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Label We Are Vicious. Famille artistique déviante non identifiée

Label We Are Vicious. Famille artistique déviante non identifiée

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We Are Vicious dévie. Tout. La musique, les images, les vidéos. Parmi les projets liés de près ou de loin à la marque, le rap devient pop, la pop devient dark, l’électro devient rap. Tout s’entremêle. L’appellation de cet objet est incertaine. Ni collectif, ni label au sens de distribution, les projets bordelais réunis sous ce nom vicieux se démarquent par leur tonalité étrange, parfois absurde.

Ils réussissent tous la prouesse de produire sérieusement de la musique, sans jamais se prendre au sérieux. Ils font un bien fou dans une industrie toujours plus propre malgré les tentatives de système D artificielles. Ils proposent du nouveau sans prétention. Rencontre avec les membres clés Denis et Sam a.k.a. Daisy Mortem, Jérémy a.k.a. Pakun Jaran et Simon a.k.a. Dalla$.

Manifesto XXI – Quand est né We Are Vicious ?

Jérémy : Le truc, c’est qu’il y a des naissances et des renaissances. À la base, We Are Vicious, c’était le nom d’une soirée organisée par Denis et Sam. Il n’y avait pas encore l’idée de « collectif », ça n’existait pas vraiment. C’était un nom de soirée avec la fameuse image de la petite fille qui croque l’araignée. C’était il y a quatre ou cinq ans, déjà. C’est une soirée qui a bien dérapé, ça s’est fini en émeute, ça échauffait les esprits, quoi.

Denis : En même temps, c’était une soirée super, les gens dansaient, les gens tombaient par terre, les gens slamaient. Donc We Are Vicious, ça part d’une soirée un peu orgiaque. On s’est dit : « Wow, il faut qu’on continue. »

Jérémy : De là, on s’est mis à pas mal discuter, à s’envoyer des tas de projets sur Internet, et puis ça a commencé à prendre forme. On voulait créer une sorte de famille artistique. On ne savait pas précisément quoi, mais on voulait créer un truc en commun.

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Daisy Mortem – We Are Vicious

Vous êtes combien dans ce label/collectif ?

Denis : Je vais d’abord essayer de te retracer le truc, parce que je ne suis pas sûr qu’on soit un label ou un collectif, à vrai dire. Au départ, c’était donc un nom de soirée ; après, on a voulu se définir comme un collectif, sauf que ça ne marchait pas trop. Un collectif, c’est plutôt différentes personnes qui font le même projet toutes ensemble. Sauf que nous, c’est différentes personnes, qui font, ensemble, plein de projets différents. Collectif, ça ne marchait pas.

Après, on a voulu se définir comme label. C’est peut-être ce qui nous va le mieux, et en même temps, on n’a ni le temps ni le savoir-faire pour faire une vraie promotion, de vrais objets physiques, mettre les sous sur la table surtout. On est tous auto-produits, nos propres projets nous prennent beaucoup de temps, on a des tafs alimentaires, c’est chaud.

Jérémy : Pour l’instant, je pense qu’on peut dire que c’est un rassemblement d’artistes, une famille artistique. Pour être clair, on produit des albums, de la composition à l’enregistrement en passant par le mix, on produit aussi des images, des clips, on monte des lives, on fait des échanges avec d’autres artistes, et on organise des soirées. Tout ça de façon un peu aléatoire. En termes de membres, il y a un noyau dur d’à peu près cinq à dix personnes.

Simon : On peut parler aussi de la vidéo, de la photo, avec Charlotte ou Samia, des dessins de Chloé, de la scénographie avec Bastien qui fait un travail de fou sur les lights, ou de Joris avec qui on travaille le son de scène. Ça fait du monde en plus, des intervenants réguliers, des gens avec qui on bosse depuis quelques années maintenant.

Denis : En exclu pour Manifesto XXI, la vérité sur We Are Vicious, c’est que c’est toujours assez flou, et franchement, on commence à se dire qu’on n’en a rien à foutre et qu’on va continuer à être nous-mêmes, à faire ce qu’on sait le mieux faire, et pour l’étiquette, on trouvera plus tard.

Label, ça peut aussi être pris au sens d’une identité artistique.

Denis : Dans ce sens créatif-là, on peut dire qu’on est un label, parce qu’on produit des disques, on compose, on enregistre, on arrange, on mixe. C’est ce que nous disait Guillaume Mangier, de la Pépinière du Krakatoa : « Vous êtes un label, les mecs ! » Beaucoup de labels ne prennent plus le temps d’avoir ce rôle, d’avoir leur « patte », d’être là sur toute la production d’un disque. Sûrement parce que c’est devenu trop risqué financièrement, je ne sais pas.

