Les Magasins Généraux invitent un collectif d’artistes dont la plasticienne et militante Mégane Brauer pour une exposition-résidence visible jusqu’au 8 mai. C’est leur première fois dans une institution. La jeune diplômée de l’Institut des Beaux-Arts de Besançon et cinq jeunes auteurs exilés y déploient un projet d’envergure autour d’un marqueur commun : le feu.
Mégane Brauer, avec qui Manifesto XXI s’est entretenu en avril dernier, vit et travaille à Marseille. Lorsque Keimis Henni et Anna Labouze lui proposent d’investir la Grande Salle des Magasins Généraux, elle accepte à condition d’emmener avec elle Anas Hoggas, Suela Jonuzi, Samet Jonuzi, Erzi et Klevis Morina. Leur collaboration artistique, débutée en 2020, se déploie dans les 1000 m2 de l’espace d’exposition.
Une histoire lie Mégane Brauer et les flammes. Dans son enfance marquée par la précarité, la plasticienne et sa famille sont amenées à vivre dans un foyer Sonacotra, lieu d’accueil pour travailleur·euses et familles en situation irrégulière. Une nuit, un incendie se déclare après que des résidents, dans un acte de protestation, aient mis le feu aux arbres alentour. Cette image reste. Des années plus tard, Mégane accompagne des familles exilées dans le squat Saint-Just, dans le quartier du même nom à Marseille. En juin 2020, les flammes viendront les expulser. Son lien amical et sa collaboration artistique avec les adolescent·es résident·es sont scellés par cette coïncidence funeste. Iels entament une réflexion commune autour du motif de l’incendie. Le collectif travaille avec les contraintes scolaires des adolescent·es, les décisions sont communes mais s’opèrent à distance.
Ce sont les mots de la plasticienne qui nous accueillent à l’entrée de l’exposition. Quelques feuillets imprimés sur de simples papiers A4 blancs nous racontent les incendies, l’évacuation des personnes vulnérables, le vécu des foyers. Derrière, la pièce ouverte sur le canal avec ses larges baies vitrées, accueille un travail plastique multiforme qui se veut une émanation de ce récit. C’est à la fois trash et glossy. Des cadavres de cyprès côtoient des tas de charbon pailletés. Des crépitements et une lumière orangée rappellent la fureur toujours proche du grand feu. Les jeunes artistes, Mégane et les révoltés du foyer Sonacotra de son enfance sont tous et toutes uni·es par le feu, qu’il soit acte vengeur ou énième épreuve de l’exil. Des souvenirs du squat ou du foyer jonchent le sol. Sur un tas de cendre, une boîte de riz distribuée par la Banque Alimentaire, avec pour seule description trois grosses lettres – RIZ – imprimées sur le carton bleu, blanc et rouge. Ce marqueur de la précarité, il n’y a que ceux qui l’ont vécu qui peuvent le comprendre. Six chaises entourent des tas de charbon, c’est la présence en creux des co-auteur·ices. Assis·es sur ces objets transformés en comètes incandescentes avec du simple ruban, on se retrouve face à un horizon de cendres et de violence. L’idée directrice du collectif est omniprésente : montrer ce qu’on a tellement l’habitude d’ignorer, forcer le regard sur les choses terribles, celles que l’on préfère oublier. Ici, le gyrophare de la police et le chausson d’enfant Spiderman aux couleurs tricolores nous parlent de la violence des expulsions, des dysfonctionnements systémiques français. Ailleurs, une perceuse tourne dans le vide, rappelant le bruit des portes que l’on scelle après une expulsion. Au milieu de l’espace, suspendus à la colonne de béton, des audioguides. Dedans, vous trouverez les voix des 6 co-auteurs qui racontent leur histoire de feu.
Si les formes esthétiques sont pertinentes, l’exposition-résidence ne s’arrête pas là et propose une exploration juridique singulière. Ainsi, en accueillant le travail de Mégane et les vies marginalisées qu’elle amène avec elle, l’institution s’interroge sur son propre rôle. Ce lieu culturel peut agir sur le destin des co-auteurices exilées, y participer et le consolider. Mégane Brauer, Anas Hoggas, Suela et Samet Jonuzi, Erzi et Klevis Morina, sont interlié·es par un contrat de rémunération basée sur le droit d’auteur. Les Magasins généraux ont donc organisé une collaboration avec des universitaires, des avocat·es et des juristes pour éviter que la participation des cinq co-auteurices soit qualifiable en travail de mineur·es, et pour inventer une nouvelle façon d’influer sur le droit d’asile. L’institution, dans une démarche auto-réflexive, utilise sa force administrative et juridique pour protéger. L’installation elle-même est portée par ce principe. À la fin du parcours, nous est proposé un document Cerfa à remplir sur une grande table ronde face aux baies vitrées. Il s’agit d’attester de la participation active des jeunes exilé·es au projet.
Cet élan, initié par Mégane Brauer, interroge la problématique plus large du droit d’auteur encore peu utilisé pour rémunérer les artistes. Le collectif d’artistes-auteurs aura le mérite d’avoir poussé dans le cadre d’une exposition physique ces inventions juridiques encore aux balbutiements. Cette théorie avait été pensée par le duo d’artistes Patrick Bernier et Olive Martin dans Plaidoirie pour une jurisprudence.
C’est avant tout une exposition d’étapes que nous présentent les artistes. Le contrat qui les lie devra les porter jusqu’à 2030, un temps durant lequel iels continueront leur travail de recherche collaborative impulsé depuis 2 ans.
« Uni·e·s par le feu », jusqu’au 8 mai aux Magasins Généraux
Image à la Une : © Mathis Payet-Descombes