Chercher à décrire Crystallmess en des termes arrêtés serait vain. Ce qui la caractérise, c’est bien la multiplicité puissante du monde contemporain, et la force d’une volonté qui semble inébranlable.
Christelle Oyiri écrit, mixe, produit, organise. Autant de médiums qu’elle s’est approprié avec rapidité pour créer et s’exprimer. Par le sensible ou bien par le théorique, elle imagine son propre paradigme et sa propre réalité. Elle revalorise la différence oubliée dans sa performance Collective Amnesia : in memory of logobi, entraîne le collectif sur ses sets fierce, transcende toutes les frontières en musique et lie le tout par une fraîcheur bienvenue. Conversation fleuve sur un parcours hyperactif, et proactif.
Manifesto XXI – Sur Instagram, ta bio c’est : « Dedicated to all those who suffer from sins never committed ». C’est ce qui relie tout ton travail ?
Crystallmess : Un petit peu. Je ne sais pas où j’ai trouvé cette phrase mais c’est très lié au trauma intergénérationnel, dont je parle beaucoup. Je commence direct sur un truc dark. (rires) J’aime bien l’idée de linéage, l’idée que tu portes en toi des choses que tu ne connais pas, parfois des malédictions, parfois des bénédictions.
Tu ne peux pas négliger les choses qui se sont passées pendant des siècles, ça s’est forcément inscrit quelque part, dans ton corps, et dans ta psyché.
Evidemment, il s’agit aussi pour moi de surmonter ça et de guérir.
Comment tu en es arrivée à penser ce traumatisme ?
Je pense par pas mal de choses. Déjà en m’observant moi-même et ma famille. Et puis aussi en découvrant certains auteurs comme Baldwin. Dans Go Tell it on the Mountain il pose la question « Est-ce qu’une malédiction peut traverser les âges ? Est-ce qu’elle dure dans le temps ou sévit-elle sur le moment ? » . La lecture de Frantz Fanon aussi a par-dessus tout mis en exergue les mécanismes psychologiques liés à la colonisation/esclavage sur lesquels je n’arrivais pas à mettre de mots. Pour moi, des phénomènes aussi importants ne s’effacent pas, ils sont transformatifs et mutent.
L’abolition ou la libération sont des actes qui ne s’inscrivent pas dans l’instantané du tout.
Ce n’est pas : on abolit un truc et les gens se régénèrent, se lèvent en Hommes libres. Ce n’est pas possible, tu dois te reconstruire. Après 400 ans tu as forcément besoin d’énormément de temps pour repartir sur d’autres bases. Quand tu as été mis dans un état de servilité, après tu dois te réapproprier ton individualité, ton humanité. C’est comme redémarrer. C’est quelque chose d’assez éprouvant mais passionnant aussi.
Tu as un activisme pluriel auprès de divers collectifs. Comment tu en es arrivée à passer par ceux-ci ?
Si tu regardes bien je ne fais pas vraiment partie de collectifs au sens strict. Après, j’ai toujours été intéressée par ces problématiques-là pour des raisons évidentes.
J’ai plus ou moins, à un moment donné précis de ma vie, trouvé ma tribu à travers des rencontres, dont une déterminante, avec une réalisatrice qui s’appelle Cecile Emeke qui a fait une série qui s’appelle Strolling, où elle m’a invitée, avec ma meilleure amie Gaëlle, à discuter de différents sujets. La démarche qu’elle avait, c’était de documenter toute la diaspora noire dans chaque pays. Elle a commencé en Angleterre, le pays dont elle est originaire, puis en Jamaïque, puis en France, en Italie, en Belgique. J’ai eu plusieurs retours, ça a bien marché. Les problématiques qu’on a évoquées, on y réfléchissait en binôme, il n’y avait pas vraiment de communauté IRL pour partager ça. Avant ça, ça se passait beaucoup en ligne, et après la mise en ligne de la vidéo on a rencontré beaucoup de gens qui aujourd’hui comptent pour moi. Je pense notamment à la critique cinéma Fanta Sylla qui est une de mes amies proches, ou encore à l’artiste Lafawndah que j’ai rencontrée par ce biais aussi. Et puis c’est aussi à ce moment-là qu’il y avait un engouement autour de la pensée féministe noire et française avec notamment Léonora Miano, Mwasi et même la formation du site/journal Atoubaa duquel je suis assez proche.