Après, si on est un label, on est un label très hétéroclite. Les gens, ça peut les choquer de passer d’un projet à l’autre. Mais il y en a pas mal qui comprennent le lien, qui l’entendent, puisque tous les projets naissent dans une sorte d’alchimie générale.

Tous les projets, malgré leur diversité, sont tous assez sombres, tout de même.

Denis : « Vicious », c’est cette déviance, ce besoin de faire un truc qui nous ressemble. On n’a pas de projet rap, rock ou électro, on a que des trucs un peu bizarres qui ne sont pas simples à définir. On ne fait pas de la musique de niche non plus. C’est une force et c’est parfois un handicap, parce qu’on ne s’inscrit dans aucune scène. J’aime bien m’appuyer sur l’étymologie de « pervers », qui dit : « à l’envers, retourné, sans dessus dessous, vicié ».

Ce n’est pas vicieux au sens moral, on n’est pas romantiques dans l’âme. On est « vicious » plutôt parce que tous les projets, on les dévie. Jérémy va faire un truc noise, et moi je vais m’amuser à mettre un accord ou une voix hyper pop, par exemple. On est joueurs. Si j’ai envie de faire un album happy, je ne vais pas me l’interdire ; d’ailleurs, le prochain Daisy Mortem va être super happy.

La déviance que vous donnez, elle vient de vos influences respectives, ou vous êtes-vous dit : « Nous, on n’a pas envie de faire de la musique normée » ?

Sam : C’est ce qui nous plaît. On ne s’est jamais dit : « On va faire de la pop trash. » On aime juste ça.

Denis : C’est vrai qu’on est quand même influencés par des mecs qui ont fait leur trou sans rentrer dans des cases, qui l’ont même fait grâce à ça. C’est ce qu’on aime entendre et c’est ce qu’on aime faire, c’est aussi simple que ça.

Simon : Après, on a quand même senti qu’il fallait faire « autre chose ». Nous, on veut que ça percute le cerveau aussi, trouver une singularité.

Sam : Maintenant, on a une maturité musicale qui fait qu’on arrive à maîtriser notre discours. On arrive un peu plus à être conscients de nos méthodes et à savoir où on va, pour faire quelque chose d’encore plus percutant.

Je pensais à votre aspect visuel. Qui a fait ça et pourquoi ?

Jérémy : On n’a pas vraiment de graphiste ou de designer attitré.

Denis : Récemment, Chloé a dessiné une sorte de dinosaure avec des seins et des muscles assis sur un feu de bois, pour faire le flyer d’une soirée. Faudrait lui demander pourquoi elle a fait ça.

Simon : On aime bien provoquer un choc. On avait fait un flyer pour une soirée avec l’œuvre d’une artiste qui avait pris le tableau de Courbet, L’Origine du monde, et mis une araignée à la place de la teu-cha. Une meuf nous a baffés pendant la distribution de flyers.

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© Chloé Rougé

Ce style très absurde, c’est un parti pris ?

Denis : Oui. Tu vois, il y a des mecs qui font des trucs super propres, plus intelligibles ; nous, en vrai, on n’a qu’un truc qui nous guide, c’est le fun, faire un truc qui nous excite.

Simon : Et puis le manque de moyens fait que c’est du système D, aussi. L’absurde, ça devient plus évident, du coup.

Denis : Aujourd’hui, on se fait chier avec les clips à la pointe, avec des trucs super esthétisants mais complètement vides. Tu fais marcher un type looké, qui fait la gueule, en slow motion dans un terrain vague, et les médias trouvent le clip « onirique et cinématographique » alors que ça ressemble juste à une pub. Heureusement, pas mal d’artistes vont à l’inverse de cette tendance.

C’est quoi l’explication de votre photo de couverture ? 

Denis : Je vais être très clair avec toi, c’est un mec qu’on aime beaucoup et qui vient à toutes nos soirées. Il est perché et on le remarque quand il est là, quand il ne se fait pas virer de la salle. J’ai trouvé cette photo de lui sur son Facebook. J’aime bien cette photo parce qu’elle me ramène aux premiers émois de l’adolescence où tout est excitant. Tu as fumé de l’herbe pour la troisième fois de ta vie, tu prends un bout de bois dans la forêt. Tu es à Pessac mais tu pourrais être au Mexique, tu es loin.

