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Arlo Parks, la voix d’un spleen neo-romantique

Arlo Parks, la voix d’un spleen neo-romantique

Arlo Parks

Sans le vouloir, Arlo Parks est en train de devenir le porte-voix d’une mélancolie particulière, celle de la génération des marches pour le climat. Avec ses ballades romantiques, la jeune Londonienne de 19 ans est en train de se créer une belle place sur la scène neo-soul.

Décrire un.e jeune artiste comme un espoir n’est parfois pas exagéré, et Arlo Parks réunit tous les signaux pour qu’on n’ait pas peur d’utiliser ce mot. Depuis la publication de son premier titre « Cola » en 2018, la jeune femme impose tranquillement sa voix romantique, oscillant entre soul et pop. Ses deux EPs sortis en 2019, Super Sad Generation et Sophie, préfigurent une belle montée en puissance. Si l’amour est le thème central de ces premières compositions, on aurait bien tort de résumer ses chansons à des tourments d’adolescente. Ses râteaux, Arlo Parks en fait une matière à sublimation, et le terreau de questionnements philosophiques. Son spleen est lumineux, serein, coloré d’accords empruntés tantôt au RnB, tantôt au jazz. La BBC est sous le charme, et la nomme Music Sound of 2020.

Sa précocité rappelle celle de Jorja Smith et de King Princess, l’une pour sa voix suave et l’autre pour l’honnêteté sans concession de ses textes. Comme d’autres jeunes artistes, Arlo Parks chante naturellement ses crushes pour les filles et compose sur sa bisexualité : dans son dernier clip « Eugene » elle met en scène son amour déçu pour sa meilleure amie. Un album est en cours d’écriture pour 2020. Nous l’avons rencontrée dans les coulisses de son concert à la Boule Noire fin février. La date affichait complet ce soir-là. Sur scène, Arlo Parks confirme son aura solaire à un public conquis, embarqué dans sa bulle. On prend les paris que bientôt son talent rayonnera encore plus loin.

Manifesto XXI – Comment peux-tu être aussi productive ?

Arlo Parks : Je ne sais pas ! Il y a des moments où je n’écris rien du tout. Puis il y a des moments quand je commence à écrire, je sors six ou sept chansons d’un coup. J’imagine que c’est parce que j’ai beaucoup de choses à dire ? Et des choses arrivent tout le temps.

Comment as-tu commencé la musique, par quel instrument ? 

De 7 à 14 ans j’ai fait du piano. Puis j’ai appris la guitare et à faire de la musique sur mon ordinateur via Youtube.

Dans le clip de « Eugene » tu lis un livre de la poétesse Sylvia Plath. C’est une source d’inspiration pour toi ?

Oui, plus jeune j’ai lu beaucoup de ses livres. La poésie est très importante pour moi. J’aime comment elle était radicalement honnête, originale et emphatique.

Fais-tu une différence entre la poésie et l’écriture de chansons, ou non ?

Je pense que mon songwriting est inspiré par la poésie, donc elle vient en premier. D’une certaine façon, je crois que certaines de mes chansons ne sont que des poèmes avec des mélodies. Les deux sont très liés.

Dans une interview pour i-D France tu as dis que tu avais grandi en écoutant des classiques de la chanson française, Édith Piaf et Joe Dassin. Comment cela a-t-il influencé ton écriture de la romance ? 

En terme de storytelling, je trouve que beaucoup des chansons que ma mère écoutait sont très drôles. Je pense qu’inconsciemment j’en ai pris beaucoup oui. C’est plus le feeling qui est important. Ma mère a grandi à Paris et je pense qu’elle m’a transmis cela. Ma grand-mère aussi aimait beaucoup Jacques Brel et Johnny Hallyday. 

Tu portes un pendentif en forme d’Afrique, tu te sens très connectée à tes origines ? 

Je n’ai été que deux fois au Nigeria mais mon père jouait beaucoup de musique à la maison. Je suis très proche de mes grands-parents qui cuisinent beaucoup de nourriture de là-bas. Ma mère portait ce collier quand elle était jeune et elle me l’a donné. Je me sens très connectée à tous mes différents backgrounds. J’ai passé beaucoup de temps à Paris, à Nice… 

On décrit souvent ta musique comme de la neo-soul. Comment t’es-tu orientée vers ce style ?

