfois imprimée en sérigraphie… Certains graphzines peuvent coûter jusqu’à 200 euros. » Cette évolution de l’objet, la Fanzinothèque en est le témoin depuis 1989. Avec sa gigantesque collection, le lieu associatif basé à Poitiers permet de prendre la mesure de l’importance d’une telle culture.

Poitiers, foyer contre-culturel

C’est en 1989 que la Fanzinothèque voit le jour à Poitiers. Rattachée au Confort moderne, véritable institution locale fondée en 1977 par l’association L’Oreille est hardie, l’initiative est née – chose assez particulière pour être relevée – de la volonté du Conseil municipal des jeunes de l’époque. Initialement, le projet souhaitait être un lieu dédié à la presse de la jeunesse. Rapidement, « le projet a été recentré autour d’une collection de fanzines » raconte Guillaume Gwardeath. Mais pourquoi à Poitiers, précisément ? « C’est une ville qui a souvent été à l’avant-garde artistique. Il y a un terreau global d’une ville très cultivée. C’est lié à la sociologie de la ville, analyse Yann Chevallier, l’actuel directeur du Confort moderne. Ce qui est intéressant, c’est que Poitiers a pu être une place forte de la contre-culture en France bien que la ville n’a pas une culture de working class : elle n’a pas de passé industriel, il n’y a pas d’usine. »

Pour autant, c’est bien à Poitiers qu’en 1983 le public peut assister au premier concert européen du groupe Sonic Youth au Confort moderne. « La ville est très riche d’acteurs défricheurs, enchaîne celui qui dirige ce lieu depuis 2014. Il y a Radio Pulsar, radio associative depuis 1983. Francis Falceto qui a fondé le label Éthiopiques est aussi basé ici, Les Éditions du Lézard noir... » Le Confort moderne a été l’acteur et l’observateur de ces transformations. Avec pour vocation de diffuser « des cultures qui ne sont pas diffusées ailleurs ».

Le bar du Confort moderne, haut lieu des contre-cultures locales, à sa création (1987) © DR
La plus grande collection de fanzines au monde

Avec ses 60 000 références, la Fanzinothèque est la plus importante collection de fanzines au monde. Chaque mois, son association reçoit une centaine de nouveaux titres. « Pas uniquement des nouveautés, mais il y en a » précise Guillaume Gwardeath qui en est le directeur depuis 2019. Un fonds qui se renouvelle en permanence donc, favorisé par le fait que bon nombre de créateurs de fanzines font un envoi spontané à ce qui est devenu une sorte de référence voire d’institution pour ce média, même s’il « n’y a pas de dépôt légal obligatoire du fanzine comme c’est le cas dans l’édition plus classique. Mais dans l’esprit de leur créateurs et créatrices, c’est une forme de “validation” ». Une fois reçus, les fanzines sont indexés avant d’être numérisés.

Au-delà de ce travail très important de collection, l’équipe de la Fanzinothèque s’active également pour faire vivre cet objet. Notamment à travers des expositions thématiques ; des occasions rêvées pour ressortir de vieux fanzines, de les mettre en lien avec d’autres pour construire des histoires autour. La transgression, les road trips, les jeux vidéo, le vélo, Berlin… : autant de thèmes mis en avant lors d’expositions se déroulant régulièrement dans les murs du lieu. Ouverts au public, ces moments permettent de dépoussiérer l’image de certains vieux titres, et de ce média plus globalement. Et surtout de valoriser des pièces magnifiques qui, pour certaines, ont été tirées parfois à 25 exemplaires. Car si le fanzine peut avoir l’image d’une relique figée, certains concepteurs, par leur travail de mise en page, réinventent ses contours et son avenir.

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Terrain d’expérimentation pour les cultures alternatives de demain

Par ses diverses activités, la Fanzinothèque envisage très clairement son sujet d’étude comme un objet en évolution permanente. En témoigne son « Labo de recherches », pensé pour « produire des paroles, des pensées sur la pratique de la micro-édition d’hier et d’aujourd’hui ». C’est à travers cet organe que sont mis en place plusieurs rencontres, colloques, workshops, « au sein desquels des créateurs, illustrateurs, sociologues, historiens de l’art, philosophes, sont invités à partager leurs conceptions de ce qu’est un fanzine aujourd’hui ». Loin d’être un vestige d’un ancien temps, le fanzine se réinvente encore donc aujourd’hui, en permanence. Une vision largement partagée par l’actuelle équipe de la Fanzinothèque.

« On a une définition large et étendue de ce qu’est un fanzine ; on ne doit pas en avoir une image bornée, poussiéreuse. On ne dit pas ici c’était mieux avant en ressassant le passé, ça ne serait pas intéressant » revendique Guillaume. Qui indique préférer « se tourner vers l’avenir et la nouvelle création ». En effet, pour lui, « est fanzine ce qui se définit comme tel. Une publication dont l’auteur considère que c’est un fanzine, ça en est un. Et cette conception évolue au fil du temps ». Cette liberté d’appréciation permet indéniablement à cette culture de se régénérer, de s’ouvrir sur d’autres esthétiques et surtout d’être à l’écoute des formes de presse émergentes. Et des cultures alternatives de demain.


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Image à la Une : Le Confort moderne à Poitiers © DR

Article : Laurent Bigarella

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