Pour en revenir au visuel, quand tu commences à faire des trucs, tu te dis « ça, j’adore, c’est trop drôle », mais tu ne vas pas penser à le mettre dans tes clips. Nous, avec Daisy Mortem, on se bat avec des dinosaures dans un clip, c’était ce qui nous faisait déjà rire à 14 ans. Et puis plus tard, quand tu te dis que tu vas faire un clip, tu commences à réfléchir à ce qu’il faut mettre dedans, tu essaies de faire « pro » parce que tu as envie d’y arriver, que ton projet marche, et c’est là que ça commence à être nul. Maintenant, on se dit juste : « Revenons à ce qu’on est vraiment, à ce qui nous plaît vraiment. »

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On peut se demander si ce n’est pas un jeu. Que ça redevienne premier degré tellement c’est millième degré.

Denis : Il y a une façon d’être sincère dans le millième degré. Il ne faut pas confondre dérision et mépris. Il y a une attitude qui se remarque parfois, du genre : « Attends, moi je fais du millième degré, toi tu ne fais que du 995e, t’es un plouc. Je suis dans le post-normcore-dolphin-vapor-goth-autotuné, toi t’es ringard avec ton punk électro parodique. » Ça, ce sont des gens qui ne donnent rien de vrai. Ils ont peut-être tout compris à tel ou tel courant à la mode, mais ils ne tiennent pas la longueur. Nous, c’est du 100% vrai, même au millième degré. Ça passe par la scène aussi.

Jérémy : Tu ne peux tromper personne sur scène. Il y a beaucoup de gens qui ont écouté des projets comme Dalla$ ou Daisy Mortem, qui nous ont fait des retours mitigés. Mais une fois qu’ils ont vu le projet sur scène, les retours sont bien plus clairs, beaucoup adorent ou sont fascinés, et certains détestent.

Au niveau de l’événementiel, ça se passe comment ?

Denis : Le but, c’est de faire des rencontres. Cette année, on a organisé quelques trucs. Notre ami CURTA était en France, alors on en a profité pour le faire venir à Bordeaux. Ensuite, c’était Infecticide qui cherchait une date dans le coin, et nous, on est fans, donc on les a invités. Et puis à la rentrée, en novembre, on fait venir JPEGMafia pour cinq dates dans toute la France. On a bossé sur des remixes pour lui.

L’objectif, c’est d’établir ce genre de passerelles. Et les mecs aiment ça, ils viennent et ils voient que même si tu organises une soirée avec quarante personnes qui viennent, l’ambiance est folle, il se passe un truc. Ils savent que les choses vont évoluer. Ils s’en foutent que tu débutes, ils sentent que c’est du concret.

La scène bordelaise, vous la vivez comment ?

Jérémy : Le problème, c’est le gouffre entre la « scène bordelaise » et les structures bordelaises.

Simon : Il y a plein de gens créatifs, mais il ne sont pas mis en valeur.

Jérémy : C’est la logique de marché, comme partout. Rien d’étonnant à ce que les « structures » qui pèsent un minimum n’aient pas spécialement envie de prendre de risques pour la scène locale underground alors qu’elles ont d’autres options plus sécurisantes à disposition. On ne se fait pas de fausses idées là-dessus.

Denis : Comme partout, pour accéder aux structures, à de grosses institutions, c’est procédurier, il y a tout un tas de paramètres. Mais ils n’ont pas besoin de nous, tout simplement. Et nous non plus. Il ne faut pas non plus se mettre en position de victimes. Les scènes underground, elles sont là pour faire leur taf. Au final, c’est un bagage en plus qu’on a, c’est là qu’on apprend tout, c’est là que tout se passe.

Quels sont les plans futurs pour We Are Vicious ?

Jérémy : En prochaine sortie, il y a mon premier EP sous le nom de Pakun Jaran fin 2017. On est en discussion avec des labels, on va voir ce qui se passe. On a l’EP de Péacéo, un rappeur qu’on produit dans une vibe assez dark, qui est dans la boîte.

Denis : Le 29 septembre, on sort le premier EP de naughtybabysub, qui est inspiré de musiques extrême-orientales, dans une veine un peu électro garage, électro punk, avec un côté chanson et comédie musicale un peu kitsch. Avec Daisy Mortem, on va surtout faire des dates un peu partout, en France et ailleurs si possible, et on prépare un nouvel EP.

Simon : Il y a également un split EP Dalla$ x Pakun Jaran de prévu. Beaucoup de trucs sur le feu !

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