Alors qu’une nouvelle mobilisation sociale « contre la vie chère et l’inaction climatique » est annoncée le 16 octobre, Alma Dufour, députée NUPES à l’Assemblée nationale, se mobilise depuis juin contre l’inflation. À 32 ans, l’ancienne porte-parole des Amis de la Terre lutte désormais au cœur même de l’État pour démontrer qu’écologie et classes populaires ne sont pas irréconciliables. Portrait.
Nous avons rencontré Alma Dufour au sortir de l’été. Les « vacances parlementaires » s’achevaient et l’on n’avait presque pas entendu parler de politique partisane depuis un mois – août oblige. Les universités d’été des partis s’étaient tenues le week-end précédent, au plus grand plaisir des chaînes d’informations en continu qui ont pu se régaler des polémiques sur le barbecue et les jets privés. En toile de fond, la perspective d’une dissolution de l’Assemblée nationale, qu’Alma Dufour jugeait possible « si LR décide vraiment de faire chier la Macronie sur le budget ». Et puis, alors que ce portrait prenait forme, cette gauche fédérée fut heurtée de plein fouet par des affaires de violences sexistes et sexuelles mettant en cause des personnalités emblématiques de la NUPES : Julien Bayou, député et secrétaire national d’Europe Écologie-Les Verts, et Adrien Quatennens, coordinateur de la France insoumise et député du Nord.
Comment écrire le portrait d’Alma Dufour, une des figures montantes du principal parti de gauche, après cette vague de déception ? La lutte n’est jamais un long fleuve tranquille et les idoles d’un temps peuvent devenir l’épine dans le pied des mouvements d’émancipation du présent. Une génération s’étiole et de nouveaux visages apparaissent. Déterminée à changer le monde sans laisser personne de côté, Alma Dufour est de ces nombreux néo-député·e·s issu·e·s de la jeunesse de gauche et élu·e·s sous l’étiquette NUPES. La relève est assurée et, c’est sûr, elle fera mieux.
L’écologie, nouvelle « mystique » populaire
Ce lundi 29 août, Alma Dufour arrive les écouteurs dans les oreilles, s’excuse pour son retard – la réunion a traîné – sans laisser paraître la fatigue des quatre derniers jours passés aux Amphis de la France insoumise. Elle y intervenait dans plusieurs tables rondes dont une avec François Ruffin, député et réalisateur, sur la lutte contre l’extrême droite dans la France périphérique. À peine assise et l’enregistreur pas encore allumé, elle commence à exprimer son respect et son admiration pour ses collègues de LFI avait qui elle vient de passer le week-end : « Je travaille beaucoup, oui, mais des gens comme Guetté, Bompard ou Panot, c’est toute leur vie. »
La vie politique, la vie à l’heure du réchauffement climatique et la vie des gens de sa circonscription, la députée ne cesse d’en parler, le cœur lourd de sa responsabilité d’élue. Elle ne veut pas décevoir et exprime son malaise quant à sa nouvelle position de députée siégeant sous un dôme de l’Ancien Régime : « Je pense à tous les gens de ma circo qui sont hyper pauvres. Tu te demandes comment les gens qui sont à l’Assemblée peuvent prendre au sérieux la crise du pouvoir d’achat… On baigne dans un nuage de luxe qui met extrêmement mal à l’aise. » En effet, Alma Dufour n’a pas choisi au hasard la 4ème circonscription de Seine-Maritime, à côté de Rouen : « Je voulais montrer qu’on pouvait associer transition écologique et emploi, c’était évident pour moi d’aller dans une circonscription industrielle et populaire. » Quand on la questionne sur la réaction des habitant·e·s à son parachutage en tant que « parisienne », la députée sourcille et nous reprend pour éviter tout malentendu : « Je suis née dans le Gers et j’ai grandi dans un HLM avec une mère au RSA. On oublie qu’il y a des gens pauvres qui vivent à Paris. Mais je suis une urbaine, ça, oui. » De toute manière, l’enjeu est ailleurs.
Dans les germes de l’écologie, il y a quelque chose qui peut soulever des foules. La jeunesse a besoin de ces luttes qui sont de l’ordre de l’existentiel.
Alma Dufour
Sur un territoire qui accueille le plus grand site de production et de stockage d’engrais chimiques d’Europe ainsi que de nombreuses industries lourdes, la question de l’emploi s’entremêle inévitablement avec la question écologique. Qui plus est, son ennemi n°1, Amazon, avec qui elle a croisé le fer pendant ses années chez les Amis de la Terre, avait pour projet d’ouvrir un entrepôt sur la circonscription : « Avec le collectif national d’opposition à Amazon, on n’arrivait pas à avancer sur de la réglementation, donc on s’est dit que notre seule arme c’était de les faire chier là où ça faisait mal, c’est-à-dire en bloquant les infrastructures logistiques. Ça a marché et on a fait tomber cinq entrepôts. »
Pour la députée, le choix d’Amazon de s’installer dans ces territoires pauvres n’est pas un hasard : « Ils savaient qu’il y avait beaucoup de chômage et qu’ils allaient être accueillis à bras ouverts. » En effet, à Elbeuf, ville de plus de 15 000 habitant·e·s sur sa circonscription, 28% de la population est sans emploi. C’est une obsession pour Alma Dufour pour qui l’emploi et les moyens de production des travailleur·se·s doivent être au cœur du discours de l’écologie politique. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’elle dit avoir rejoint les bancs de la France insoumise, dont le discours part des besoins de la collectivité, plutôt qu’Europe Écologie-Les Verts : « Le rôle de la production est centrale, sinon ton discours écologique reste au simple niveau de discours culturel que tu tartines sur une réalité que tu ne contrôles pas du tout. » Autre différence avec le parti vert selon elle, la priorité donnée d’abord « au problème de notre dépendance aux importations » avant de commencer à envisager « une réduction du temps travail et le salaire universel ». Elle juge même la logique inverse « irréaliste ».