À la fin de cette année-là, moi qui suis principalement dans la musique, j’ai fait la découverte de NON WORLDWIDE. Plus qu’un label de musique, ils se présentaient aussi comme une organisation panafricaine et un état fictionnel pensé en dehors des frontières assignées. Tous les fondateurs venaient d’endroits et de milieux extrêmement différents. Ce qui m’a séduite c’est aussi que, d’une part, soniquement ils officiaient dans des lieux où les noirs étaient assez peu représentés, et d’autre part, le côté menaçant que cette potentialité laissait présager non seulement par les images fortes que créaient Chino mais aussi par le rêve. On allait aussi bien du screamo/noise à l’art de la performance à une musique club un peu dystopique et toujours surprenante. Il n’y avait pas que des personnes noires, tu avais aussi Elysia Crampton, qui est une musicienne transgenre aux origines péruviennes, qui travaillait autour des représentations queer du début du XXème en Amérique du Sud. Il y a aussi eu une publication NON QUARTERLY qui a été faite à laquelle j’ai activement participé. Nkisi (l’une des fondatrices) m’a prise sous son aile et m’a fait jouer quelques dates hors de France avec elle, et on s’est liées d’amitié.
Toutefois, le collectif s’est un peu délité, parce qu’il y a toujours des problèmes d’égo, et que la logistique des projets d’envergure doit toujours être coordonnée sur le terrain et non par mails. Je crois que j’ai été séduite par l’idée d’aller au-delà des frontières géographiques et des clivages musicaux de façon assez radicale.
J’ai découvert des gens avec qui je me suis liée d’amitié.
Ils m’ont énormément inspirée parce qu’on était à l’interstice de la critique et en même temps d’une forme musicale qui cherchait la confrontation, qui n’était pas forcément faite tout le temps pour danser, mais aussi pour questionner.
Tu dis que tu fais cavalier seul. Tu sens que le collectif ne peut pas marcher ?
Je ne suis pas réellement seule en vérité. C’est juste que je ne me greffe pas à un crew auquel on peut m’associer de façon indélébile. Tu peux peut-être m’associer dans un mouvement plus global, mais en France c’est beaucoup plus compliqué.
Je pense que le collectif peut marcher seulement si les membres du collectif s’inscrivent dans le quotidien des uns et des autres et communiquent beaucoup. Pour revenir à cette histoire de cavalier seul, il y a beaucoup de gens avec qui je m’entends très bien, mais à Paris (ou en France) de façon générale, il y a une forme de contradiction : l’idée de vouloir s’inscrire dans une communauté est quelque chose de mal vu – le communautarisme est presque un gros mot – mais faire partie d’un collectif est souvent un requis pour pouvoir exister dans la scène musicale électronique à Paris.
Par exemple, il y a beaucoup de femmes de couleur – et de femmes noires en particulier – qui officient dans la musique électronique à Paris. Je vois des collectifs comme Filles de Blédardes qui font bouger les choses mais je dois avouer que je vois encore peu de DJs ou de productrices de ces horizons-là.
Après je suis grande, et c’est vrai que la démarche de tribu c’est assez adolescent. Avant j’en souffrais mais je l’ai dépassé. Là je sors d’une Boiler Room que j’ai présentée, le collectif Casual Gabberz était là et je dois dire qu’ils font bien marrer, je connais certains membres depuis longtemps et j’aime beaucoup leur sens de l’auto-dérision.
Tu sens que ça manque l’auto-dérision dans ces mouvances ?
Je pense qu’il y a un rapport à l’humour et la dérision qui n’est pas forcément présent. C’est un point de vue que je partage avec mon ami l’artiste Ndayé Kouagou. Avec ce dernier, nous avons participé à une exposition commune appelée Different Alibis pensée et baptisée comme ça par Tarek Lakhrissi. Harilay Rabenjamina faisait aussi partie de l’exposition et a présenté une pièce intitulée « TGK » qui met en scène un groupe de R&B qui traverse une séparation. C’était la première fois que je voyais cette performance et honnêtement Harilay a apporté beaucoup d’humour et de poésie à l’exposition. Bref, quelque part j’ai trouvé ma tribu créative et amicale dans l’artistique au sens large plutôt que dans le milieu de la musique simplement. Pour moi c’est plus fragmenté, mais parce que j’ai un parcours plus fragmenté.
