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Fan-art : le nouvel art du peuple ?

Fan-art : le nouvel art du peuple ?

Il est loin le doux temps cher à notre bon Patrick Sébastien où les orchestres d’harmonie animaient les fêtes de villages au son des chants traditionnels paysans. Oui, une certaine forme d’art populaire a bien disparu avec la modernité. Mais la pop-culture nous donne aujourd’hui l’opportunité de recréer les communautés d’antan : les fandom qui se réunissent autour du fan-art.

fan-artLe fan-art est selon Wikipédia « toute œuvre réalisée par un fan et s’inspirant ou reproduisant un ou plusieurs personnages, une scène ou l’univers d’une œuvre existante, qu’elle soit littéraire, picturale ou audiovisuelle ». Certains font remonter les origines du fan-art à celle des beaux-arts : les peintures de la Renaissance sont des fan-arts de la Bible dans un certain sens. Mais c’est quand nous avons tous fini par comprendre que la vie était bien plus belle sur Internet que dans le monde réel que le fan-art a pris l’ampleur qu’on lui connaît aujourd’hui.

Pour comprendre comment nous en sommes arrivés à inonder des pages Deviant Art de détournement porno de My Little Pony, il faut retourner plusieurs années en arrière. Comme le rappelle l’angliciste Cécile Cristofari dans son article « La culture populaire revisitée par les fanfictions et les jeux de rôle », pendant l’époque moderne l’œuvre est considérée comme produit d’un individu et à ce titre, d’autres individus ne peuvent la modifier. Les années 60 vont voir débarquer non seulement Johnny, mais aussi une nouvelle façon d’appréhender les œuvres : détachées de leur auteur, elles sont considérées comme un tout en soi, qu’on peut interpréter de plusieurs façons, mais pas encore retoucher.

Cela nous amène donc à l’époque actuelle où les œuvres sont largement plus désacralisées et accessibles avec Internet et en particulier le téléchargement. L’œuvre est non seulement détachée de l’auteur, mais elle appartient à ses fans qui peuvent prendre la liberté de la modifier, de s’y projeter et même de harceler un auteur si la suite de sa saga préférée n’arrive pas assez vite à son goût (George Martin, on te soutient).

Pourquoi un tel engouement pour les récits des escapades sexuelles d’Harry Potter ou des Télétubbies ? Qu’est-ce qui peut pousser une personne saine d’esprit à dessiner ce genre de choses ?

fan-art

C’est que le fan-art répond à deux aspirations des classes moyennes et populaires d’aujourd’hui : l’envie d’individualisation et le besoin d’appartenance à une communauté. Le créateur de fan-art vise la reconnaissance de ses pairs à travers ses créations : les plates-formes de fan-art les plus connues, DeviantArt et Fanfiction.net fonctionnent avec des systèmes de commentaires et de followings. Les créateurs appellent eux-mêmes les visiteurs de ces sites à commenter leurs œuvres et les avis négatifs n’y ont généralement pas bonne presse. Il y a une vraie quête de valorisation de soi à travers l’exposition de ces œuvres, la même valorisation à laquelle aspire un candidat de télé-réalité et de télé-crochet…

Mais à la différence de ceux-ci, le créateur de fan-art cherche aussi l’appartenance à une communauté : le fandom. Toujours selon Wikipédia, le fandom ou fanbase « désigne la sous-culture propre à un ensemble de fans, c’est-à-dire tout ce qui touche au domaine de prédilection d’un groupe de personnes et qui est organisé ou créé par ces mêmes personnes ». En résumé, c’est la communauté de fans qui se crée autour d’un objet culturel. Le fandom permet à l’amateur de fan-art de se sentir intégré dans un groupe où il sera valorisé pour sa passion et son intérêt pour un sujet, même peu connu. Le fandom est fondé sur une culture commune, mais aussi sur l’échange entre différents fans et des liens très forts peuvent se créer en son sein. C’est particulièrement rassurant pour un ado qui peut avoir des difficultés à créer du lien et rencontrer les critères d’intégration des groupes in real life.

Le monde du fan-art serait donc un monde de bonheur, d’acceptation et de dessins de Princesses Disney ? Pas forcément. Le fan-art n’est pas dénué de critiques. Le fan-art c’est la plus pure expression du kitsch, au sens scientifique et au sens commun. Pour Greenberg, le kitsch c’est l’expression d’un succédané de culture destiné à un divertissement des masses insensibles à l’art véritable. Et c’est vrai que le fan-art reste centré sur la culture populaire (à part quelques incursions dans la culture classique comme les fanfictions sur la mythologie) et garde donc une qualité artistique limitée.

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Le fan-art peut être aussi du kitsch à l’état pur : histoires d’amour dégoulinantes, personnages chevaleresques sans défaut, dessins saturés de cœurs… Le but du fan-art n’est pas tant la performance artistique que la réparation des frustrations engendrées par l’œuvre originale (du type « J’aurais tellement aimé que Harry ait pécho Hermione ») et l’envie de se projeter avec ses héros préférés (du type « J’aimerais être la copine de Legolas et brosser ses cheveux soyeux »). Dans ce monde parallèle, les normes de respect de l’œuvre originale et de cohérence ne s’appliquent pas. Un homme peut par exemple parfaitement tomber enceint dans le monde du fan-art, c’est même un sous-genre à part entière : le male-preg.

« Cinquante Nuances de Grey », sans doute la fan-fiction la plus connue à ce jour est d’ailleurs un monument de kitsch. Mais si « Cinquante Nuances de Grey » est un mauvais livre parce qu’il ne respecte en rien les conventions du monde littéraire, ce n’en est pas pour autant une mauvaise fanfiction, car elle correspond aux normes établies du fan-art qui visent un but différent que celui de l’édition.

Certes, le fan-art ne restera pas au Panthéon de l’histoire de l’art. Certes, il y a peu de chances qu’on en voit un jour dans un musée ou publié à La Pléiade. Mais au fond ce n’est pas grave, parce que le fan-art ne sert pas à ça. Le fan-art sert à retrouver le même plaisir qu’avaient nos aïeux à chanter les chansons populaires : se retrouver avec ses semblables pour le plaisir d’être ensemble et de partager un amour commun. C’est cucul la praline ? Peut-être, mais par les temps qui courent un peu de niaiserie ne nuit pas et chacun a droit à son réconfort. Et sur ces bonnes paroles, je pars noyer mon désespoir existentiel en lisant l’histoire d’amour torride en vingt-six chapitres entre Squeezie et le Joueur du Grenier.

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