Le FGO-Barbara s’apprête à fêter ses 10 ans les 12, 18, 19, 20 et 21 septembre à travers différents événements : concerts, exposition et projections. Implanté au cœur de la Goutte d’Or, le FGO-Barbara est tout sauf une « coquille vide », comme le sont ses voisins du Boulevard Rochechouart – La Cigale, l’Élysée Montmartre, la Boule Noire ou Le Trianon. Au contraire, la structure déborde de vie : il suffit de jeter un œil à son architecture moderne pour saisir son dynamisme.
En plus de proposer une programmation de concerts qui laisse la part belle aux nouveautés tout au long de l’année, le FGO-Barbara est un véritable lieu de vie, de partage et d’échanges. L’établissement propose surtout un programme d’accompagnement à des artistes minutieusement sélectionnés. Le dispositif leur permet de bénéficier d’une aide financière, matérielle, technique et de conseils de professionnels pour développer leurs projets, que leur pratique soit de loisir ou en voie de professionnalisation. Nous avons rencontré Sayem et Benjamin, responsables de l’accompagnement, pour discuter de ce programme qui vaut de l’or.
Manifesto XXI – Revenons sur l’historique de la structure. Quelle initiative est à l’origine du FGO-Barbara ?
Sayem : Le FGO-Barbara a été créé il y a 10 ans. C’était un équipement Jeunesse et sport. Le cœur du FGO-Barbara a toujours été l’accompagnement et l’aide à la pratique musicale loisir des jeunes (de 13 à 28 ans).
Ça a toujours été un lieu atypique, avec une programmation sans complexes qui permet de donner de la place à des groupes qui pourraient difficilement être programmés ailleurs. Nous sommes un lieu subventionné qui encourage la création, la diversité des musiques et des pratiques. Un jour on peut se retrouver à écouter un concert de punk féministe et le lendemain un groupe de rock du Moyen-Orient. Il y a un mixage très intéressant, et il y a souvent un lien avec des films documentaires.
Depuis 3 ans, la grosse différence est qu’on est passés sous l’autorité du ministère de la Culture avec les affaires culturelles de la Ville de Paris : ça a pu changer des choses sur la programmation par rapport aux résidences. Mais le pôle le plus impacté a été l’accompagnement. Même si nous continuons de nous occuper de la pratique loisir, ça nous a ouvert aussi la possibilité de pouvoir accompagner des groupes qui désirent en faire leur métier. C’est vraiment très important parce qu’on essaie d’aider les groupes de manière complètement libre et désintéressée. Aujourd’hui, toutes les offres qui existent pour accompagner les artistes sont payantes – ou il y a de l’intéressement en amont sur les contrats, les éditions, des choses tierces. Au FGO-Barbara, les groupes peuvent venir et parler de tout ce qu’ils veulent. On est juste une oreille bienveillante, il n’y a pas d’enjeu financier derrière.
De quelle façon procédez-vous à la sélection des artistes que vous accompagnez ou que vous accueillez en résidence ?
Sayem : Dans le pôle résidence, ce sont des demandes directes liées à la programmation. En accompagnement, on s’autorise à choisir des artistes sur lesquels on a de vrais coups de cœur. Eddy de Pretto c’était à l’époque des Bars en Trans et on a décidé de le faire entrer en accompagnement suite à ça.
Je précise qu’il n’y a pas d’échelle de niveau, mais une échelle de besoins. On est partis du principe que chaque groupe ou artiste a des besoins différents. On a donc créé deux dispositifs : Parcours et Séquence. Parcours s’adresse aux artistes qui ont vraiment besoin qu’on entre dans les entrailles du projet, qu’on prenne quasiment tout en main. Séquences, c’est pour les artistes qui ont besoin de n’être aidés qu’en surface par des moyens financiers, matériels. Ces deux dispositifs sont mis en place chaque année. Un jury paritaire composé de professionnels bienveillants (artistes, éditeurs, labels, médias…) est renouvelé tous les ans pour nous aider à sélectionner les groupes qui en bénéficieront.
L’accompagnement aide donc des projets artistiques en globalité. Mais est-ce que le FGO-Barbara pousse les groupes à aller vers d’autres acteurs de l’industrie musicale pour se développer (labels, éditeurs…) ?