Ce parcours fragmenté, comment il s’est construit ?
Je suis passée par plein de chemins différents pour toujours avoir le même fil conducteur au final : la musique. Petite et puis adolescente, j’avais des carnets, des blogs toujours centrés sur la musique et la poésie. Je me souviens que ma cousine était dans un groupe de R&B et avait bossé quelques mois chez Générations au tout début, j’étais complètement admirative. J’ai commencé en écrivant puis je suis devenue DJ un peu comme une étape logique avec l’encouragement de personnes comme Anastasia Filipovna de feu Berlin Community Radio.
Pour la musique c’est simple : il y a des choses que tu as envie d’écouter, et il n’y a que toi qui peut les faire. Tu ne peux pas toujours attendre des autres, surtout quand tu as une envie de proposer.
C’est quelque chose que j’ai eu du mal à comprendre, c’était une étape plus fastidieuse pour moi. J’avais l’image du musicien qui a commencé depuis qu’il a trois ans. Et bien que la musique était omniprésente chez moi, j’avais dû mal à ne pas voir ça comme quelque chose d’hors d’atteinte. J’étais aussi entourée de personnes qui avaient pas mal de matos – et ce n’était pas mon cas et je me disais en conséquence que je ne ferai sans doute rien de bien. La vérité c’est que toutes les musiques que j’aime le plus sont faites très simplement, de manière presque rudimentaire, et aujourd’hui tout le monde peut le faire avec des logiciels, des iPads, des petits claviers. Je me suis rendu compte qu’avec une force de proposition, avec une inspiration et du matériel pas trop cher tu peux aussi réaliser ce que tu as envie de réaliser.
Plus tard, dans mon apprentissage de la musique, j’ai découvert le travail de Rebekah Farrugia, professeure en communication et critical studies à l’université d’Oakland en lisant son livre Beyond the dancefloor : Female DJs, Technology and Electronic Dance Music, qui revient sur l’historique du rapport entre la femme et la machine, comment on a genré les tâches. Au début c’était plutôt les femmes qui écoutaient des vinyles, faisaient marcher le matériel électronique de la maison, les tournes disques et même les ordinateurs puisque les hommes travaillaient, et ensuite ça s’est un peu inversé. Dans ce livre, elle dissèque aussi les scènes underground locales en parlant avec des productrices et/ou des DJ’s qui sont des femmes. Ça m’a vraiment aidée à prendre conscience de plein de choses : de la nécessité du réseau, de l’entraide, d’un sexisme insidieux inscrit par exemple dans l’écriture de la contribution des femmes dans la musique électronique mais aussi dans la technologie en général. En lisant ce bouquin, je me suis dit :
« Il y a des choses qui ont été mises là pour penser que tu n’as pas les clefs, mais tu peux te former, tu peux avoir les armes au fur et à mesure à ton rythme ».
Respecter le processus c’est quelque chose qui paraît évident mais on vient d’une génération où on montre le résultat le plus vite possible, dans une accumulation infinie d’accomplissements évanescents. Je suis coupable de ça aussi sur les réseaux sociaux mais j’essaye de faire de mon mieux.
L’idée de montrer le processus, ça permet de créer de l’archive. Surtout dans ta position, qui est un peu celle d’une pionnière.
Pionnière ? (rires) C’est flatteur. Oui l’archive est très importante pour moi. D’ailleurs ma performance Collective Amnesia : in memory of logobi porte un peu cette idée. C’est un projet qui a pris naissance l’année dernière mais dont les prémices se sont déclarés bien avant. J’avais voulu écrire un article sur le logobi, qui est une danse qui vient de Côté d’Ivoire mais qui s’est retrouvée dans les banlieues françaises à la fin des années 2000. Je n’ai pas pu parce que j’ai recueilli très peu de témoignages donc je ne pouvais pas faire un truc à la hauteur de ce que je voulais. J’ai laissé le truc mûrir, voire même je l’ai abandonné. Puis un jour, je blaguais avec Krampf et il m’a dit « Tu devrais faire un pièce de théâtre ». J’ai essayé d’écrire, et je sentais que ça ne fonctionnait pas. Je sentais que je n’étais pas dramaturge, que c’est une science plus qu’un art et que je n’avais pas la prétention de le faire, ni les moyens matériels de mener un projet à bien comme ça. Ensuite la conférence Afrocyberféminismes s’est organisée à la Gaîté Lyrique en février 2018 et j’étais très touchée par l’initiative mais malheureusement ils ne m’ont pas appelée. Je me suis sentie mise un peu sur le côté sachant que je travaillais là-dessus. D’habitude je ne dis jamais rien, mais cette fois-ci je l’ai fait et ça a porté ses fruits. La curatrice m’a dit « J’organise un festival en Belgique, et j’ai besoin d’une note d‘intention de ta part d’ici dix jours pour un projet ». J’avais un mois pour le faire.