Pour moi le travail écolo c’est cela : faire advenir ce dont on a réellement besoin collectivement.
Alma Dufour
Pour celle qui a vécu des phases d’éco-anxiété, l’enjeu est aussi de créer un récit puissant contenant une part de « mystique » qui puisse emporter les classes populaires et la jeunesse avec lui : « Dans les germes de l’écologie, il y a quelque chose qui peut soulever des foules. La jeunesse a besoin de ces luttes qui sont de l’ordre de l’existentiel » veut croire la députée. De surcroit à l’heure de la crise de l’énergie qu’elle décrit comme « à la fois une bombe sociale atroce et une opportunité pour créer un discours qui permet de lier pouvoir d’achat et changement climatique ». « L’emploi écolo » reste encore un concept à faire vivre en pratique mais Alma Dufour ouvre des brèches : « J’ai vu tellement de gens heureux qui avaient plaqué leur boulot pour aller faire de l’agriculture en n’étant même pas payé 70h semaine ! L’importance du sens dans le travail n’est pas à ignorer. J’ai connu des personnes très mal dans leur travail salarié et puis, quand l’entreprise est passée en coopérative, ça a changé toute leur vie car ils avaient l’impression de décider. Pour moi le travail écolo c’est cela : faire advenir ce dont on a réellement besoin collectivement [car cela crée aussi] quelque chose qui a une valeur immatérielle très forte et qui appartient [aux travailleur·ses]. »
Discriminations et salaires : « une question de vie ou de mort »
Sa victoire, Alma Dufour l’a arrachée. Sa circonscription était une chasse gardée du Parti socialiste depuis des années et Dufour a accédé au second tour avec seulement 167 voix de plus que le dissident socialiste. Les journées commençaient avec une session de tractage à 7h du matin sur la voie rapide « comme les laveurs de vitres » puis les supermarchés, les sorties d’école, la sortie des mosquées… jusque tard le soir. Elle « assume totalement » être allée tracter à devant les mosquées : « Je suis convaincue que le vote de la communauté musulmane, et par extension, les quartiers populaires ont été le noyau dur qui nous a fait se détacher du lot. Cela a créé un phénomène d’agrégation des classes moyennes et des jeunes. Et puis, après tout, le vote catholique est orienté politiquement alors il est évident que le vote musulman aussi. » En effet, il suffisait de passer devant une église le dimanche lors de la campagne présidentielle pour voir que les militant·e·s de Zemmour savaient où se situait leur électorat. Au second tour, Alma Dufour affronte un candidat du Rassemblement national (RN) et fait une crise de brûlure d’estomac : « Je ne voyais que des vieux au bureau de vote, il était impossible que je perde devant le RN. » C’est d’ailleurs par l’abstention des jeunes qu’elle analyse le résultat des législatives : « S’il y a eu 89 députés RN, c’est aussi parce qu’il y a eu une disproportion du vote des personnes âgées alors que la majorité des moins de 35 s’est abstenue. Forcément, le poids de la droite et de l’extrême droite est très fort. »
J’ai toujours l’impression de trahir la cause, car quand tu es LGBTQI [et que tu ne t’exprimes pas haut et fort dessus], la communauté a l’impression que tu la lâches. Mais je ne suis pas dans le placard pour autant.
