Tout est dans le titre, WHERE’S THE LIGHT ? Pour son deuxième album, Joanna a composé à partir de la douloureuse expérience d’une dépression. L’artiste en est revenue, et avec un des plus beaux disques de l’hiver. Entretien.
C’est une renaissance pleine de grâce et d’audace. Du RnB langoureux et fantasmagorique de Sérotonine (son premier LP), Joanna a évolué vers une large palette de sonorités électroniques. Les morceaux de WHERE’S THE LIGHT ?, soutenus par des passages techno ou des arrangements hyperpop, alternent harmonieusement avec les notes d’un piano mélancolique (« L’ORAGE N’A JAMAIS AUSSI FORT »). A sa façon, chaque chanson raconte le combat pour se reconnecter à l’envie de vivre (« FIGHTING »). Ces compositions riches de contraste ont une saveur particulière, puisque c’est la première fois que Joanna produit ses morceaux elle-même. Côté texte, une poésie de la résurrection se déploie sans éluder « ses démons » comme elle les appelle et les larmes si nombreuses qui ont coulé. Joanna parle toujours de sexe, de sensualité, d’un amour impératif puisque que demain tout peut s’achever (« APOCALYPSE »). Surtout, la chanteuse révèle une voix cristalline et envoûtante. Depuis notre dernière rencontre en 2019, nous avions donc beaucoup à nous dire. Joanna nous a parlé de ballades en forêt, de traumas, condition d’artiste indépendante et de catharsis.
Manifesto XXI – Cet album est un virage esthétique par rapport à ton premier. Je sais que tu crées beaucoup à partir du visuel, alors quel était ton moodboard pour la création de ce disque ? Quelles ont été tes sources d’inspiration ? Ta technique vocale a évolué aussi.
Joanna : Un élément important c’est que j’ai pris des cours de chant quand j’ai tenté l’Eurovision. Ça m’a permis de rencontrer mon potentiel vocal et je l’ai exploité quand j’ai commencé à écrire l’album. En parallèle j’ai passé beaucoup de temps dans la nature, particulièrement dans la forêt et ça a ouvert un truc en moi. C’est comme si, avec ma voix, j’allais chercher les profondeurs des bois. Ce sont les deux choses qui ont donné la couleur de l’album, cette envie d’aller très loin et d’observer des détails, comme pour méditer. J’ai aussi été très inspirée par la technique vocale de Caroline Polachek. Dans sa manière d’en parler en interview, j’ai senti sa passion pour le sujet et ça m’a inspirée. Dans les images je n’avais pas vraiment de référence consciente.
Quand tu es dans la nature et que tu prends le temps d’observer, grâce à la beauté des choses tout devient plus léger.
Joanna
Cet album parle de dépression, un épisode de maladie que tu as traversé. Où est-ce qu’on trouve des lueurs d’espoirs quand on a du mal à voir la lumière au bout du tunnel ?
Dans la forêt, le temps s’arrête. Quand tu te rends compte que le temps est une affaire de perception, dans le sens où chaque chose à sa temporalité, ça permet de sortir de l’urgence et de l’impatience, de toutes ces choses qu’on peut ressentir quand on est en ville. Quand ça ne va pas et qu’on a des attentes. Quand tu es dans la nature et que tu prends le temps d’observer, grâce à la beauté des choses tout devient plus léger. C’est là que tu trouves ton propre temps à toi, et que tu peux admettre que tu ne vas pas bien, que tu peux prendre le temps de guérir.
Tu es passée par de la déconnexion aussi ?
Oui bien sûr. Quand ça allait un peu mieux, j’ai pris une semaine toute seule en résidence pour me remettre dans l’album et je n’allais plus sur Insta. Je n’ai parlé à personne pendant 5 jours et c’est comme si j’avais reboot quelque chose. Je me suis retrouvée moi-même, et avec, la musique que j’ai envie de faire. C’est là que j’ai commencé à faire des prods, c’était comme un nouveau départ. Je pense que je n’avais pas eu de temps seule depuis très longtemps, peut-être parce que ça me faisait peur. C’est bateau dit comme ça mais il faut avoir du temps pour soi.
Je pense [que derrière ce changement] il y a un petit rejet de l’industrie de la musique. J’avais envie d’aller contre tout ce qui m’a fait du mal.
Joanna
Entre le premier et le deuxième album, tu passes d’une couleur RnB à des sonorités électro, voire techno assez marquées. Qu’est-ce que ça veut dire pour toi d’avoir trouvé plus de réconfort dans ces sonorités ?
Il y a deux choses. D’abord je me suis cherchée et c’est à travers le rap que j’ai repris l’écriture. Ça m’a beaucoup aidée à travailler ma poésie, et à partir du moment où j’ai repris l’écriture, mon entourage a changé et je me suis retrouvée plus proche .
Après j’ai toujours été un peu frustrée par les productions que j’ai depuis le début parce que j’étais un peu dépendante des personnes avec qui je travaillais et je n’avais jamais vraiment touché ce que je voulais musicalement. Quand j’ai pris confiance en moi et que j’ai fait le pas d’écrire mes compos, je suis retournée à ce que j’aime profondément. J’écoutais beaucoup de musique électronique ado. Autour de 13 ans, j’ai découvert l’ambient sur soundcloud, et c’est une scène qui m’a toujours porté. Je pense [que derrière ce changement] il y a un petit rejet de l’industrie de la musique. J’avais envie d’aller contre tout ce qui m’a fait du mal.
Qu’est-ce qui t’a fait du mal ?
