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Agir pour le vivant (3/3) : sublimer son éco-anxiété avec Les Jeunes pour le vivant

Agir pour le vivant (3/3) : sublimer son éco-anxiété avec Les Jeunes pour le vivant

Manifesto XXI s’est déplacé à Arles du 24 au 28 août pour couvrir la deuxième édition d’Agir pour le vivant, le festival écologiste all stars organisé par les éditions Actes Sud. Sur une semaine étaient convié·e·s artistes, scientifiques, philosophes, activistes, à partager leurs actions et leurs points de vue ainsi qu’à travailler en résidence. On y retrouvait le penseur décolonial Felwine Sarr et l’Agence française de développement ; l’anticapitaliste vedette Alain Damasio et un fond d’investissement « finance verte ». Intriguée par cette programmation à haut coefficient de friction, notre reporter philo Anne Plaignaud est allée voir les débats qui s’annonçaient chauds comme le rapport du GIEC. Ici le dernier épisode de ce report en série, où l’on visite la résidence Les Jeunes pour le vivant et les ressources créatives d’une jeunesse qui n’a pas envie de se laisser mourir, ni son environnement. 

Les Jeunes pour le vivant est une résidence militante et artistique auto-organisée, accueillie par le festival Agir pour le vivant. Un petit manque de représentation de la jeunesse se faisant sentir dans les panels comme dans l’auditoire, alors iels ont proposé la résidence à Actes Sud l’année passée. Elle se compose de 24 membres, aux parcours m’assure-t-on très différents. Sur les six que j’ai rencontré·e·s, cinq étaient dans des études supérieures prestigieuses. C’est l’effervescence, on est en plein tournage et celles et ceux qui ne sont pas devant la caméra assurent derrière. Maxime Ollivier (Extinction Rebellion, co-organisateur de la primaire populaire) et Cristo Corbeau (auteur, facilitateur) sont membres du noyau des 7 auto-organisateurˑiceˑs de la résidence. Ils m’accordent de leur temps (et soulignent au passage, leur regret de mener l’interview sans femme à leurs côtés). 

Des membres de la résidence Jeunes pour le vivant
Membres de la résidence Jeunes pour le vivant chez Agir pour le vivant. © benjamincayzac
Le défi d’un contre-récit fertile

Maxime Ollivier et Cristo Corbeau ont tous deux quitté leurs études prometteuses (Sciences Po et commerce) afin de se consacrer à plein temps au militantisme écologiste, voire effondriste. En effet, il est impensable pour eux de concilier intégration dans un modèle capitaliste et activisme. « J’allais dans des écoles pour vendre des formations en entrepreneuriat social, raconte Cristo. Mais j’ai réalisé que mon activité était dépendante du problème : j’offrais un pansement sur une jambe de bois. L’application de ramassage alimentaire Too Good to Go, par exemple, ça ne change pas le fait que 40% de ce qu’on produit est jeté. J’ai alors compris que ma place était dans la radicalité, à la racine du problème. Je ne veux pas me laisser berner par la projection d’une carrière pour les quarante prochaines années alors qu’elles connaîtront des enjeux bien plus pressants et préoccupants.»

Pour rassembler une jeunesse qui vivra moins bien que ses parents, il faut étudier la piste du sensible. « L’argument ne mobilisant pas assez, on se réapproprie l’art, explique Cristo. Pour proposer un nouveau rapport avec le vivant. On a beaucoup de potes déprimé·e·s, en burn-out ou qui préfèrent ne pas savoir. Alors on ramène de la joie dans la crise. Quelque chose de beau, de fort et qui nous prend ». Maxime renchérit : « Quand tu n’as pas d’expérience d’engagement et que tu vois des gens faire de la désobéissance civile en s’enchaînant dans des aéroports, ça ne donne pas forcément envie. Parce que les deux degrés du GIEC, ce n’est pas viscéral ; car tant que tu restes dans le mental, c’est beaucoup plus facile de déconnecter. Quand tu fais la bascule émotionnelle, tu ne peux plus ne pas avoir envie de t’engager. » 

