Pria : « C’était une question de destinée »

Pria - Manifesto 21

Pria, c’est deux visages qui se ressemblent, deux facettes qui s’assemblent et un premier EP, Toujours, produit en toute indépendance. Une « première prise de parole » aussi mélancolique que langoureuse. Cinq titres qui sonnent comme le remède au blues de novembre.

Stéphanie et Émilie, sœurs franco-roumaines et artistes aux multiples cordes et innombrables arcs, s’allient pour faire naître Pria, aboutissement auquel elles s’étaient toujours préparées. Danse, théâtre, art ou encore photographie, elles cumulent, à elles deux, un cursus artistique éclectique qui ne fait que nourrir leur nouveau terrain de jeu : la musique. S’y étant déjà frottées chacune de leur côté (ici et ), c’est ensemble qu’elles s’attèlent cette fois à la création. L’été dernier, Stéphanie demande à Émilie de la rejoindre à Bucarest, ville natale de leurs parents, pour enregistrer leur EP. De ce premier geste découle un premier disque jouant avec le mystique, le sensuel. Sur fond de trap, leurs voix oscillent entre français et roumain, révolte et poésie. De la genèse à la fatalité, de Shakira à la Vierge Marie, rencontre avec ces nouvelles venues qui ont souhaité répondre à nos questions sous l’unique nom de Pria.

Manifesto XXI Votre EP sort dans deux semaines, comment vous sentez-vous ? Vous êtes stressées ? Vous avez hâte ?

Pria : Vraiment les deux. Évidemment, c’est un peu stressant de s’exposer comme ça. En même temps, on a hâte que ça sorte. On a été obligées de reporter à cause du premier confinement, mais en réalité on a commencé à travailler sur cet EP il y a plus d’un an. Là, c’est le moment. On a vraiment hâte de naître en tant qu’entité Pria. De naître avec une proposition, avec un vrai projet, et d’exister comme tel, pour ensuite pouvoir se diriger vers autre chose.

Comment est né Pria ? Quand et comment avez-vous décidé de faire de la musique ensemble ?

L’idée de Pria existe depuis très, très longtemps. Elle existe dans nos têtes depuis que l’on est très jeunes. On a pris des cours de piano dès notre enfance, on était toutes les deux au conservatoire, la musique a toujours été très présente. C’était comme une évidence et il y a eu un moment où c’était le bon timing. Il nous semble que le nom du groupe a toujours été là. Bon, c’est notre nom de famille, il a en effet toujours été là, et c’est aussi pour ça qu’on l’a choisi. Mais quand le groupe s’est créé, beaucoup de choses semblaient évidentes, justement parce qu’on y pensait depuis longtemps. Nos parents sont nés à Bucarest donc c’est beau d’avoir créé ce premier projet là-bas, il y a une sorte de renaissance.

C’est une prise de position, de faire quelque chose qui se catégorise peu dans l’industrie musicale d’aujourd’hui.

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Toujours cover © Laura Marie Cieplik

Je suis allée voir l’exposition Jusqu’ici tout va bien qui a eu lieu au Palais de Tokyo avec l’école Kourtrajmé. Émilie, tu y reproduisais la chambre de la sœur de Vinz dans La Haine. On pouvait y voir des posters d’icônes pop, des CD de hip-hop… Est-ce que vos chambres y ressemblaient quand vous étiez plus jeunes ? Quels posters et CD pouvait-on y trouver ?

C’est marrant que tu dises ça, parce que toutes les cassettes et les petites choses qu’il y avait venaient justement de chez nos parents. Les posters que l’on avait ? Shakira ! C’est le premier concert auquel on est allées. En réalité on n’avait pas beaucoup de posters, mais celui de Shakira était très important, c’était le totem. Pour les CD, c’était Britney Spears, Madonna. Et puis il y avait les disques de notre père qui écoutait du jazz, du Santana, mais aussi des groupes de rock des années 70, comme ACDC. On a fait beaucoup de musique classique puisqu’on était au conservatoire. Et Dido ! (rires) Je ne sais pas si vous vous rappelez de Dido !

Donc c’était plutôt varié.

Oui, ce que nos parents nous faisaient écouter était vraiment éclectique. Et nous, on avait un petit coup de cœur pour les pop-stars anglophones.

