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Jean-Victor Blanc, le psychiatre qui fait de la pop culture un outil de prévention

Jean-Victor Blanc, le psychiatre qui fait de la pop culture un outil de prévention

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Peut-on rendre un sujet de santé publique sexy ? Oui, grâce à Mariah Carey et Britney Spears. C’est en tout cas l’approche qu’a choisi le psychiatre Jean-Victor Blanc : en s’appuyant sur des références de la pop culture, ce spécialiste exerçant à l’hôpital Saint-Antoine développe un moyen novateur d’informer sur la santé mentale.

Livres, conférences, ciné-clubs, podcast : depuis 2018, Jean-Victor Blanc multiplie les propositions originales pour parler de maladies complexes et mal connues. De Happiness Therapy à Las Vegas Parano en passant par Euphoria et la vie de grandes icônes pop, il sélectionne productions et anecdotes pour attirer l’attention et rendre accessible des fondamentaux de santé. Après son ouvrage Pop&psy (PLON), il publie cet automne Addicts, comprendre les nouvelles addictions et s’en libérer (Arkhé). Grâce à un solide travail de synthèse, des témoignages de patient·es et quelques blagues, Jean-Victor Blanc nous amène avec bienveillance à analyser nos dépendances. Alors que les confinement et la pandémie ont eu des conséquences lourdes sur l’état psychologique de la population française, cette approche semble plus que jamais essentielle pour briser les tabous qui entourent encore trop souvent nos maux.

Manifesto XXI – En introduction de votre podcast Psycho pop, vous dites « faire le pari qu’en intégrant les plus fragiles, la société s’en portera mieux ». La jeune génération est plus sensible aux questions de santé mentale, à quel point cela porte un espoir de changement selon vous ? 

Effectivement il y a vraiment un effet générationnel. C’est difficile de faire une séparation à la hache, mais la tranche des moins de 35 ans me semble assez juste. C’est à la fois la première génération qui a autant parlé de sa santé mentale, et qui autant de modèles qui l’évoquent. Ce sont aussi les premiers qui ont accès aux réseaux sociaux, et donc à des communautés, et une entraide qui échappe aux médias traditionnels, à la censure, à des normes qu’il peut y avoir dans les productions culturelles… Je pense que la différence est là, et aussi, malheureusement dans la fréquence des troubles. Leur prise en charge accrue fait que tout le monde se sent un peu concerné. Ce qui me fait utiliser la pop culture comme moyen de prévention et axe de communication c’est que ce qui se passe autour de la santé mentale, c’est un peu la même chose qui a pu se passer autour des questions du genre, de l’origine ethnique… Beaucoup de sensibilités qui étaient invisibilisées sont aujourd’hui représentées et deviennent même banales. C’est positif et source d’espoir.

Il y a un vrai travail à faire à l’intersection des questions de santé sexuelle et de santé mentale.

Jean-Victor Blanc

Un militantisme est aussi en train de se structurer autour des sujets de santé mentale, par exemple pour la reconnaissance des spécificités de l’autisme. Est-ce une bonne chose pour le dialogue avec les soignant·es ?

L’exemple le plus flamboyant qu’on ait sur le militantisme et la santé, c’est bien sûr la lutte autour du VIH et tout ce que les mouvements politiques amenés par les patients ont changé dans les prises en charge. La notion de « patient expert » ça vient du VIH et maintenant cela existe dans la plupart des pathologies. Ce qui est particulier à la santé mentale, c’est que ces représentations héritent de l’histoire de la psychiatrie sur la question de l’orientation sexuelle. Aujourd’hui, pour les personnes concernées se cumulent la stigmatisation des questions de genres et de troubles psychiques. 

Il se trouve que j’ai une consultation spécialisée en chemsex et on y voit bien les conséquences de l’homophobie et de la psychophobie. Il y a un vrai travail à faire à l’intersection des questions de santé sexuelle et de santé mentale. C’est positif qu’on arrive enfin à parler de santé mentale et d’orientation sexuelle parce que longtemps c’était tabou, alors que les communautés LGBTQI+ subissent plus de violences d’un point de vue psychique. L’orientation sexuelle était pathologisée, et les personnes concernées ont intériorisé des représentations extrêmement négatives de la santé mentale… Donc c’était la loi du silence : « je suis déjà homo, il y a le VIH, on va pas en plus me dire que je suis fou. » Heureusement que tout ça évolue, avec un vrai effet générationnel.

Pourquoi avoir choisi de vous spécialiser dans le soin de l’addiction ? 

Un ensemble de choses m’ont mené à la psychiatrie d’abord, puis à la question de l’addiction et notamment du chemsex. Accompagner et soigner les troubles psychiques est passionnant. L’intrication avec les questions sociales et leurs représentations artistiques; où les choses évoluent beaucoup, me rend optimiste même si l’état des lieux du système de santé n’est pas toujours encourageant. 

Jean-Victor Blanc Addicts

De nombreux articles relatent une augmentation des troubles dépressifs, anxieux et des TCA (ndlr : Troubles du Comportement Alimentaire) depuis le confinement. Êtes-vous inquiet des conséquences de la crise sanitaire sur la santé mentale nationale ?

En tant que médecin hospitalier, j’ai vu des conséquences à deux niveaux. Chez les patients déjà suivis, il y a eu une forme d’épuisement, pas tant liée au contexte pandémique mais aux incertitudes qu’il a entraîné. Il y a des profils à risque : Les urbain·es qui vivent seul·es, célibataires. Et puis celles qui ont une profession dans les secteurs mis sous cloche, art et spectacle, restauration. J’exerce dans le XIIe à Paris donc des patients qui correspondent à ces profils: les mesures de confinement iels les ont vécu de plein fouet.

