En ces temps (interminables) de fermeture de la plupart des lieux culturels, la rédaction de Manifesto XXI vous propose une sélection éclectique pour faire le plein d’art malgré les restrictions. Pour cette première fournée, on vous recommande deux expos en galeries, à Paris ou Marseille, deux webséries et deux podcasts. S’ajoute également une belle initiative venue des Pays-Bas : une levée de fonds en soutien à des victimes de violences sexuelles.
À visiter
LANA CAVE : Aurélien Potier en immersion totale
De l’éjaculation anale, on parle peu. Pratique secrète, inattendue ou fantasmée, Aurélien Potier la met en lumière en en faisant le fil rouge de sa dernière exposition personnelle : LANA CAVE. Après avoir auto-édité cet automne un zine éponyme, il s’empare du SISSI club pour y poursuivre cette obsession à taille humaine. On pénètre l’étroite galerie comme une grotte humide : les parois autant que les compositions de métal, de papier et d’encre, tout le lieu est aspergé d’eau de mer prélevée par l’artiste au Montrose, plage de cruising gay de Marseille. Témoignant d’un temps qui s’évapore, les cristaux de sel rongent les murs, la rouille envahit les pièces, les écritures débordent et s’effacent. Il ne reste que cette tessiture profonde, hypnotique, chaos qui emplit l’ultime salle d’un récit bouleversé. Depuis son ouverture il y a presque deux ans, on aura rarement vu l’espace du SISSI si puissamment investi, du sol au plafond. De quoi nous encourager à y retourner dès la semaine suivante, pour son événement de soutien en collaboration avec onze artistes locaux·ales qu’on suit de près, dont Nicolas Emmanuel Perez, Julien Carpentier, Sarah Netter ou Clara Buffey.
S.D.
Aurélien Potier, LANA CAVE
Du 22 février au 7 mars 2021
SISSI club, 18 rue du Coq 13001 Marseille
Ouvert jeudi, vendredi et samedi de 14h à 18h.
Samedi 6 mars à 16h : performance par Aurélien Potier
Mrs. Beazle : plongée dans l’univers onirique de Pati Hill
Après un premier volet à Ampersand (Lisbonne), puis un deuxième présenté cet automne à Air de Paris (Romainville), Treize clôt le cycle d’expositions consacré au travail de Pati Hill (1921-2014) avec l’exposition Mrs. Beazle. Elle a d’abord été mannequin, puis écrivaine, mais également épisodiquement antiquaire ou galeriste, et surtout pionnière du « copy art », discipline née dans les années 1960, qui s’empare de la photocopieuse pour en faire un médium artistique, et ainsi manipuler les images. Mrs. Beazle, débuté en 1976, regroupe des textes magnifiques, dont l’apparente simplicité en fait tout le charme atemporel. Son univers est peuplé de chats, ses plus fidèles compagnons, qu’elle fait participer à ses œuvres : elle dessine à partir de tâches laissées sur des feuilles A4 par leur nourriture. Ses textes, photocopies et dessins posent un regard à la fois tendre et cruel sur la vie domestique, les objets ordinaires ; ils narrent ses rêves, ses souvenirs, dépeignent « son propre fardeau, et le fardeau des femmes en général ». L’agencement minimaliste des œuvres dans l’espace de Treize nous laisse une appréciable liberté d’appréhension du travail de l’artiste : on peut, à notre guise, le découvrir par fragments choisis ou, et on vous le recommande, s’y plonger entièrement.
A.C.M.
Mrs. Beazle
Du 13 février au 5 mars 2021
Treize, 24 rue Moret 75011 Paris
La galerie sera ouverte jeudi et vendredi de 14h à 18h.
Courtesy Nicole Huard, Arcadia University. Photo : Aurélien Mole.
À regarder
Merci de ne pas toucher : décapante relecture queer de l’histoire de l’art
Sur arte.tv, la websérie documentaire Merci de ne pas toucher, écrite et incarnée par l’historienne de l’art et comédienne Hortense Belhôte, offre une relecture décalée, malicieuse, voire sensuelle de la « grande » histoire de l’art. Tout au long des épisodes, elle porte un éclairage sur dix « chefs-d’œuvre » picturaux de la peinture classique européenne, de L’Origine du monde de Courbet à Olympia de Manet, en passant par La Laitière de Vermeer. Dans une mouvance féministe, queer et libertaire, elle en révèle de nouvelles clés de lecture et en dévoile le potentiel érotique. Les décors contemporains à l’esthétique pop des vidéos se confrontent aux tableaux anciens, peints par des « grands maîtres » exclusivement masculins, et mettent en évidence, sous le prisme du genre, la permanence de certaines problématiques de sexualité contemporaines.