D’ailleurs, pour votre EP, vous parlez d’influences allant du cloud-rap à la musique traditionnelle gitane, en passant par PNL, Crystal Castles ou Princess Nokia. Vous chantez en français, roumain et anglais. C’est donc un projet lui aussi très éclectique. C’était volontaire de faire quelque chose d’hybride, qui ne soit pas vraiment catégorisable ?

On ne l’a pas pensé comme ça, on ne s’est pas dit « tiens, on va faire un objet hybride ». En revanche, on avait l’intuition que ce qu’on allait faire n’allait pas forcément être pop. C’était une époque à laquelle on écoutait beaucoup PNL, donc on avait cette influence trap-cloud. Et pour une des chansons, par exemple, on a pensé à Crystal Castles. Ce sont des choses que l’on ramène naturellement de ce qu’on a aimé et parfois de ce qu’on a envie de montrer.

Mais cet EP est vraiment une première prise de parole pour nous. On voulait la prendre depuis longtemps et c’est seulement maintenant qu’on le fait. Alors forcément, il y a plein de choses qui sortent, des choses qui datent de périodes très différentes. C’est pour ça que l’on peut sentir plein d’aspects différents. On voulait surtout ne pas trop se brider. De par nos origines et notre cursus artistique très divers, on a toujours été un peu « le cul entre deux chaises ». On n’a jamais été qu’une seule chose à la fois. On veut vraiment explorer. Et on est très fan des musiques anglaises et berlinoises qui ne se donnent pas de limites. On avait cité Princess Nokia dans nos références, justement parce qu’il y a quelque chose d’assez dingue chez elle : c’est qu’elle représente à la fois une espèce d’ado en rébellion, la femme ultra RnB hip-hop, et dans une autre chanson encore le tomboy total. C’est aussi cette ambiguïté qui nous plaît. Ce n’était peut-être pas volontaire mais on aime l’idée de ne pas se faire catégoriser. C’est une prise de position de faire quelque chose qui se catégorise peu dans l’industrie musicale d’aujourd’hui, dans laquelle il y a un format à respecter, un schéma ou un nombre de minutes optimal. En fait, on avait tellement de liberté qu’on s’est dit « on fait ce qu’on veut et on n’est pas obligées de respecter des schémas ».

On est des femmes et c’est très important pour nous de parler de notre place dans le monde. Le féminisme est un sujet qui nous tient à cœur et c’est aussi un gain de pouvoir pour nous de prendre la parole et de pouvoir s’exprimer.

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© Bianca Mocan et Edward Rivera

Les thèmes de la sensualité, de la féminité et des relations ressortent beaucoup dans vos textes. C’est quelque chose qu’il vous semblait important d’invoquer ?

Évidemment. On est des femmes et c’est très important pour nous de parler de notre place dans le monde. Le féminisme est un sujet qui nous tient à cœur et c’est un gain de pouvoir, de prendre la parole et de pouvoir s’exprimer. C’est du sex-powerment, de l’empowerment. C’est faussement ramené sur la table aujourd’hui, mais la sexualité féminine est toujours très tabou et nous en sommes encore à des représentations très extrêmes, que ce soit d’un côté ou de l’autre. Il n’y a pas d’éventail nuancé et varié de discours sur la sexualité féminine. C’est important de se placer en tant que sujet pensant et sexuel, et même en tant que sujet de désir ; de se placer au centre de ce désir, de notre sexualité et de notre pouvoir féminin. Il n’est pas le seul, évidemment, mais on nous a souvent appris à se placer en objet de désir et cela marque la manière dont on envisage ça nous-mêmes. On veut seulement pouvoir en parler pour nous-mêmes, et que d’autres filles puissent se dire « ces nanas parlent de ça ! » C’était important notamment parce que je (Stéphanie) chante en roumain, j’ai écrit des chansons qui parlaient justement de mon désir sexuel, et énormément de filles m’ont dit « merci ». En Roumanie par exemple, personne ne se met au centre de sa sexualité en tant que femme, la sexualité est toujours racontée d’un point de vue masculin. C’est important de pouvoir s’identifier à quelqu’un qui en parle et de pouvoir en parler à son tour. C’est important de s’approprier son propre corps et de pouvoir s’approprier un discours. 

Vous prenez la parole en 2020, qui n’est pas une année banale. Il y a #MusicToo qui ouvre cette parole, et puis il y a la pandémie qui met l’industrie à mal, qui empêche les concerts… Comment est-ce que vous appréhendez tout ça ? Est-ce que vous avez l’impression d’arriver dans une industrie en plein chamboulement ou en reconstruction ?