En collaborations

En sortie de résidence, Les Jeunes pour le vivant souhaitent mettre en place trois actions : des ateliers de sensibilisation dans les écoles, une série de fiction – « peut-être le média qui touche le plus les jeunes » – et enfin une cellule d’artivisme : « On veut travailler avec des assos militantes pour leur proposer d’incorporer l’artistique, les mettre en lumière pour plus d’impact médiatique, nous explique Maxime. Les pancartes en manif, elles sont moches. Ce que fait Ende Gelände en Allemagne avec des grosses teufs spectaculaires dans les mines de charbon, c’est bien mais ce n’est pas assez ; les carnavals dans les ZAD, c’est bien mais c’est hyper niche. Il faut prendre les gens là où ils sont. L’expérience artistique permet d’aller en chercher plein qui sont au niveau zéro de l’engagement. »

Cohorte de membes de Ende Gelände habillés de blanc jusqu'à 'horizon dans une mine de charbon
Action Ende Gelände en novembre 2019, dans la région de Leipzig. © Ende Gelände

Pour ce faire, les sept jeunes organisateurˑriceˑs ont invité vingt autres jeunes à la fibre artistique et militante. Iels ont construit leur collaboration inspiréˑe·s par le biomimétisme de l’ingénieur écologue Tarik Chekchak qui est passé leur rendre visite : « Ça résonnait de ouf avec les dynamiques qu’on avait. Le banc de poissons, les écosystèmes dont les espèces invasives doivent disparaître pour que d’autres apparaissent… Il a fallu qu’on apprenne à se mette en retrait pour que les autres s’approprient l’espace. Il faut apprendre à s’organiser, en tant qu’humains, selon les principes d’organisation du vivant. » Christie membre de l’équipe chargée d’écrire le manifeste renchérit : « Même si ce n’est pas parfait, on a tous·tes appris à se taire ». Quiconque a pu se confronter aux ego militants et artistiques se dira sans doute que se taire parfois, c’est déjà un peu sauver la planète.

Naviguer dans le capitalisme

En plein tournage d’une vidéo pour les réseaux sociaux, les Jeunes en résidence partagent leurs questionnements sur l’utilisation de ce canal hautement capitaliste : « On risque le slacktivisme, le militantisme du clic, car on est en concurrence directe avec tous les autres créateurs de contenu. Est-ce qu’on joue avec les règles du jeu, au risque de perdre ? Est-ce que si on ne rentre pas dans le jeu, on perd de fait ? » s’interroge un participant.

Un questionnement auquel aucun·e militant·e n’échappe. La résidence leur a fait réaliser qu’iels vivaient leur engagement sur un mode paradoxalement capitaliste, à savoir productiviste. « J’ai arrêté de danser quand je suis devenu effondriste, nous raconte Maxime. Il n’y a pas d’utilité propre à l’art dans une pensée productiviste. J’ai pensé n’avoir plus de temps à perdre, entre les blocages et les tribunes. Là j’en reviens, je prends du plaisir. Pour citer Emma Goldman : “Si je ne peux pas danser à la révolution, je n’irai pas à la révolution.” ». Un propos en effet appuyé par les autres membres des Jeunes pour le vivant que j’ai pu rencontrer, qui disent leur soulagement à réintégrer le plaisir et le partage artistique au cœur de leur militantisme.

L’art permet d’accorder ton cerveau, ton corps et ton âme. Ça fait écho. Il n’y a pas d’échappatoire et c’est beau.

Voir Aussi

L’expérience est concluante pour Yazid Bennour, chanteur résident, qui me raconte sa prise de conscience ou plutôt sa prise de « sens » écologique : « Ce que j’ai découvert avec les Jeunes pour le vivant, au travers des exercices philosophiques, de théâtre et d’art, c’est le lien, la télépathie corporelle avec les autres et avec le vivant. Ça a beaucoup influencé ma pratique artistique et mon mélisme. Il faut prendre soin de ce lien. Un nanti, il peut gaspiller. Un sans-papier, qu’est-ce qu’il va penser à la planète, il est privé du droit fondamental du travail. Qui que nous soyons, nous sommes coupé·e·s de ce lien. Donc il faut apprendre à le sentir. On essaie de passer par l’art pour le révéler. L’art permet d’accorder ton cerveau, ton corps et ton âme. Ça fait écho. Il n’y a pas d’échappatoire et c’est beau. »

A l’issue de la résidence, les Jeunes pour le vivant se sont structurés pour devenir le collectif « Le bruit qui court « . Iels organiseront un festival en août 2022. Stay tuned !


Agir pour le vivant 1/3 : Surprise décoloniale chez Actes Sud

Agir pour le vivant 2/3 : Que faire de nos contradictions ?

Image à la Une : © Nathalie Dargentolle / Flickr

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