La première édition du STURMFREI FESTIVAL s’est déroulée du 15 au 19 décembre au Sample à Bagnolet, « loin du contexte guindé des salons littéraires. » Nous avons assisté au JOUR I et échangé avec le programmateur du festival, Arnaud Idelon, pour tenter de saisir cette mise en partage de multiples récits, laissant présager un bel avenir pour le festival, armé par l’envie de créer, de faire et d’imaginer en collectif.
La poésie est noctambule, la poésie est traversée de luttes, d’amitiés et d’amours; la poésie se performe, la poésie se danse, la poésie se fête. Dans quels lieux ? À quels moments ? Avec qui, par qui, pour qui ? Dans quels endroits de nos corps se glisse-t-elle, quels endroits de nos esprits chatouille-t-elle, quelles émotions fait-elle sortir, quelles ondulations provoque-t-elle ? Qu’est-ce qui peut l’unir à la musique, à la littérature, à la performance et aux arts plastiques, à une communauté et à des espaces ?
Faire entendre des écritures à la périphérie de leurs formes canoniques
C’est autant de fulgurances qui ont émergées au retour de cette première édition du STURMFREI FESTIVAL, qui s’est tenue dans les anciens ateliers Publison, aujourd’hui friche culturelle à Bagnolet. Coproduction entre Le Sample et BLBC (16am/PARA-), le festival portait une programmation ambitieuse, pluridisciplinaire et veut offrir un écrin unique à l’écriture, « loin de la forme canonique du roman ». Arnaud Idelon, et son acolyte Samuel Belfond, ont initié cette réflexion collective autour des « écritures en présence » : comment faire entendre des écritures en dehors du livre et comment inventer des dispositifs d’écriture collective ?
Autant de questions que l’on a pu se poser sur ces écritures : qui en sont les auteur·ices, comment se performent-elles, se vivent-elles, se fêtent-elles ? Car la fête est un motif central dans le travail des artistes invité·es, de Simon Johannin à $afia Bahmed-Schwartz, Marin Fouqué ou encore Elodie Petit. Pour Arnaud Idelon, programmateur, la fête est « un espace de narration, d’imaginaires dissidents et de rumeurs qui articulent des communautés momentanées autour d’une fiction en partage. » La pluralité de ces réflexions répond aussi à ces tentatives, affirmées dès cet été dans la programmation du Sample, de « glisser de la performance et de la poésie entre un live et un DJ set pour surprendre le public, créer des résonances composites, jouer avec l’ensemble des codes de ces formes dans une proposition simultanée et transdisciplinaire ».
Comme en trois temps, trois actes, chaque soirée, traversée par les performances des artistes et le mouvement du public, a participé à l’hybridation de l’écriture, la performance, la fête et la musique. Les expériences sonores et visuelles ont fait écho aux espaces – la verrière du Sample, son hall, la fonderie -, offrant chacun une configuration différente. « La programmation est nourrie de recherches collectives, avec le collectif 16am qui cherche à travailler le corps même de la fête comme médium artistique, en y déployant des narrations et dispositifs fictionnels.»
Retour sur le JOUR I : l’énergie de la nuit et des écritures vivaces
Du Jour I auquel nous avons assisté, on retiendra l’énergie contagieuse et horizontale se communiquant entre les personnes venues assister aux performances et les artistes. Positions interchangeables et poreuses lorsque chaque artiste semble autant présent·e dans la grande salle / le bar / la piste de danse que sur la scène. Pour Arnaud, « la nuit, la fête, les espaces-temps du club permettent la co-présence de ces formes et pratiques que les artistes invité·es hybrident en inventant des résonances nouvelles et d’autres formes d’attention et d’écoute du public, qui peut danser sur un texte lu puis s’asseoir dans la fosse l’instant d’après pour mieux profiter d’un passage. »
Sur cette scène sont portés des récits : d’abord, ceux du poète et romancier Simon Johannin, accompagné de Victor Villafagne, dont Arnaud a « vu la performance par hasard dans une expo et qui, en plus de faire l’opening et le closing du samedi avec deux sets en miroir, remplace au pied levé le guitariste de Simon Johannin en improvisant aux machines. » Les deux artistes nous accompagnent dans des paysages urbains et mentaux, réels et imaginaires. Ils évoquent les corps, ce qui les traverse, les désirs, et nous parlent à chacun·e. $afia Bahmed-Schwartz, rappeuse, chanteuse et compositrice, prend le relais. Perchée sur une table et ornée d’ailes de chauve-souris, elle envoûte son auditoire sur des rythmes lancinants et une plume à la fois tendre et acérée. Micro à la main, Maschine Mikro MK3 activée du bout des ongles, elle délivre les ressorts d’une écriture tranchante, faisant de la réalité un conte onirique, où chaque élément de son récit dévoile des couches profondes et sensibles, intimes et politiques. Les corps dans le public commencent à onduler et accueillent l’auteur Marin Fouqué qui, couvert d’une cagoule, déverse alors sa « hard tek poésie » jubilatoire et intense.
Pour parachever la soirée, le binôme Elodie Petit, alias Gorge Bataille, et Recto/Verso, caressent nos souvenirs de rencontres et de nuits d’amours passagères avec la joie d’une poésie empreinte de drames. Elodie Petit traverse et triture le langage pour en faire un art politique et désirant, qui gratte chaque partie de nos êtres. Elle est de ces artistes, avec le collectif d’autrix RER Q, ou son duo Ton Odeur, qui retournent et déconstruisent la langue, pour en faire une arme douce, aussi drôle qu’acide et dramatique. Ses récits nous traversent avec passion, comme une nuit qui ne veut pas se terminer. Elle prolonge, par sa performance, une soirée qui nous rappelle que la langue, autant qu’elle peut assigner et contraindre, a le pouvoir de libérer en multipliant les possibles. Nos langues désirent, nous désirons, et nous continuerons à danser jusqu’à la prochaine édition du STURMFREI FESTIVAL.
Poursuivre ce travail et rêver à l’avenir
Car en 2022, prochaine édition il y aura, et le programmateur, rejoint par son collègue, souhaite garder cette « spontanéité, le côté schlag et bidouille, le minimalisme de la scéno, le plaisir de construire la programmation avec les artistes, leur plaisir à expérimenter des formes pour la première fois. » Ils ont également à cœur de conserver leur public, « hyper à l’écoute », dont une large partie leur ont confié être venu·es en « s’attendant à tout, ou à rien. » Alors, pour cette prochaine éditions, le binôme et le collectif commencent à rêver à de nouveaux lieux, et artistes, à « des curateur·rices issu·es d’autres cercles et communautés pour renouveler notre adresse, ainsi qu’à des horaires plus avancés. » Alors pour ça, « il faudra s’étoffer et aller chercher des subventions pour la programmation elle-même, ou le financement de résidences ou la production d’œuvres en amont pour se donner le temps de construire avec les artistes invité·es, et pour éviter la banqueroute aussi. » Après cette première, on est convaincu·es de leur capacité à continuer à grandir, et à offrir des espaces artistiques précieux, comme autant de brèches d’expression, de création et de réflexion.
On retrouvera Arnaud Idelon à la Station Gare des mines le 5 février pour l’atelier d’écriture en club vide « nuit ferment », l’occasion d’habiter les clubs de 22h à 6h du matin en attendant de pouvoir y mettre nos corps en mouvement.
Image à la Une : © Hervé Coutin, STURMFREI FEST, Le Sample x BLBC