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Cola Boyy : « Avec ma musique, je veux servir le peuple »

Cola Boyy : « Avec ma musique, je veux servir le peuple »

ColaBoyy - Manifesto21
Cola Boyy régale enfin de son premier long projet, Prosthetic Boombox, qui réunit un casting flamboyant. MGMT, The Avalanches, John Carroll Kirby, Lewis OfMan, Nicolas Godin (Air), Pierre Rousseau (Paradis), Myd, Bon Voyage Organisation et j’en passe… tous ont misé sur ce poulain et ont mis la patte à l’album. Et le résultat est probant : Cola Boyy offre un album jouissif et profondément généreux.

Venu tout droit d’Oxnard, ville de Californie, Cola Boyy a brûlé quelques étapes et n’a pas attendu de séduire son propre fief avant de poser ses valises en France, plus précisément à Paris, dans les locaux du label Record Makers, pointure pop-électro. Depuis sa jeunesse à arpenter la scène punk de sa ville jusqu’à ce premier album qui réunit d’innombrables grosses têtes de production, Matthew Urango de son vrai nom n’a fait qu’explorer ses possibilités. Prosthetic Boombox n’échappe pas à la règle. Plus axé funk et bien enflé de disco, le son de Cola Boyy vibre comme une aura indescriptible et bouillante, qui s’approprie et renouvelle tout ce qu’elle traverse. Se délectant d’un style dansant et bourré de mélodies groove, le vintage boy trimballe dans ces machines le secret d’une pop efficace. Mais avant d’être un artiste talentueux, Cola Boyy est aussi un personnage emprunt de compassion et d’humilité, d’un optimisme acharné et bien décidé à faire bouger les lignes bétonnées du capitalisme en faisant, par sa musique, passer un message d’union, de résilience et de révolte. 9 115 kilomètres de distance, 9 heures de décalage horaire, deux écrans interposés et un compte Skype (le mien) défectueux, n’ont pas empêché Matthew de nous délivrer une interview franche et sincère, qui questionne un système compétitif et oppressif.

Manifesto XXI – J’ai lu que tu avais commencé dans le punk, avant de sortir des compositions plus R’n’B et de finalement sortir un album qui penche plutôt vers le disco/funk. Tu peux nous raconter un peu ton parcours jusque-là ?

Cola Boyy : J’ai grandi en écoutant la musique de mes parents. C’était de la pop, un peu de reggae, de la musique des années 70, 80. Ensuite, quand j’étais adolescent, j’ai effectivement tout d’abord pris racine dans le punk. En allant à des concerts, en jouant dans des groupes au sein de la scène punk d’ici, à Oxnard. Et au début de ma vingtaine, j’ai commencé à jouer dans un groupe d’indie-pop. Puis j’ai commencé à m’étendre, non seulement à toutes les musiques que j’écoutais, mais surtout à la musique que je voulais tenter de créer. Et j’ai réalisé que je voulais faire plus que jouer dans les groupes des autres, je voulais faire mon propre truc. A partir de là, je me suis mis à apprendre la façon dont on enregistrait, comment écrire une chanson… Et je voulais faire de la musique disco, je ne sais pas pourquoi, c’est simplement que je voulais faire ça. J’étais à fond alors je me suis dis que j’allais essayer. Je ne savais absolument pas ce que je faisais, ni comment le faire. Mais je crois que dans le processus, j’ai finis par trouver mon son propre, ou mon style personnel. Et à travers les années, je n’ai fait que le re-définir. J’ai dû travailler avec des gens pour le faire parvenir au meilleur niveau.

Je dis toujours « une bonne chanson est une bonne chanson ». Peu importe le genre.

Cola Boyy

À ce moment où tu commençais à composer pour toi et pour essayer, tu étais conscient que tu allais sortir un EP puis un album ? Tu rêvais d’une carrière ou cela t’est tombé dessus ?

Je pense que j’avais l’intention de signer dans un label, de sortir des disques, et je sentais que j’en étais capable. Et j’étais là à mettre des sons sur mon SoundCloud quand j’ai fait la connaissance des gars de Record Makers. Et depuis, c’est devenu beaucoup plus réel. J’ai sorti mon premier EP en… en 2018 ? Je crois. Tout est flou. 2018 donc, et j’avais à peine terminé que nous repartions déjà pour travailler sur l’album. Donc depuis 2018, j’enregistrais, parfois à Paris, parfois à Los Angeles, parfois à New York et parfois à Oxnard, dans ma ville. Et oui, c’était un processus très conscient, on était là : « Ok. On fait l’album ». Mais j’avais déjà des chansons, pas mal d’entre elles sont vieilles. Certaines ont 6 ans. Certaines sont les premières chansons que j’ai écrites, les premières chansons de Cola Boyy.

