Dans une série de 16 diptyques publiés sur Instagram, le photographe Simon Lambert met en lumière des clubbers queers chez elleux, dans leur intimité, comme pour souligner l’importance politique de ce qui se joue sur les dancefloors qui leur manquent tant.
Cet automne, nous nous demandions comment le Covid-19 impacte la vie sociale des jeunes LGBT, privé·es de leurs (rares) bars et fêtes. Quelques mois plus tard, alors que la vie culturelle reprend son cours mais que nous sommes toujours sans date de réouverture potentielle des boîtes de nuit, le photojournaliste Simon Lambert apporte une réponse originale à notre question. Il est parti à la rencontre de cette jeunesse délaissée, et il en tire une série, ironiquement nommée « Privé.e.s de sortie », composée de 16 portraits et récits.
Manifesto XXI – Pour commencer, j’aimerais t’interroger sur le travail de lumière dans ta série. Est-ce que l’éclairage de club te manque ? Est-ce le point de départ de ton travail de photo ?
Simon Lambert : Oui, mais pas seulement. L’idée de départ était de remettre les gens dans le contexte actuel, confiné·es chez elles·eux, tout·es seul·es, en y amenant une atmosphère de club où c’est plutôt la proximité et la transpiration qui prévalent. Mais il fallait donner un peu de contexte, je souhaitais faire une série sur les clubbers, et donc travailler la lumière des clubs. Il était nécessaire que mon dispositif lumineux puisse se reproduire pour maintenir tout le monde dans la même ambiance. Pour cela, j’ai utilisé la même technique que certain·es photographes de clubs, à savoir un gros flash blanc qui éclaire les gens qui posent en plus des lumières de teuf derrière, auxquelles j’ai rajouté des mini boules à facettes. Les boules à facettes, ce sont des choses qu’on retrouve en club mais des lumières que les gens ont aussi chez eux, et j’ai trouvé cette ambivalence intéressante. Je ne suis pas photographe de club à la base, pas comme Marie Rouge ou Otto Zinsou, mais ma série porte bien sur la danse et l’importance de danser !
Une certaine ambiance club kids se dégage de tes photos. Es-tu allé interroger des personnes queers qui fréquentent ces soirées-là en particulier ?
C’est plutôt le fruit du hasard : quand j’ai commencé à démarcher pour réaliser cette série, je me suis d’abord adressé à mon entourage et puis à un cercle plus large qui se trouve faire partie d’à peu près le même microcosme, celui des club kids. Je ne voulais pas faire un travail sociologique de toutes les personnes qui vont en club. Par ailleurs, je ne suis pas un gros clubber. Les personnes que j’ai interviewées le sont, moi je suis casanier, plutôt partisan des fêtes de jour. Mais les personnes que j’ai photographiées m’ont donné tellement de choses fortes que j’avais envie de danser !
Pour nous les personnes LGBTQ, le club est tellement un espace politique de sociabilisation que c’est en un sens plus grave pour nous que pour les hétérosexuel·les qu’il n’existe plus.
Simon Lambert
Est-ce que tu cherchais à réinventer un nouveau club entre quatre murs ?
Pas vraiment, ce n’est pas mon point de départ. Pour nous les personnes LGBTQI+, le club est tellement un espace politique et de sociabilisation que c’est en un sens plus grave pour nous que pour les hétérosexuel·les qu’il n’existe plus. Je souhaitais parler de cette dimension politique et sociale du club, et plus spécifiquement pour les personnes LGBTQI+, c’est ça mon point de départ. Il y a des personnes pour lesquelles c’est vital d’aller en club ! L’idée d’aller chez les gens, c’était aussi pour créer une relation intime. J’ai assisté à des scènes touchantes où certaines personnes me disaient que ça faisait plus d’un an qu’elles ne s’étaient pas maquillées alors qu’avant, ça faisait partie de leur quotidien pour aller danser ! Cette proximité est un peu à double tranchant, car c’est très frustrant de ne pas pouvoir aller danser après la séance où les personnes se sont confiées, habillées et maquillées. C’est très émouvant mais très triste.
Pourquoi avoir choisi le format du diptyque, incluant des témoignages ?
Ce travail ne pouvait pas être une simple série de photos, simplement visuelle. Je suis photojournaliste et il me semblait important d’avoir une part d’information véhiculée par le texte. J’aime le récit, et quand les gens prennent la parole. C’est pour cela que dans la série, la parole est aussi importante que la photo, d’où la construction en diptyque. Il n’est pas possible d’imaginer ces photos sans les témoignages à côté. Pour l’instant, la série est constituée de 16 portraits, qui donneront peut-être une suite, mais ce n’est pas d’actualité pour le moment.
Découvrez toute la série sur le compte Instagram de Simon Lambert.