Le fait de ne pas forcément avoir ma place en studio. Même si j’ai eu de la chance et que je ne me suis jamais vraiment marché dessus, j’ai toujours dû suivre l’avis d’un mec. J’ai été assez influencée, dans le sens où… comment dire ? J’ai toujours fait ce que je voulais faire, mais jamais exactement comme je le voulais. C’est une question de circonstances, et là j’avais vraiment envie d’écouter mon cœur, de trouver les accords qui me touchent vraiment et écrire à partir de ça, explorer. Avant je n’avais pas le temps pour ça, fallait tout le temps sortir des prods et des chansons, qu’en sortant du studio ce soit fini. Une « méthode rap » qui en fait ne me convient plus.
C’est ça qui est dur [quand tu es indépendant·e], rester rêveur et créer, tout en gérant ces sujets. L’un ne nourrit pas l’autre.
Joanna
Est-ce qu’il y a des choses que tu regrettes dans ta précédente era ?
Non franchement. J’ai toujours réussi à aborder les thématiques que je voulais, faire passer des messages, la musicalité était proche de ce que j’aime. Je ne regrette pas, au contraire, c’est grâce à ça que je peux faire la musique que je veux.
Sur ton compte Instagram, tu parles souvent de la difficulté d’être une artiste indépendante, qui a son propre label. Qu’est-ce qui est le plus dur pour toi à ce stade ?
Il y a plusieurs choses. Le premier c’est le sentiment d’être seul·e, et donc c’est important d’être entourée de gens qui comprennent vraiment ton projet, qui y croient. La deuxième chose, c’est l’industrie de la musique en tant que système. C’est en train de profondément changer, on est de plus en plus d’artistes (émergent·es) à avoir nos labels et nos sociétés. On construit sur notre volonté de liberté, en revanche ça reste très longtemps précaire, donc c’est dur financièrement. C’est dur de consacrer du temps aux réseaux sociaux aussi, de les nourrir puisque c’est là que tout se passe. Quand tu es indépendant·e tu as plein d’autres choses à faire, comme l’administratif. Ça fait une charge mentale de 4 personnes ! C’est ça qui est dur, rester rêveur et créer, tout en gérant ces sujets. L’un ne nourrit pas l’autre.
Quand tu parles du système de l’industrie de la musique, tu parles du productivisme ?
Le commercial oui. Typiquement sur un album, même s’il y a deux ans de travail et que des gens ont taffé dessus, si t’as pas de radio, t’as pas de médiatisation, si t’as pas de vues, tu fais pas de concerts… C’est un cercle vicieux. Parfois, je me dis que la dernière carte c’est d’aller bombarder sur TikTok et ce n’est pas ce que j’ai envie de faire. De toute façon, une carrière qui dure dans le temps met du temps à se consolider, et moi j’ai envie que ça dure toute la vie.
On peut guérir [des violences sexuelles] en étant là pour les autres. En se positionnant dans la vie de tous les jours. En fait, il faut extérioriser, il faut que ça sorte du corps. Ça prend du temps et tout le monde n’a pas conscience que notre corps a besoin de sortir [la violence].
Joanna
Dans l’album, la chanson « Ce n’est pas si grave » est suivie de « Je ne suis pas un objet ». Est-ce que tu penses qu’on guérit vraiment de ce genre de traumatismes ?
C’est tellement large comme question. C’est à la fois personnel, psychologique et politique. Dans un premier temps, on apprend à vivre avec. Guérir, c’est vraiment un pas. Il faut travailler sur soi pour ça. Quand j’ai écrit cette chanson, j’étais encore un peu dans le flou. Ce n’est que quand je l’ai chantée sur scène que j’ai réalisé ce que j’étais en train de dire. Je pensais que j’étais passée au-dessus, mais non je me suis rendue compte que j’étais toujours prise dans cette histoire, que j’étais toujours en colère, que ça fait toujours partie de moi.
On peut guérir [des violences sexuelles] en étant là pour les autres. En se positionnant dans la vie de tous les jours. En fait, il faut extérioriser, il faut que ça sorte du corps. Ça prend du temps et tout le monde n’a pas conscience que notre corps a besoin de sortir [la violence]. Ma manière c’est en tout cas de le faire à travers la musique, et en allant faire une psychothérapie (rires).
Il y a une possibilité de guérison en tout cas.
Oui, tous les chemins sont possibles. Le corps est capable de se remettre de tellement de choses.
J’ai une question un peu plus intime pour toi : plusieurs de tes chansons parlent de désir pour des femmes, or on sait que les femmes bi et pan ont une santé mentale plus fragile. Est-ce que ça te parle ?
Je ne savais pas du tout ! C’est sûr que je me suis toujours sentie différente dans ce que je ressentais pour les autres, depuis toute petite. J’ai beaucoup été amoureuse de mes ami·es et je le traduisais en me disant que j’étais un garçon. C’est toujours là, même si je suis très féminine. J’ai commencé à en parler avec CHÉRI [voir leur feat « Torrent de larmes », ndlr], avec qui j’échange beaucoup sur ces sujets et c’est la première personne avec qui j’en parle ouvertement. Je ne me sens pas très légitime de me poser toutes ces questions, alors que j’ai totalement le droit… Mais oui je pense que ça joue dans mon rapport à l’amour, au corps.
Tu parles beaucoup de larmes dans tes chansons, qu’est-ce qui te fait pleurer ?
Beaucoup de choses ! La colère. Le passé aussi. L’injustice. Typiquement, dans ce qui se passe [en Palestine] en ce moment, tout déclenche les larmes.
Joanna sera au Trianon le 10 avril, retrouver toutes les dates de la tournée ici.
Image à la Une : © Erika Kamano
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