On arrive complètement dans une industrie en chamboulement, mais ce n’est pas si dérangeant, justement parce qu’on la découvre. On n’a pas perdu un statut qu’on aurait pu avoir avant, donc on arrive, on tâtonne et on voit ce qu’on peut faire. Mais on aime beaucoup la scène donc on est un peu frustrées de ne pas pouvoir évoluer sur ce plan-là. On aurait aimé, mais on pourra découvrir ça sur le prochain projet, on aura plus de morceaux et ce sera encore mieux. On voit le côté positif des choses ! (rires) Ça nous laisse le temps de savoir ce qu’on veut faire, quelle direction prendre, d’aiguiser notre DA musicale, de préciser tout un tas de choses. Nous, on a tout à construire. En fait, c’est assez excitant. Mais bon, ce n’est pas cool de dire ça en ce moment… (rires)

Pria - Manifesto 21
© Elea Jeanne

Vous avez pu monter sur scène en mars dernier, au Serpent à Plume (Paris), qu’avez-vous pensé de cette expérience ? 

C’était trop bien mais c’était trop court. L’endroit était un peu particulier parce que ce n’était pas concrètement une scène, mais plutôt comme une arène. On était au milieu des gens, vraiment face à nos spectateur·rices, c’était très intimidant. Et en même temps, le kiff total. C’était très excitant. On s’est dit qu’on irait beaucoup plus loin la prochaine fois, et en fait il n’y a pas eu de prochaine fois (rires). Mais ça nous a beaucoup plu et on a hâte de recommencer. C’est un moment hors du temps d’être sur scène, c’est totalement différent du studio, qui est l’endroit le plus intime, le plus safe qui soit. Même si on aime beaucoup le studio, c’est important d’avoir ce deuxième temps pendant lequel on confronte ce que l’on a produit au public. Il y a cette idée de totalement lâcher prise qui est assez euphorisante. On crée les conditions d’une performance, et une fois que tout est mis en place, on se laisse aller. Il n’y a pas d’expérience davantage ancrée dans le présent que la performance sur scène. C’est très important pour nous. On est toutes les deux extrêmement intéressées par le travail corporel et l’aspect performatif du show, tant la scénographie que la chorégraphie. D’ailleurs, l’hybridation du projet se ressent aussi par un désir de transdisciplinarité et l’envie d’être complètes, de travailler tous les aspects du processus, d’aller au fond de tout ça. 

Tout est très esthétique dans ce projet. De la pochette, aux clips, aux costumes, à la danse… C’est un aspect que vous travaillez beaucoup ? Est-ce que vous aviez envie de réunir toute la richesse de vos parcours artistiques individuels dans Pria, de montrer toute votre palette ?

On a l’impression que beaucoup de choses qu’on a faites précédemment étaient en réalité faites pour préparer Pria. Ça peut paraître étrange, mais c’était une question de destinée. Il fallait que l’on progresse sur le plus de points possible, pour pouvoir déverser le tout dans ce projet qu’on allait faire naître. On a mis beaucoup de temps à arriver à la musique, parce que c’était trop important pour qu’on puisse le faire naïvement. Il y avait cette espèce de lourdeur qui venait avec, alors pour qu’on s’autorise à le faire, il fallait qu’on le fasse vraiment bien. Évidemment, ce n’est pas parfait, on est toujours en train de chercher, mais tout ce que l’on a fait autour était pour nourrir ce projet de la façon la plus complète possible. C’est une qualité que l’on aime chez les gens que l’on admire, notamment Thom Yorke. Il a travaillé avec Damien Jalet pour faire un film sur son album Anima, et il y a beaucoup de clips qu’il a réalisés avec des chorégraphes. On aime beaucoup ces artistes qui décloisonnent tout et qui réunissent plein de gens avec chacun·e leurs visions incroyables sur un projet, et réussissent à l’étoffer, à le rendre transcendantal.

On a mis beaucoup de temps à arriver à la musique, parce que c’était trop important pour qu’on puisse le faire naïvement.

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Comment se passe la création, la composition ?

Il n’y a pas de processus fixe, on est en train de le chercher, sans vraiment vouloir le trouver. Pour la musique ou pour les clips, on travaille avec des gens, et on veut vraiment que chacun·e se sente le plus libre et le plus à l’aise possible. Chacun·e a sa manière de travailler et on respecte ça. Mais à terme on aimerait pouvoir produire, en tout cas musicalement, un maximum de choses par nous-mêmes. Pour ce qui est des textes, chacune écrit ses paroles. On n’interfère pas tellement l’une avec l’autre pour le moment et on fera sûrement différemment par la suite. On apprend à communiquer en tant que groupe aussi, parce que c’est particulier de créer à deux. 

