Variéras présentait vendredi dernier Variables, son troisième EP. Dans un écosystème riche où se mélangent différentes textures musicales, l’artiste organise la rencontre de l’orchestral avec l’électronique. Ce carambolage met en évidence une musique tout aussi complexe que le projet entrepris par son compositeur : rendre audible le travail silencieux des sentiments.
Originaire de Versailles, pianiste de formation, Variéras s’initie aux outils électroniques pour faire de la musique lors d’un voyage à Tokyo. Ses compositions mélangent savamment les compositions orchestrales et électroniques dans un univers musical complexe. Les thèmes de piano sont rejoints par des pulsions de synthétiseurs, parfois même les sections de violons se retrouvent submergées, noyées au milieu d’effets informatiques. Ces mouvements mélodiques rappellent un souvenir lointain dont il ne reste bientôt plus qu’un écho de textures disparates résonnant dans une reverb’. La musique de Variéras inspire un large panorama de sensations, allant de la mélancolie passagère à l’épopée, les explorant à chaque fois dans tout ce qu’elles renferment de plus complexe. Si l’on se laisse porter par Variables, nous plongeons inévitablement dans notre mémoire intime, celle qui associe des souvenirs, des rêves à des micro-sensations. Les compositions de Variéras recouvrent les émotions d’un voile de mystère, une plongée dans les limbes.
L’EP Variables est organisé d’une manière singulière. La tracklist n’est pas ordonnée selon une volonté de restituer à l’auditeur une impression d’homogénéité mais relève plutôt d’une désorganisation volontaire. S’il s’agissait d’un voyage, il ne serait pas reproduit dans l’exactitude des paysages glissants les uns à la suite des autres, conduisant du point de départ au point d’arrivée avec une limpidité remarquable, mais un voyage ponctué par toutes sortes d’intempéries, empêchant une restitution paisible des événements. Cette désorganisation volontaire se caractérise notamment par un éparpillement des suites de morceaux. La série « Direct Sunlight », « Direct Sunlight II » et « Direct Sunlight III » est présentée dans le désordre et entrecoupée par d’autres titres qui peuvent eux-mêmes former d’autres suites, comme « Radiant », « Radiant II » et « Radiant III », ou un morceau indépendant, « Bakélite ». À l’écoute, on a à charge de faire fonctionner sa mémoire. On se doit de se remémorer, de construire des ponts invisibles entre ce qui a été écouté avant, il y a quelque temps déjà, et ce qui est à l’écoute maintenant.
Ce motif de la discontinuité se retrouve également dans la forme des morceaux, il devient un motif de composition. Lorsqu’un soulèvement épique se dessine, son expression limitée se voit bientôt interrompre par une accalmie qui laisse place à la mélancolie, au silence. Quand la musique se fait fougueuse, au son des cordes et des cloches qui exprime un élan vital, l’ardeur, elle, se voit remplacer, avec un naturel déconcertant, par une plainte lente. C’est ainsi que Variéras parvient à s’approcher de la vérité des sentiments avec le plus d’efficacité : il montre l’interruption, l’évolution, le changement, la spontanéité.
Finalement, Variables convainc par sa maîtrise des différentes méthodes de composition. Qu’il s’agisse de l’écriture pour des instruments tels que le piano et les violons, ou d’une écriture électronique sur synthétiseur ou avec des machines, les mélodies séduisent. Variéras parvient tout aussi bien à orchestrer la rencontre entre analogique et numérique sans que nous n’ayons jamais l’impression que l’un soit superposé à l’autre, mais toujours en symbiose. De cette cohabitation sonore, naît une matière musicale riche qui rend le propos de l’artiste consistant.
Image à la une : © Frame Pictures