Penses-tu avoir finalement trouvé ton « son propre » ? Ou continueras-tu, à l’avenir, à explorer comme tu l’as toujours fait ?

Je ne me restreins pas à un genre. Je dis toujours « une bonne chanson est une bonne chanson ». Peu importe le genre. Alors évidemment, le genre compte, mais ce que je veux dire, et ce que j’ai appris, c’est que j’ai mon propre son, quoi qu’il arrive. Peu importe le style, on peut quand même savoir que c’est moi. Et cet album est aussi un gros mélange de pleins de styles. Je pense que je vais continuer comme ça. Pour l’instant, je reste très ouvert à l’expérimentation de genres différents. Je ne veux pas m’enfermer dans un style.

Il y a un casting vraiment impressionnant sur ton album, et finalement, on sent que c’est un vrai travail de groupe. C’était important pour toi de t’entourer de monde pour ce projet ?

Oui. Je pense qu’il y a d’abord un aspect pratique, puis une dimension plus philosophique à ça. Le côté pratique, c’est que j’aime et que j’ai envie de travailler en équipe parce que je ne suis pas de ces gens qui disent « je fais tout moi-même, regarde moi ». Je sais que je ne peux pas jouer de la batterie ou jouer de la guitare aussi bien que certains autres. Je sais que je ne peux pas produire aussi bien que certains autres, et je ne laisse pas mon égo me priver de ces collaborations. Parce que les gens avec lesquels j’ai travaillé sur l’album, que ce soit mes amis, ou les artistes que je ne connaissais pas avant; tous ont amélioré mes chansons, les ont rendues meilleures, en ont tiré ce qu’il y avait de plus beau.

Et puis il y a le côté philosophique. On passe tellement de temps à être individualiste, en compétition les uns avec les autres, à être des menaces les uns pour les autres, c’est triste et c’est l’opposé de ce que je veux être. Ni dans la vie, ni dans la façon dont je travaille mes chansons. Je veux inclure les autres, c’est plus marrant et ça amène différentes perspectives, savoirs-faire, histoires et points de vue. Cela n’empêche pas que je reste au milieu du processus, comme un pilote ou quelque chose comme ça. Ou si je n’en suis pas le pilote, je donne le bâton de conducteur à un producteur ou un ami en lui disant « Vas y, gères ». Et ça, ça demande d’avoir confiance et c’est cool. C’est se laisser aller, et croire en quelqu’un d’autre pour cette chanson que tu as écris toi-même et qui signifie beaucoup pour toi.

On passe tellement de temps à être individualiste, en compétition les uns avec les autres, à être des menaces les uns pour les autres, c’est triste et c’est l’opposé de ce que je veux être.

Cola Boyy

Quand on se renseigne un peu sur toi, la première chose qu’on lit de ton histoire est à propos de cette malformation de ta colonne vertébrale qui t’a coûté une jambe et de grosses complications médicales tout au long de ta vie. Alors avant d’écouter ta musique, on pourrait croire qu’il s’agirait pour toi d’un exutoire, d’une façon d’exorciser tes colères et ta douleur. Mais finalement, ça donne plutôt le sentiment inverse. C’est un album qui encourage, qui motive. Un album très généreux.

C’est génial que tu dises ça. Je suis vraiment heureux que ce soit la façon dont cet album t’a impacté, parce que c’est totalement la façon dont je le vois, la façon dont je me vois moi-même et la façon dont je vois l’art et la musique que je fais en général. Encore une fois il y a un côté pratique, qui est qu’il s’agit de mon travail et que je dois payer mes factures…

Et puis le côté philosophique. Tout le monde a des problèmes. Le capitalisme impacte vraiment tout le monde, de pleins de façons différentes. Il nous exploite, nous oppresse, nous domine. Donc je ne veux pas être ce gars qui dit « tout le monde devrait faire attention à moi » et « sentez-vous mal pour moi, concentrez-vous sur moi. ». Alors qu’en réalité, tout le monde a ses problèmes. On a tous le même ennemi. Alors pourquoi devrais-je mettre l’attention sur moi ? Quand que je peux voir plus grand, essayer d’unir les gens et mettre le doigt sur ces multitudes de choses que l’on a en commun. Tout le monde est obsédé par les différences de chacun, si bien que l’on fini par se regarder comme des ennemis au lieu de s’unir, tous, la classe ouvrière, les gens oppressés, tous. Avec ma musique, je veux servir le peuple. Je veux refléter le mec de tous les jours, et je veux le faire du mieux que je peux.