Sayem : Déjà, il faut comprendre une notion importante pour nous deux : quand on reçoit des artistes, on reçoit d’abord des citoyens, des gens, et on discute avec eux de ce qu’ils sont. C’est le point de départ. Ensuite on discute de ce qu’ils veulent faire et comment ils veulent le faire. Je précise ça, parce que beaucoup de gens pensent faire de la musique mais peu iront au bout. Certains changent de projet en cours de route – pour devenir prof, photographe… On n’est pas une machine qui prend un projet pour tenter de le faire signer ; on se dit juste qu’on reçoit des Parisiens et on essaie de les aider à faire mieux en comprenant leurs besoins.
Sur ces 10 années, avez-vous remarqué des changements par rapport aux groupes que vous accompagnez ?
Sayem : La moyenne d’âge n’a pas changé : c’est toujours entre 20 et 25 ans. Il y a 10 ans on était sur des esthétiques très larges, autant des groupes de métal, de reggae, de hip-hop, de chanson, etc. Aujourd’hui, la jeune génération a su assimiler beaucoup de choses, donc leur musique est beaucoup plus large, elle mélange tout ça. C’est, par exemple, un Eddy de Pretto. Ou c’est Arthur Ely, qui mélange des beats hip hop et des gros riffs de guitare à une écriture très française, bien écrite, qu’il chante de manière rappée.
Benjamin : Tu trouves qu’ils ont plus d’identité artistique qu’il y a 10 ans ? Qu’ils sont plus affirmés ?
Sayem : En fait, les groupes sont beaucoup moins naïfs qu’il y a 10 ans, et ce n’est pas la même ambition. Un groupe qui venait en 2008, c’était pour faire de la musique avec les potes et pouvoir jouer dans quelques lieux. Aujourd’hui, les jeunes ont beaucoup plus envie de faire ce métier, de se professionnaliser. On a même passé le stade des musiciens qui rêvent d’être signés en maison de disque : aujourd’hui, ils sont beaucoup plus indés et ont envie d’être propriétaires de leurs masters, de leurs éditions. La typologie des groupes a aussi vraiment changé, c’est très flagrant. Et cela vient en partie du changement de l’industrie musicale : vendre des disques, faire des concerts, tout ça est beaucoup plus compliqué aujourd’hui. Mais en même temps, le streaming, les stratégies de marketing d’aujourd’hui sont pensés par la jeune génération et permettent de nouvelles choses. Je trouve la liberté de création qui en découle absolument géniale. Et c’est aussi l’évolution de la technologie qui permet cela : une carte son coûte nettement moins cher qu’il y a 10 ou 15 ans. Aujourd’hui, tout le monde a un ordinateur portable, donc tout le monde peut faire de la musique. Il y a des tutoriels gratuits sur Youtube, il y a Ableton Live, il y a Garage Band, même Christine & The Queens l’utilise. C’est génial. Mais ça enferme aussi dans un truc. Parce que, du coup, énormément de gens font de la musique, mais le rapport des groupes qui réussissent n’a pas évolué entre hier et aujourd’hui : la professionnalisation et le succès ne reviennent qu’à très peu de groupes.
Y a-t-il des frustrations communes ? des désirs communs que vous avez ressenti chez les artistes que vous accompagnez qui reflètent la difficulté d’évoluer en tant qu’artiste à Paris ?
Sayem : La frustration existe et existera toujours dans l’art. Entre ce que tu penses faire, ce que tu peux faire et ce que tu fais, il y a une frustration liée à l’artiste lui-même. Après, il y a aussi la désillusion par rapport au métier. Le paradoxe, aujourd’hui, c’est qu’il y a une vraie prise de conscience qu’être indépendant c’est bien ; mais, en même temps, les artistes sont totalement décomplexés avec la célébrité – c’est même ce qu’ils recherchent. Quand t’as besoin de reconnaissance, il y a forcément des frustrations qui peuvent se créer. Les groupes n’auront pas tous les mêmes chances, c’est pour ça qu’il est intéressant qu’ils puissent venir ici pour qu’on les aide à réfléchir sur eux concrètement.
Le plus important pour nous c’est d’être toujours pointu, de proposer du concret.
Après la fin de l’accompagnement, y a t-il une continuité dans votre relation de « mentor » avec les artistes ?