Ensuite, lors des gardes aux urgences, on voit aussi des personnes qui consultent pour la première fois, et pour lesquels la crise du Covid a été à l’origine de bouleversements et d’un déraillement dans leurs vies. Ces nouveaux patients viennent suite à des tentatives de suicide, de décompensation psychiques ou de pathologies, soit qu’ils avaient déjà, soit d’entrée dans les soins psy. Et tous les indicateurs montrent une hausse de ces décompensations, et on ne sait pas dire la fin de cette vague. 

Même si on aimerait que le gouvernement fasse encore mieux, on n’a jamais eu autant de médiatisation et d’annonces sur la santé mentale…

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Jean-Victor Blanc

Comment expliquez-vous le fait que les patients semblent avoir mieux vécu cette période du premier confinement ? Est-ce dû à une réduction du stress, à l’arrêt de la vie « normale » ?

Ce qui ressort dans le discours des patients, c’est qu’effectivement ils ne sont plus confrontés aux transports en commun, à aller au travail… donc il y a une réduction de beaucoup de facteurs de stress. Il y avait aussi une dimension très solidaire où pour une fois, tout le monde était confiné. Certains ont fait un parallèle entre cette période et des moments d’hospitalisation qu’iels ont pu avoir en service psy. Les personnes qui ont déjà fait l’expérience d’un internement savent ce que c’est qu’être dans une chambre, ou du moins un espace clos, et de perdre temporairement de sa liberté. Ils connaissent aussi l’arbitraire de la maladie et ses conséquences. Enfin, une troisième explication, qui dépasse le confinement et me fait garder espoir, c’est que pour un certain nombre, le fait que le sujet de la santé mentale devienne un sujet prioritaire est positif. Les articles que vous avez cité n’existaient pas avant. Même si on aimerait que le gouvernement fasse encore mieux, on n’a jamais eu autant de médiatisation et d’annonces sur la santé mentale… Ce sont des choses qui auraient pu voir le jour avant mais qui arrivent maintenant. Une patiente atteinte de troubles bipolaires que je suis m’a dit ressentir une atmosphère plus bienveillante parce qu’il y a ce côté « tout le monde est fragile en ce moment ». Il y a des effets avec lesquels on peut essayer de positiver. 

Est-ce qu’il y a des œuvres qui donnent des modèles particulièrement positifs de résilience en matière de santé mentale ?

Dans la saison 3 de Pose, il y a toute une représentation des addictions dans les milieux LGBT afro-américain qui est très très juste. C’est très américain mais c’est très différent de ce qu’on voit d’habitude. On sent un travail de recherche, de respect par rapport à la problématique, tout en rendant bien scénarisé, fictionnel, avec un côté soap de la série… Ça montre qu’on peut faire quelque chose d’esthétique en parlant d’un sujet grave. Dans les séries marquantes récentes, il y a Euphoria, en particulier les deux derniers épisodes. 

Je trouve que le recours aux récits de personnes concernées et d’artistes est toujours intéressant. Pour la préparation du livre, je me suis replongé dans un podcast auquel a participé Lily Allen. Ça parle de célébrité très jeune, d’un milieu pas très bienveillant, des produits pris à différents moments de sa vie et le constat que tout cela était trop. Elle a écrit beaucoup de morceaux la dessus, puis a été mise sur la touche pour tout cela. Aujourd’hui elle est sobre depuis plusieurs années et s’est mariée avec un acteur, qui a déclaré vivre avec un trouble bipolaire… Il y a une cohérence et authenticité entre ce parcours artistique et ce que la personne exprime. Bien sûr qu’il y a une part de communication, c’est son métier, mais ce n’est pas que ça. Je trouve que ce type de récit, de personnes qui racontent leur parcours, les ressources qu’ils ou elles ont trouvé et qui aujourd’hui vont bien, c’est quelque chose de particulièrement inspirant.

L’entourage joue un rôle clé dans le mieux-être des personnes fragiles. Quelles œuvres montrent les bons comportements à avoir avec un·e proche fragile ?

Pour ce qui est des addictions, il y a ce rôle de Julia Roberts dans Ben is back qui est assez touchant du point de vue de l’amour maternel représenté. Ça questionne aussi les limites de l’aide que peuvent fournir les proches face à la maladie. C’est très beau, et pas évident car la fin est assez ambivalente. L’idée à la base de Culture Pop & Psy, c’est de prendre les films tels qu’ils sont, et non dans une optique de censure ou ni de dénonciation. Les films sont un support de discussion plutôt que quelque chose qui doit être documentaire…  Et c’est ce qui rend les échanges lors du ciné club au Brady ou lors des conférences Mk2 aussi passionnants pour moi ! Chacun à son regard et sa sensibilité sur les œuvres. Mon seul critère de choix pour les films est d’éviter les œuvres stigmatisantes et qui ne respectent pas leurs personnages atteints de troubles psychiques !


  • Tous·tes Addict·e·s ? : talk, rencontre et showcase de Louisadonaa, mercredi 10 novembre à Ground Control (en partenariat avec Manifesto XXI)
  • Whitney, Ciné-club Culture Pop et psy mercredi 17 novembre au Brady
  • Le nouvelles addictions : de l’Euphoria à Requiem for a Dream, samedi 20 novembre à Mk2 Beaubourg
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