© Ross Harris

Tu parles du capitalisme qui oppresse les gens, et de ta musique qui aspire, au contraire, à les en sortir et à les unir. Penses-tu que c’est justement en infiltrant et en réussissant dans cette industrie musicale capitaliste et discriminante que ce message pourra passer et inspirer les gens ?

Je ne veux pas particulièrement encourager les gens à devenir célèbre, ou à chercher le succès, ou même à faire de la musique. Je veux encourager les gens à avoir confiance en eux, en la façon dont ils gèrent les choses qui peuvent leur arriver ou la façon dont les autres les traitent. Et je veux qu’ils comprennent que ce n’était pas la faute des autres. C’est cette société pourrie et ce système défaillant qui produisent ces gens. C’est le message que je veux faire passer, parce que ça aide. Ça aide à se débarrasser de tellement de frustration et de haine, que l’on garde et que l’on se déverse les uns sur les autres au lieu de voir plus grand.

Je veux aussi encourager les gens à s’organiser, à se battre, à croire en la révolution, qui je crois, signifie une réelle transformation de la société. Ce n’est pas quelque chose qui arrivera avec de simples réformes. Parce que, même si une plateforme de streaming ou un label se met à payer mieux un artiste, à la fin de la journée, les disparités restent énormes. Et je veux encourager les artistes à plus servir le peuple, à aller vers la façon dont tu as décris mon album, mais ce n’est même pas à propos d’eux. C’est à propos du peuple. Servir le peuple à travers l’art, c’est ce que je veux encourager. Encourager les artistes à apprendre des gens, à sortir et écouter ce que les gens traversent au quotidien, ce à quoi leurs vies ressemblent. Puis produire une musique qui les reflète et qui encourage à riposter, à s’organiser, à se rebeller.

Le capitalisme impacte vraiment tout le monde, de plein de façons différentes. Il nous exploite, nous oppresse, nous domine. (…) On a tous le même ennemi. Alors pourquoi devrais-je mettre l’attention sur moi ?

Cola Boyy

Le fait que tu parles ouvertement de politique dans tes morceaux, c’est un parti pris parce que tu juges que les artistes se doivent d’en parler, ou c’est, pour toi, une source d’inspiration comme pourrait l’être, par exemple, l’amour ?

Je pense que globalement, les gens se font une fausse idée de ce qui est politique ou non dans l’art. Toute forme d’art ou de musique est politique. Cela sert toujours soit la classe ouvrière soit la bourgeoisie. Mettons qu’aucune de tes chansons ne parlent de politique mais qu’elles soient toutes à propos de l’amour. Ça sert la bourgeoisie parce que ça ne remet pas en question le système, ça ne remet en question ni l’exploitation ni l’impérialisme. Donc ça participe à maintenir la société telle qu’elle existe aujourd’hui. De l’autre côté, il y a le prolétariat, la classe ouvrière et l’art qui s’adresse à eux, qui travaille pour eux. Ça peut se faire de plein de manières différentes et ça ne veut pas dire que toutes mes chansons vont crier « révolution ! » ou « à bas le capitalisme ! ». Mais je vais chercher des façons de réunir les gens et essayer de faire de moi un reflet d’eux. J’ai fait cette blague une fois mais je pense à Bruce Springsteen, quand il était Bruce Springsteen aux US. Il était adulé par la population du New Jersey. Ils se sentaient représentés par lui. Et même si je n’aime pas trop Bruce Springsteen, c’est une place très cool à occuper, cette place où les gens t’écoutent et se reconnaissent en toi. C’est ce qui rend ta musique politique.

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Et en fait, la musique ne peut pas être apolitique. Même une chanson d’amour peut être politique, que ce soit de façon positive ou négative. Ça peut être une chanson d’amour à propos d’une femme qui travaille à l’usine ou dans un McDonald’s, parler de sa vie, des choses qu’elle traverse, tomber amoureux d’elle pour sa résilience. Ce sont des moyens de donner un parti à ses chansons. Si tes compositions ne parlent pas de la vraie vie et qu’elles ne sont qu’à propos de fantaisie, de décadence et de fête, elles servent la bourgeoisie.