Sayem : L’accompagnement dure un an. Après on fait avec les moyens dont on dispose, donc on a toujours ce problème qualitatif versus quantitatif. On aimerait accompagner plus de groupes. Mais, humainement, c’est impossible : il n’y a que Benjamin et moi pour suivre quarante projets. C’est énorme par rapport à la demande des groupes et à la charge de travail. Mais c’est difficile de réduire, parce qu’on est à Paris. C’est normal qu’il y ait autant de groupes. Mais les choses se font assez naturellement. On les accompagne pendant un an, mais après c’est comme en amitié, il y a des feelings qui passent et des affinités qui se créent, donc on continue parfois à aider des groupes qu’on a accompagné il y a 3 ans. On ne peut bien sûr plus les aider au même niveau d’implication ni avec la même énergie que pendant leur accompagnement. Mais on essaie le plus possible de rester humains et de pouvoir répondre à toutes leurs questions. On aide dès qu’on peut. On a des groupes qui nous envoient des mails comme une bouteille à la mer mais on s’efforce de leur répondre et même de les rencontrer si on peut.
Le FGO a-t-il toujours été soutenu par la Ville de Paris ? Avez-vous cherché d’autres financements ?
Sayem : Le lieu est subventionné. Mais il génère aussi des recettes. L’accompagnement est un programme 100% subventionné. On ne va pas chercher d’autres sources de financement parce que ça permet une totale liberté. On est d’utilité publique, donc l’argent du contribuable nous revient directement. On fait donc très attention à la parité, à la diversité musicale… On essaie de représenter l’émergence parisienne.
Votre implantation au cœur de la Goutte d’Or est-il un choix particulier ? Cela a-t-il une influence sur vos activités ?
Sayem : Ça l’influe parce que c’est un quartier incroyable. Il résume bien la société dans laquelle on vit. C’est un quartier très riche, qui est malheureusement réduit à l’immigration venant d’Afrique du Nord et d’Afrique Noire. C’est un quartier qui a toujours eu des métissages, un quartier populaire en plein Paris. Le FGO est un peu à l’image de ce quartier : atypique, culturellement divers, ambitieux… Je pense que son implantation a été pensée comme une piscine olympique que tu aurais en bas de chez toi : tout le monde peut y aller – la personne qui fait ses cinq ou six longueurs de brasse tranquille comme la personne qui prépare les championnats du monde. Ici, c’est pareil. L’idée était de pouvoir créer un lieu pour la pratique amateure mais avec un équipement professionnel. La Ville de Paris a dû discuter avec différents arrondissements. Le 18e est quand même particulier – il y a pas mal de salles de concerts, la musique fait partie de la vie ; historiquement, il y avait les cabarets, etc. -, donc je pense que c’est une sorte de symbole de nourrir ce genre de lieu qui va mélanger le social et la musique, dans un quartier populaire qui historiquement est un quartier d’artistes.
Vers quoi tendez-vous ?
Sayem : Chaque année on fait une mise à jour sur l’année passée. On se pose la question de savoir si le bilan est satisfaisant, si on peut faire mieux. On veut aider les groupes à s’autonomiser encore plus. Idéalement, j’aimerais bien monter un label solidaire pour pouvoir les aider encore plus, pour produire des clips, des groupes, et faire en sorte qu’ils gardent leurs masters ou leurs éditions.
De quoi êtes-vous le plus fier ?
Sayem : C’est de voir un groupe qui arrive à faire la musique qu’il a envie de faire. C’est ma plus grande fierté. Et c’est la base de notre métier : les aider peu importe qui ils sont et ce qu’ils font. Imaginons que tu entres en accompagnement et que ta caractéristique c’est de chanter faux. Je ne vais pas te dire que ça va te poser problème et le voir comme un défaut. Au contraire, il faut rendre ça cool. Je trouve que c’est super important de rompre avec la norme, il faut accepter les artistes tel qu’ils sont. Et comme ils ont une sensibilité et qu’ils amènent une technique, c’est forcément intéressant et pertinent.
Benjamin : Plutôt qu’une fierté c’est que je trouve ça très beau quand il y a une sorte de synergie, que les gens se rencontrent, qu’ils partagent une problématique commune et qu’ils ne se retrouvent pas forcément seuls. Et quand ils peuvent créer ensemble, c’est ce qu’il y a de plus beau.
Quel conseil pouvez-vous donner à de jeunes artistes qui souhaitent se développer et travailler une résidence ?
Sayem : Se poser la question de pourquoi venir ici, et plus globalement de pourquoi je veux faire la musique. Qui je suis ? Qu’est-ce que je veux faire et comment je veux le faire ? Puisqu’ici les places sont limitées, on est convaincus que ça marchera avec des gens qui ont déjà fait un petit travail sur eux-mêmes. L’artistique est évidemment très important. Mais tout le reste l’est aussi – voire plus.