Pour le clip de « Scorpique », vous incarnez la Vierge Marie et mourez à la fin. Vous expliquez que dans le christianisme, la mort n’est qu’une étape pour accéder à la vie d’après, et que la naissance de Pria signifie pour vous la fin de votre vie d’avant, et le début d’une nouvelle.

Dans le christianisme, tout est une préparation à la mort, au paradis et à la vie d’après. Toute la préparation qui a mené vers ce moment où l’on existe enfin, on voulait la mettre en image dans ce clip. On voulait aussi s’inspirer de l’esthétique de la Vierge Marie. C’est un personnage intéressant qui, pour rejoindre ce que l’on disait tout à l’heure, reprend aussi cette idée de polarité, entre Marie la Magdaléenne la pute et Marie la vierge-mère, donc le summum de la « pureté ». On voulait se réapproprier ce symbole et ses contradictions, l’incarner nous-mêmes et créer des contre-pouvoirs ; souiller cette pureté avec tout ce sang et cette mort.

On ne comprend pas très bien ce qu’il nous arrive, mais on continue dans cette direction et lorsqu’on s’arrête un peu, ça vaut vraiment le coup.

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Le clip de « Predator » débute sur cette phrase « Tu verras ta sœur, seule et immobile, toi, inutile et agitée. » D’où vient-elle ? Que signifie-t-elle ? 

C’est le réalisateur, Guil, qui l’a écrite. Quand on parlait de ce qu’on voulait montrer dans ce clip, on a pensé à un combat contre le temps et la fatalité. On avait envie de le construire à la façon d’une tragédie grecque, qui commence souvent par un oracle annonçant un dénouement. Plus le personnage essaie d’aller contre ce dénouement-là, plus il·elle tombe dans la fatalité. Donc Guil a écrit cette phrase, là aussi pour binariser nos personnages. Les réalisateur·rices aiment utiliser la polarité qu’il y a entre nous pour exprimer différentes facettes d’une même entité. Il y a beaucoup de choses sur les contrastes et les contraires dans ce clip, comme le moment, au milieu, où on se tient les mains et on regarde des images d’enfance. Se regarder enfants, c’était une façon de dire que tout était là dès le départ. 

Dans le support-même du clip, on retrouve ce rapport au temps. Les pellicules de Super 8 ont été altérées par des procédés chimiques, ce qui fait que, quand on s’arrête dans le clip, on trouve des photogrammes incroyables, des erreurs magnifiques. Certains sont dus au travail réalisé sur la pellicule, d’autres au hasard du développement. On retrouve cette idée-là dans une fuite contre le temps. Si on s’arrête dans le temps, on peut voir des choses qu’il ne nous était pas permis de voir à l’œil nu. On a trouvé que c’était une belle métaphore pour illustrer notre parcours, et montrer qu’on est toujours en train d’apprendre, d’essayer, de comprendre, de construire, que ça n’est pas toujours parfait. Il y a des erreurs, du hasard, et on ne comprend pas très bien ce qu’il nous arrive, mais on continue dans cette direction et lorsqu’on s’arrête un peu, ça vaut vraiment le coup.

Au moment où on se parle, votre premier EP n’est pas encore sorti mais vous travaillez déjà sur un second. Vous pouvez nous en dire un mot ?

Ce ne sera plus du tout rap. On est moins énervées, on est moins agitées, on est moins seules, artistiquement et musicalement. Donc ce sera plus doux, plus sensible, peut-être même plus intime, plus rêveur, plus onirique, plus fantastique, plus magique, plus mystique. On a envie de s’affranchir de l’idée qu’on avait de vouloir être badass, de vouloir prouver quelque chose. On a envie de s’affranchir de certains codes auxquels on répondait. On veut se concentrer sur le son, que ce soit plus orchestré, plus organique, plus instrumental. Beaucoup plus instrumental. Là, on a travaillé à la manière du rap : une voix posée sur une instrumentale. Ça va être différent par la suite. On a envie de créer un son qui nous est propre, un projet qui a une cohérence et qui nous ressemble dans le temps.

Image mise en avant : © Elea Jeanne & Smaranda Ursuleanu

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