Alma Dufour
Pour recréer le lien avec la jeunesse et la ramener aux urnes, Alma Dufour souhaite investir les réseaux sociaux comme une « influenceuse politique » pour « aller chercher les jeunes là où ils sont ». Comment faire dans un monde si éclaté et divisé, sur le plan économique et identitaire, pour fédérer le collectif et toucher les masses ? L’exemple de l’écologie lui semble criant. Elle dénonce la manière dont celle-ci est utilisée comme un outil de division des classes alors que « c’est une lutte des classes ! Les médias ont construit l’écologie comme un enjeu de pratiques et de modes de vie et nous-mêmes sommes rentré·e·s dans un narratif du même ordre. On a eu tendance à s’intéresser à ce qui allait marcher médiatiquement plutôt qu’à ce qui allait toucher le plus grand monde. » Elle n’oppose cependant pas les questions identitaires et les thèmes dits sociétaux qui sont tout aussi importants à ses yeux : « Pour avoir connu les violences policières lors des Gilets jaunes – qui n’avaient rien à voir bien entendu avec de la discrimination dans mon cas –, il faut bien se rendre compte que c’est une question de vie ou de mort, donc bien sûr que ça intéresse autant que la lutte des classes et le salaire ! Pour les personnes LGBTQ+ qui ont peur de se faire agresser, c’est leur vie qui est en jeu, leur couple, leur droit à l’amour. »
Pourtant, la députée a fait le choix de ne pas faire de son identité lesbienne son cheval de bataille principal : « J’ai trop de combats et d’étiquettes : je suis volontairement allée me présenter dans un territoire difficile pour aller jusqu’au bout de mon idéal écologique et rapprocher l’écologie des classes populaires. Je ne me cache pas, si on me pose la question je le dis, mais oui, ce n’est pas moi qui mène la danse dans la NUPES là-dessus. » La situation n’est pas facile car, si la députée revendique un droit à la vie privée, elle n’a toujours pas trouvé la recette miracle : « J’ai toujours l’impression de trahir la cause, car quand tu es LGBTQI [et que tu ne t’exprimes pas haut et fort dessus], la communauté a l’impression que tu la lâches. Mais je ne suis pas dans le placard pour autant. » Sur son image de députée, Alma Dufour tâtonne encore : « Je ne suis pas encore vraiment sûre de savoir ce que les gens attendent d’un·e député·e. J’ai vu tellement de gens dégoûtés de la politique que je ne veux pas trop jouer à n’importe quoi. »
« Le trauma est réel »
Depuis l’élection présidentielle, entre les accusations de viol envers le journaliste Taha Bouhafs et la mise en cause pour harcèlement d’Éric Coquerel, président de la commission des finances, la NUPES/LFI a été mise à rude épreuve [nous avons rencontré la députée avant les affaires Bayou et Quatennens, ndlr]. Lorsqu’elle a appris pour Bouhafs, qu’elle connaissait bien, Alma Dufour dit avoir eu « les pattes sciées ». Le choc encaissé, elle juge que « la décision [de désinvestir Taha Bouhafs] a été la bonne ». Elle rappelle la situation qu’a eu à gérer Clémentine Autain et le CVSS : « Dans leur position, tu es prise entre des injonctions contradictoires : on a dit à la victime de porter plainte pour qu’il y ait un dénouement qui soit clair et net mais elle n’a pas voulu. C’est cette zone grise qui est très dure à gérer. » Au front, aucun homme dont la voix pourrait changer la donne pour briser le « bro code » du boys’ club.
Le mouvement des Gilets jaunes a tellement été réprimé que cela a laissé aussi une espèce de peur qui a tué l’insouciance dans l’inconscient collectif des classes populaires.
Alma Dufour
La libération de l’écoute de la parole des victimes de violences sexistes et sexuelles dans le milieu politique ne fait que commencer et ce n’est pas un hasard que cela commence à gauche bien que les actes concrets et crédibles sur le sujet se font encore attendre. Ce bouillonnement n’est pas prêt de s’arrêter tant sur la question des droits des femmes que sur le climat et la justice sociale. « Je sens que l’on va devant de grandes tensions sociales cet hiver », flaire Alma Dufour. Ancienne manifestante Gilet jaune, celle qui milite depuis plus de sept ans dans les mouvements sociaux ne prophétise pas une révolution et sait que « ce n’est pas parce que tous les ingrédients matériels sont réunis que ça pète ». D’autant plus que « le mouvement des Gilets jaunes a tellement été réprimé que cela a laissé aussi une espèce de peur qui a tué l’insouciance dans l’inconscient collectif des classes populaires. Cela peut être un frein pour redémarrer un mouvement social en France car le trauma est réel ».
Néanmoins, l’élue de la République ne perd pas espoir : « Le gouvernement peut lâcher sur pas mal de choses et très vite. Leur modèle économique se percute à la réalité. Ils patinent énormément car ils savent le risque d’un mouvement social puissant. Et, eux aussi, ils sont traumatisés des Gilets jaunes. Si tu voyais leur tête à chaque fois qu’on en parle ! » Sa prochaine mobilisation d’ampleur sera le 16 octobre pour « une grande marche contre la vie chère et contre l’inaction climatique », à l’appel de la NUPES mais sans les syndicats. Au-delà de cette date, l’enjeu pour la gauche est de s’organiser pour gagner dans cinq ans et éviter le fascisme, désormais aux portes de la France après l’élection de Giorgia Meloni en Italie. Inévitablement, la guerre de succession à gauche ne tardera pas à commencer. La politique électorale est aussi une question d’incarnation, de visage, de charisme et de représentation. Les talents sont nombreux mais la NUPES se doit d’être à l’écoute de la société et de la jeunesse si elle veut catalyser ce bouillonnement populaire contradictoire et chaotique mais désireux de vies meilleures. Un grand mouvement nous attend-il cet automne ? Alma Dufour conclut sagement : « Tu peux essayer de faire une grande stratégie mais ça ne marchera pas. Il faut que ça vienne des gens et que ce soit une évidence pour eux. »