La toute première phrase de ton album dit « There’s a time in life where we’re searching answers. » (Il y a un moment dans la vie où l’on cherche des réponses). Aujourd’hui, quelles sont les questions dont tu cherches les réponses ?

Bonne question ! Je pense que je me demande comment est-ce que je peux mieux me connecter aux gens qui m’écoutent, et comment je peux les encourager de la meilleure façon à riposter et à se rebeller. Je cherche le meilleur moyen de le faire. Je pense que beaucoup des questions qui ressortent sur cet album, dans les paroles, sont des questions dont j’ai trouvé la réponse. Au cours de l’album, je parle de dépression, de frustration, de choses que j’ai traversées quand j’ai commencé à travailler sur l’album ou avant. Et pour cette chanson, en écrivant « there’s a time in life where we’re searching for answers » je pensais à ces moments quand on est jeune et qu’on se dit « je hais ma ville, je déteste être ici, il n’y a rien à faire, je veux aller dans un endroit cool où les gens font ci ou ça… ». C’est un sentiment que j’ai pu ressentir plus jeune. Mais je sais aujourd’hui que j’avais tord. Parce que ma ville et les gens avec lesquels j’ai grandi ont participé à me construire, à faire de moi ce que je suis aujourd’hui. Et j’étais en colère, pour la façon dont j’étais traité, pour ce à quoi je ressemblais ou pour les situations dans lesquelles j’étais mis, et j’étais en colère contre les gens, pour ça. Je ne comprenais pas que ce n’était pas leur faute. Mais je suis vraiment heureux de pouvoir dire que j’ai résolu la plus grande partie de ces choses qui me rongeaient et dont je parle dans Prosthetic Boombox. Et j’espère que cet album pourra aider certaines personnes à résoudre leurs propres contradictions, à éviter ce sentiment d’aliénation.

Si tes compositions ne parlent pas de la vraie vie et qu’elles ne sont qu’à propos de fantaisie, de décadence et de fête, elles servent la bourgeoisie.

Cola Boyy

Comme tu le dis, tu parles de dépression, de frustration, et pourtant, tes titres ne sont pas tristes. Les textes et la musique entrent souvent en contraste.

Je ne sais pas si c’était particulièrement conscient, mais il est clair que je ne veux pas faire de la musique déprimante. Les gens rencontrent déjà suffisamment de difficultés au quotidien, ils sont déjà suffisamment déprimés et stressés, pourquoi j’en rajouterais ? Pourquoi encourager ça ? Je veux encourager les gens à être optimistes et résilients. Ce qu’ils sont déjà ! Mais c’est l’image que je veux renvoyer. Pour les paroles, c’est d’abord la mélodie qui vient, puis elle change plus ou moins selon la chanson. Généralement, je m’assois au piano, je trouve quelques accords et fredonne un air. J’imagine que la mélodie vient toujours la première, et les paroles après. Mais je cherche toujours quelque chose d’évolutif. C’est en ça que c’est conscient. Parce que je me dis toujours « Qu’est ce qui te fais te sentir bien, positif ? ». Je n’y pense pas vraiment et en même temps peut-être que si. Et j’adore écrire les chansons, c’est vraiment amusant pour moi. Si j’écris une chanson optimiste, je vais me concentrer pour trouver les mots pour encourager les gens. Et si j’écris à propos de dépression ou un sujet plus sombre, je vais essayer de contre-balancer avec un peu d’humour. Je ne veux pas être déprimant.

D’ailleurs, quel genre d’auteur es-tu pour ce qui est des paroles ? Ça vient tout seul ou tu as des rituels bien précis ?

La plupart du temps ça arrive d’un coup, des paroles ou juste un titre ou même seulement un thème m’arrive dans la tête et je construis autour de ça. Mais je ne suis pas méticuleux ou organisé pour écrire. J’écris le plus souvent sur mon ordinateur ou mon téléphone. Je n’ai jamais été capable d’écrire un avec stylo et du papier, je fais beaucoup trop de corrections. Et je n’y pense pas tellement, je laisse juste les choses arriver.

Puisque tu es un « kid born in space » qu’est-ce que tu rapporteras de la Terre à tes amis là-haut quand tu retourneras les voir ? 

Probablement le marxisme.

Image mise en avant : © Ross Harris

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