J’ai écrit, j’ai compris que je voulais parler du logobi, et que de la même façon que mon parcours était hybride, cette hybridité allait aussi me donner la forme de cette performance. J’ai compris que j’avais des contraintes de temps, des contraintes matérielles. J’ai choisi d’y mêler la fiction. J’ai choisi d’incarner cette amnésie par un personnage qui justement perd la mémoire et la reconstitue par le biais de rencontres, par le biais de la sorcellerie, de la spiritualité africaine. Il valait mieux une trame fictionnelle beaucoup plus facile à jauger, communicative et poétique, qu’une forme documentaire qui allait me prendre beaucoup plus de temps à rassembler. J’ai compris que je voulais que le personnage fasse des voyages entre les archives de ce genre qui n’a jamais été documenté, qui n’est connu que par les noirs de France, et les gens de banlieue en générale.
Ce n’est pas un film que j’ai fait pour que les gens qui ne connaissaient pas connaissent, mais pour que les gens qui étaient issus de ces mouvements-là reconnaissent son existence, l’appuient et soient fiers. Parce que ce qui s’est passé quand j’ai voulu faire mon documentaire, c’est que les gens étaient très fortement au courant, ma demande de témoignage a beaucoup été relayée, mais les gens en dessous de mon tweet disaient « Mdr j’ai pas du tout envie d’en parler » parce qu’ils avaient honte. Parce que le logobi c’était une africanité explosive, c’était les gens qui dansaient à Gare du Nord, qui mettaient de la musique hyper forte. Beaucoup de Noirs de France y voyaient un inconvénient parce que ça allait à l’encontre de leur respectabilité, de leur idéologie qui est de bien se présenter à la face du public, de bien s’intégrer, de ne pas être visible, être neutre.
La neutralité c’est un truc très français, mais quand tu es noir tu vas faire quoi ? Tu ne peux pas t’effacer. J’ai beau faire comme je peux, je ne serai jamais neutre.
Eux ils étaient dans un relief tellement fort, dans l’idée de prendre de la place, de s’imposer par le corps et le son, ça m’a beaucoup intéressée.
Quand j’ai commencé à réfléchir à ce mouvement qui me parlait personnellement j’ai commencé à lire un livre de Steve Goodman qui s’appelle Sonic Warfare qui parle de comment le son porte en lui du politique, comment le son des pompiers ou de la police signifie quelque chose, est tonitruant. Ou comment le son du logobi atteignait les gens, était conçu comme quelque chose d’irrévérencieux pour les gens. Comment une personne africaine qui parle fort dans le métro ne sera pas la même chose qu’une personne espagnole qui parle fort dans le métro. Une guerre des sons quoi. Il y a des gens qui sont punis et des gens qui sont moins punis. Les gens acceptent que tu joues de l’accordéon dans le métro, mais si tu joues de la musique africaine diasporique, là c’est un problème parce que c’est de la musique de racailles.
Ce qui vient d’au-delà du périph’, c’est l’agression.
La honte des gens m’a aussi beaucoup intéressée. Cette honte je l’ai vue comme une amnésie. C’est Aimé Césaire qui disait qu’on refuse l’amnésie comme stratégie politique. Refuser soi-même son héritage c’est symptomatique du rejet de ce qui te construit. En France c’est problématique, parce que la contribution populaire de la musique des Noirs est assez négligée. Dans le sens où on oublie que nos parents ont écouté du zouk dans les années 80, ils écoutaient Kassav, de l’afro zouk au milieu des Rita Mitsouko. C’est un truc qui a été overlooked alors que paradoxalement en Angleterre la culture jamaïcaine est celle qui informe la culture anglaise : le grime, le garage, même le punk.
En France, on ne voit pas les couleurs.
Toujours cette neutralité qui fait qu’on n’a pas le droit de dire « contribution noire », c’est un gros mot.