J’ai pris un peu des différents styles de musique que j’écoute. Mon oncle m’a donné sa collection de vinyles un jour. Il y avait Sade, Erykah Badu et beaucoup de classiques… En ligne, j’écoutais beaucoup de trip-hop, Portishead, Massive Attack. 

Est-ce que tu te sens faire partie d’un mouvement, d’une scène avec des artistes comme Jorja Smith, ou encore Celeste ? 

Je crois oui, dans une certaine mesure. Je dirais que certaines chansons ont un son similaire à certaines des leurs. Il y a en d’autres où j’explore des sons plus électro, je vais vers le trip-hop… Chacun.e fait des choses de manière légèrement différente mais en même temps, on se soutient, on se tire vers le haut mutuellement. On est tous.tes jeunes donc il y a une sorte de connexion entre nous.

Tes textes sont souvent empreints de mélancolie, c’est lié à notre époque pour toi ?

Je pense qu’en général oui. C’est tellement le chaos que beaucoup de jeunes peuvent se sentir impuissant.e.s, et puis il y a tellement de responsabilités, d’attentes qui pèsent sur nous pour changer le monde… Mais en même temps il y a aussi beaucoup d’espoir et de gens qui se mobilisent pour surmonter ces épreuves. Je crois que dans mes chansons je parle des gens autour de moi, dans mes cercles d’ami.e.s, donc je ne peux pas vraiment parler du sentiment général.

Tu as quand même écrit cette chanson, « Super Sad Generation », qui est presque un manifeste ! Tu écris souvent sur l’angoisse des réseaux sociaux, à quel âge as-tu eu un téléphone ?

Le premier téléphone que j’ai eu n’avait pas accès à Internet, j’ai eu Instagram à 16 ans je crois. Plutôt tard en fait. J’ai eu Facebook et Messenger plus jeune mais je pense vraiment que les plus jeunes ont accès à Instagram plus tôt, comme tout commence plus tôt. D’un côté c’est un outil de communication avec des fans avec qui je n’aurais jamais pu me connecter et échanger autrement, mais c’est aussi évidemment un flux constant de perfection et d’images, d’attentes surréalistes. Il faut l’utiliser avec modération en fait.

À quel point tes expériences d’amour queer t’ont-elles permis de te construire ? Est-ce important pour découvrir qui l’on est ?

Très personnellement, ça m’a permis de mieux me comprendre et d’être plus à l’aise avec moi-même. Je pense que c’est important d’en parler, de raconter ces histoires. Parce que beaucoup de gens en ont besoin, celles et ceux qui ont du mal à faire leur coming-out, ou ne se sentent pas accepté.e.s pour ce qu’iels sont. 

Pourquoi as-tu écrit « Romantic Garbage » ?

À 16 ans j’étais complètement amoureuse de quelqu’un.e et je ne pouvais pas m’arrêter d’écrire de la poésie stupide à propos d’iel. Jusqu’à 8 ans je pense que je ne savais pas bien qui j’étais et j’avais cette idée que quelqu’un.e d’autre allait me « réparer » et que c’était ça l’amour. D’un autre côté c’était aussi d’être obsédée par quelqu’un·e.

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Les paroles sont très sages, comme beaucoup d’autres de tes chansons. Comment expliques-tu cette maturité ? 

Je ne sais pas. (rires) Je lis et j’observe beaucoup. J’écris depuis que je suis toute petite donc je suis capable d’exprimer parfaitement comment je me sens. Je suis quelqu’un de sociable, a people person, je discute beaucoup. J’ai beaucoup d’empathie, je me mets à la place des gens.

Qu’est-ce que tu aimes en littérature ? 

Ça dépend, parfois je lis beaucoup de Kurt Vonnegut parce que j’aime l’atmosphère bizarre, surréelle. Parfois je vais lire des choses très centrées sur l’intrigue, ou des romans policiers. J’aime lire de tout, les classiques, Graham Greene, de la poésie. J’aime aussi lire des livres de différents pays pour avoir une vision plus large sur les choses.

Pour finir, est-ce que tu as une dream collab ?

J’aimerais bien faire quelque chose avec Solange, ou un producteur cool comme Flying Lotus ou Madlib. Thundercat ce serait cool.

Image à la Une : © Chris Almeida

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