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Sortons de l’hétérosexualité ! par Romy Alizée

Sortons de l’hétérosexualité ! par Romy Alizée

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Romy Alizée est photographe et performeuse porn sous le nom de Romy Furie. Pour sa première chronique elle s’attaque donc à un sujet aussi intime que politique : l’hétérosexualité.

La Station, un soir d’hiver. J’accrochais mes posters en vue d’une expo, lorsqu’une personne queer m’aborda : « Du coup toi t’as un mec, t’es hétéro c’est ça ? ». Les apparences sont trompeuses et de nos jours, assumer un désir fluide dans une société hétéronormative peut s’avérer compliqué, surtout lorsque l’on doit en prime se justifier.

Pour réfléchir collectivement à l’hétérosexualité « comme tête de pont de la domination masculine » pour citer Adrienne Rich (Contrainte à l’hétérosexualité), un festival se tiendra au 59 Rivoli du 24 septembre au 07 octobre prochain. Baptisé « Sortir de l’hétérosexualité », il proposera au travers d’œuvres, de lectures et ateliers de remettre en question le modèle unique de sexualité imposé par nos sociétés patriarcales. 

Alors que la jeunesse actuelle semble se détacher de plus en plus de ce modèle archaïque, il reste fréquent d’entendre au détour d’une conversation un « Moi, pédé ? Jamais ! » ou encore « Les gouines c’est dégueulasse. », signes évident d’un refus de remise en question et de prise de recul quant au conditionnement de son propre désir. 

Du haut de mes 30 ans, j’ai toujours trouvé l’herbe plus rose ailleurs et le couple hétérosexuel par défaut m’a toujours questionnée par la violence des rapports de domination qu’il instaure. Pourtant, j’ai été amoureuse d’hommes et à une époque j’ai moi-même calqué mes relations sur ce que je voyais au cinéma, dans les magazines ou dans ma famille. Je voulais plaire aux hommes, car de leur regard sur moi, dépendait ma valeur et sans modèles extérieurs de relations non hétéro, il m’était difficile de me projeter dans une vie sentimentale et sexuelle différente. Et pourtant…

Quand j’étais enfant, j’avais dans mon entourage un couple de gouines, amies de ma mère. L’une était fem et l’autre plus masculine. Pour moi, elles étaient des adultes normales à qui je pouvais faire du charme dans l’espoir d’obtenir une sucrerie. Quand elles n’étaient pas là les adultes les appelaient « les gouines », signe qu’une personne gay est systématiquement identifiée par sa seule orientation sexuelle. Je devais avoir trois ans quand un soir, elles m’ont babysittée. Dans cette grande maison où l’odeur de clope faisait partie du décor, un unique souvenir m’est resté : je me vois quitter mon lit et passer la tête à travers la porte de leur chambre, discrètement, pour “voir”. Curiosité de gamine mêlée à un désir plus grand qui ne me quittera jamais, celui d’accéder à ce que j’imaginais être un monde à part, hors-norme, transgressif aussi. Parfois, une simple image vous change à jamais. Ce n’est pas un hasard si je suis devenue photographe. J’aime imaginer que des jeunes filles tomberont un jour sur mes photos et se sentiront libre d’être elles-mêmes et d’aimer qui elles souhaitent. 

Comme une invitation à voir plus grand, à rêver plus fort, hors des normes. Hélas, le doux souvenir de ce modèle de femmes en couple s’est brisé lorsque ma mère m’a appris qu’elles se séparaient : « H. se marie avec un homme car elle veut un enfant ». Adieu lesbiennes, adieu sentiment d’étrangeté fantasmagorique. La claque était là. Quinze années plus tard, je m’en suis enfin rappelée. Oui, cet émoi lesbien, je l’avais en moi, il n’était pas mort, il était simplement endormi…

Ma première copine, je l’ai eue à 19 ans et mon coming-out bi a suivi. Je ne tirais pas un trait sur mes relations avec des hommes cis mais j’accueillais alors mon désir de femmes avec plus de sérénité. Sans surprise, j’ai eu droit à des réactions infantilisantes, des blagues biphobes ou pire, à des aveux libidineux et misogynes de la part d’hommes conditionnés. Sûre de moi lorsqu’on me moquait pour ce « revirement de situation », je me suis trouvée médusée face à mon premier sms de rupture gay : « Romy, je crois que tu es hétéro ». Deuxième claque. Le doute reprit ses marques, le sentiment d’être une imposture en terres lesbiennes se fit une place et ma bisexualité se retrouva niée. 

Finalement, et après avoir eu des histoires autant avec des femmes que des hommes, il m’est toujours difficile de me catégoriser et au fond, est-ce vraiment important ? Mon désir est fluide et l’a toujours été, il est mouvant et brouille les pistes, jusqu’à me surprendre encore. Les gens peuvent bien projeter ce qu’ils veulent sur moi. Je préfère me battre contre l’hétéronormativité en ce qu’elle conditionne les âmes et les corps et vous invite à venir nous voir au festival pour en discuter !

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