D’ailleurs le peu qui a atteint la culture mainstream a été super vulgarisé et marginal.
Il y a eu vraiment une commercialisation très putassière du logobi, avec des groupes comme Logobi GT, qui étaient mignons mais qui étaient aussi instrumentalisés par des maisons de disque pour faire du profit. C’était quelque chose de complètement résiduel qui avait beaucoup lieu sur Internet. Les gens s’appelaient entre eux les cybers, ils avaient créé sur Skyblog un répertoire de tous les danseurs, qui s’appelait les infocybers. D’ailleurs après c’est devenu un insulte. Ce qui m’intéressait c’était l’aspect DIY, et l’aspect technologique aussi. Ils mettaient leurs sons sur Skyblog alors que personne ne faisait vraiment ça, il n’y avait pas Soundcloud. J’ai trouvé ça très intelligent, plein de ressources alors que c’est des gens qui n’avaient rien. Ils ont inventé leur propre petit cosmos. En France, la culture DIY ça a toujours été le punk, mais jamais vraiment associé à la culture immigrée ou d’enfants d’immigrés, et je trouvais ça curieux que personne n’en ait vraiment parlé.
L’afrofuturisme c’est lié à ces enjeux-là ?
L’afrofuturisme c’est un terme qui tente de retourner le stigma qu’on appose aux noirs : le fait d’être soi-disant en retard.
L’afrofuturisme ça brise ça, pas en disant « On va rattraper les européens », mais en formant des paradigmes qui sont nouveaux. On va les rattraper dans quoi ? Le réchauffement climatique ? N’essayons pas d’imiter des choses qui ne nous ont pas profité.
L’afrofuturisme c’est plein de choses : inspirer la révolution technologique en Afrique, créer une littérature de science-fiction qui remet les personnages noirs au centre de leur destin, de la création de leur futur. Mais par-dessus tout mettre en avant la nécessité de l’imagination dans une société qui l’oppresse.
D’autant plus que quand tu ne connais pas/mal ton passé, qu’il est marqué du sceau de l’infamie, c’est très difficile de projeter. L’afrofuturisme ça dit « c’est difficile de le faire mais il faut le faire quand même », et avec fierté. Ça peut se faire de façon esthétique, économique, technologique. À la conférence Afrocyberféminismes on a parlé de toute sorte de sujets, comme la génétique avec la cellule ELA qui a été à l’origine du médicament pour la sclérose en plaque, qui est la cellule d’une femme noire qui ne meurt jamais. Cette femme n’a pas été dédommagée, sa famille non plus, et les industries pharmaceutiques en ont profité. Il y avait aussi une start up qui travaille autour de la réalité virtuelle et a construit un monde fantasmagorique où ils ont créé des objets fictifs très drôles. Dans un esprit de fantasme et de rêve où on tourne les discriminations en trucs drôles, positifs.
Comment tu articules cet engagement avec ta pratique ?
Je me sens engagée par mon existence et ma représentation dans cette scène mais je ne sais pas si je peux tout à fait parler d’engagement si je n’aide pas les autres.
Ma seule façon de faire ça c’est de donner à voir une représentation à travers ma performance, ma musique, mes DJ sets. J’essaye simplement de toucher les gens, et de permettre aux gens qui ne trouvent pas de représentation de se sentir bien.
Ma pratique musicale en tant que productrice se sépare un peu de ça justement. C’est une façon pour moi de me laisser aller dans une spontanéité, une sensibilité moins influencée par les savoirs théoriques mais plus par mes expériences sensibles. Avec la musique j’essaye de créer une sorte d’îlot pour mon imagination. Après évidement tout se recoupe.
En tant que DJ, je joue partout, mais le public LGBT est celui qui m’a donné ma chance en premier. Je pense à la Coucou, Parkingstone, etc.. Il y a une connivence et c’est ma tribu mais je n’ai pas la prétention de me définir comme queer – car j’ai encore beaucoup à apprendre de ce terme et je ne souhaite pas invisibiliser les gens qui sont visibly queer et rencontrent des obstacles.
Il y a des outils créés par des personnes noires qui sont beaucoup utilisés par des personnes queer comme l’intersectionnalité qui a été créée par Kimberlé Crenshaw – donc pour moi il y a une forme de proximité existe avec ces communautés, de respect, et d’amour. De convergence des luttes.
Photos : Marie-Sarah Piron