L.T.
WITCH TV : les sorcières décryptées
Comment déjouer les contraintes sanitaires à l’heure de la pandémie ? À la fermeture prolongée des lieux culturels, l’École supérieure d’art et de design TALM-Angers, le MO.CO. Montpellier et l’association AWARE ont répondu par une websérie ensorcelante, issue d’une journée d’études qui n’a pas pu avoir lieu. Dans le séduisant premier épisode de WITCH TV, une modératrice « enchantée » explore la multiplicité des figures de sorcières en faisant dialoguer les recherches de l’historienne de l’art Fabienne Dumont sur les artistes féministes françaises des années 1970 avec les performances-rituels cathartiques de la plasticienne franco-gabonaise Myriam Mihindou. Cette rencontre entre théorie et pratique met à l’honneur ces femmes aux mille facettes trop longtemps invisibilisées, ces « sorcières comme les autres ». Au programme des épisodes suivants : Maxime Perbellini, doctorant à l’EHESS, en dialogue avec Pauline Curnier Jardin ; puis l’éminente philosophe Silvia Federici, face à l’artiste Suzanne Husky.
L.P.
À écouter
Romantisme et eurodance : Chic d’Amour sur Radio Grenouille
Plus de lieux pour performer ? Qu’à cela ne tienne, le collectif fluide et modulable Chic d’Amour balance ses paillettes et ses pétales de roses sur les ondes marseillaises de Radio Grenouille. Pour cette première performance sonore, iels ont vu les choses en grand : un oracle (scorpion bleu), une starlette désabusée (Cynthia) et une autrice de romans jeunesse (Ma Vie d’Artiste 1995). Avec humour et émotion, le trio augmenté et ses performeur·se·s nous parlent d’adolescence, de fantasme et d’identités multiples. Shot de douceur garanti, la version podcast est disponible par ici.
S.P.
lenguas vivas / langues vivantes / living tongues : polyphonies sur *Duuu
Bestiario de Lengüitas [Bestiaire des petites langues], au CAC Brétigny, est le dernier chapitre d’un cycle de trois expositions pensé par l’artiste visuelle et performeuse argentine Mercedes Azpilicueta depuis 2017, en collaboration avec la commissaire française Virginie Bobin. À travers des dispositifs collaboratifs, elle y déploie des imaginaires médiévaux européens et des cosmogonies latino-américaines, habités par des protagonistes ambigu·e·s. En attendant l’ouverture de l’exposition au public, vous pouvez en avoir un avant-goût en vous branchant sur les ondes de *Duuu samedi 6 mars, de 15h à 17h. Animé par Virginie Bobin, cet « événement radiophonique » réunira cinq collaboratrices de ce projet évolutif. S’y mêleront discussions, performances sonores, sorts auditifs et lectures, où les auditeur·rice·s pourront être happé·e·s par la puissance de cette polyphonie de langues et de voix.
L.P.
F-Razzor, une levée de fonds en soutien à la lutte de victimes de violences aux Pays-Bas
Une nouvelle manière de soutenir les victimes d’abus de pouvoir et de violence dans l’art contemporain ?
En octobre 2020, une enquête d’ampleur parue dans le quotidien néerlandais NRC mettait en lumière les agissements d’un artiste relativement coté, accusé de viols, agressions sexuelles, vols et harcèlement par un nombre conséquent d’hommes et de femmes du monde de l’art aux Pays-Bas. Alors que l’accusé est défendu dans le cadre du procès à venir par Peter Plasman, un avocat également second sur la liste électorale du parti nationaliste Code Oranje, des militant·es organisent une levée de fonds en soutien aux victimes, réunissant soixante artistes passé·e·s par la Rijksakademie, dont est également issu l’accusé. Parmi elleux, plusieurs à la stature internationale, et notamment les françaises Gaëlle Choisne et Pauline Curnier Jardin.
La levée de fonds, qui débutera le 8 mars et durera une semaine, servira à couvrir les frais juridiques et psychologiques des victimes présumées de l’artiste accusé, ainsi qu’à soutenir le lancement d’une initiative militante contre les abus de pouvoir dans l’art contemporain : Engagement Arts NL. Il faut en saluer le courage, dans un pays où les abus de pouvoir demeurent moins médiatisés encore qu’en France – c’est possible… – et espérer qu’elle serve de modèle ailleurs.
S.B.
Sélection et rédaction : Sarah Diep, Anne-Charlotte Michaut, Léa Pagnier, Soizic Pineau, Laure Thébert et Samuel Belfond.
Image à la une : vue de l’exposition LANA CAVE, Aurélien Potier, SISSI club, Marseille, 2021