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SNAP ! Auto-représentation et auto-défense des travailleuses du sexe

SNAP ! Auto-représentation et auto-défense des travailleuses du sexe

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Exposition d’art pute, talks sur le travail sexuel et les migrations ou les conditions de travail du porno, projections de documentaires comme le très sensible Là où les putains n’existent pas d’Ovidie : Du 2 au 4 novembre, le Point éphémère accueillera la programmation pointue et piquante du festival SNAP ! Sex Workers Arts Narratives and Politics.

Une première édition ambitieuse pour un festival qui amène dans la lumière des paroles souvent laissées dans l’ombre. Qu’à cela ne tienne, ce week-end les travailleur.se.s du sexe ne mâcheront sûrement pas leurs mots. L’événement a été imaginé par Marianne Chargois, travailleuse du sexe depuis 15 ans, performeuse en spectacle vivant et réalisatrice. Programmatrice du What the fuck fest dédié aux sexualités queer et également membre active du STRASS, le Syndicat du Travail Sexuel, elle propose un espace de médiation unique pour exposer avec fierté la réalité du travail sexuel.

Manifesto XXI – Avec la programmation de SNAP! on découvre une quantité d’artistes talentueux.ses et qui sont donc aussi dans le travail du sexe. C’est quoi pour toi le lien entre la condition d’artiste et de travailleuse du sexe ?
Marianne Chargois : Le travail du sexe c’est vraiment un travail de performance, au sens où on performe le stéréotype de genre. On performe le genre féminin, avec toute la caricature esthétisante que ça comprend, avec des tenues et des formes de glamour. En vendant des services sexuels, on est en liens avec pleins de fantasmes, qu’ils soient scénarisés ou pas.

Quand je regarde les œuvres d’artistes contemporaines femme, je vois souvent la figure de la prostituée employée comme critique négative du système marchand dans l’art contemporain. Par exemple Orlan avec Le Baiser de l’artiste. Quand elle met ça en place, elle ne parle pas de la condition des travailleur.se.s du sexe mais elle emploie la figure stéréotypée de la prostituée pour critiquer des systèmes marchands. C’est pour cela que dans la programmation de SNAP !, je trouvais amusant d’inviter l’artiste LNI qui vient faire Le Baiser de la Pute qui là n’est pas du tout dans une critique de l’art contemporain mais vient vraiment s’intéresser à la travailleuse du sexe et à ce qui se cristallise autour de la figure de la pute.

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Rebecca Dorothy

Le festival s’inscrit dans une perspective féministe, comme le STRASS. Dans les perspectives abolitionnistes, dominantes dans la société et avec la loi de 2016 (ndlr: de pénalisation du client) ce n’est pas évident que travail du sexe et féminisme soient conciliables. Comment faire pour clarifier les choses ?

Le festival et la programmation en elle-même viennent rappeler en quoi les enjeux du travail du sexe sont féministes, en quoi les TDS sont féministes, et pourquoi on ne peut plus les ignorer ou faire comme si elles étaient inconscientes de ces enjeux; s’intéresser aux paroles des personnes concernées devrait toujours être central dès lors qu’il est question de féminisme.

Dans le même temps, la volonté du festival c’est aussi de déplacer cette question, c’est-à-dire qu’on ne peut plus continuer à cantonner ces questions-là à une histoire d’égalité homme-femmes. Le travail du sexe, et celleux qui l’exercent, ce sont des femmes, des hommes, des personnes trans. Ce sont des personnes qui luttent contre la précarité, passent des frontières, qui vont être dans des rapports à leur corps non normatif. C’est une histoire de lutte contre le sexisme, de dissidence de genre, de lutte contre la pauvreté. De lutte contre toutes les inégalités en réalité..

Ce sont des questions bien plus larges que « juste » le féminisme. Avec le SNAP !, il y a une volonté à la fois de venir réconcilier, et clarifier que le travail du sexe est un enjeu féministe et à la fois une volonté de dépasser cela car les abolitionnistes passent en fait leur temps à simplifier ces questions et évacuer tous les enjeux qui s’y trouvent.

La prostituée n’est pas absente des représentations artistiques et médiatiques, il y a de nombreux exemples dans l’histoire de l’art. Mais ces représentations sont toujours assez romantiques, l’objet de désir, ou repoussoir. La banalité du quotidien n’est pas ou peu représentée…

Il y a bien une forme de fétichisme autour de l’image de la pute, victime sous son lampadaire, avec une forme d’excitation un peu malsaine autour de figures féminines violentées et sauvées par des tiers masculins. Ou bien des figures plutôt bourgeoises, courtisanes, objets de fascination et de désir. Ce sont deux facettes de la même pièce en fait, avec la facette glamour sexy ou la facette victime, mais on ne fait toujours que naviguer entre ces facettes tant dans la littérature, dans les films, que dans les traitements médiatiques. Finalement la volonté du SNAP! c’est de proposer nos représentations à nous, et quand on y regarde de plus prés rien ne correspond exactement à ces 2 facettes stéréotypées. Quand les concernées s’auto-représentent on arrive à des images et discours beaucoup plus complexes. On est dans l’auto-représentation comme auto-défense face aux clichés vecteurs et créateurs des violences, discriminations, stigmatisations que l’on peut subir.

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Marianne Chargois (Histoires de putes, série de Romy Alizée)

Qu’est-ce que ça dit de la société d’avoir uniquement ces 2 facettes ?

Je pense que les constructions de genre sont encore loin d’être déconstruites. Quand on est femme, ou assignée au genre féminin, on grandit avec cet espèce d’épouvantail repoussoir de la pute. A la fois il faut absolument s’en distancier en permanence sinon la sanction de l’insulte s’abat rapidement et en même temps, pour être attractive dans des codes de séduction il faut flirter avec les codes de la pute. Adopter les codes de sexyness qui y sont accolés, mais aussi une certaine disponibilité sexuelle. Mais il ne faut pas faire payer, il faut que ça reste gratuit. Si on est une vraie pute et qu’on fait payer, là on se prend toutes les sanctions que de façon générale on réserve aux personnes qui sont dissidentes envers les normes de genre édictées. Par exemple pour les hommes qui ne collent pas aux normes du genre masculin, la figure repoussoir ce sera celle du pédé. Dans les constructions de genre de l’hétérosexualité dominante, tout tourne autour des figures repoussoires de la pute et du pédé.

Tu utilises TDS et pute, quel mot préfères-tu ? Comment les utilises-tu ?

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J’utilise les 2 termes, le mot « pute » plutôt dans un sens de réappropriation queer comme dans le milieu queer on va utiliser “Trans-Pédé-Gouine” dans une volonté de replacer son agentivité dans le schéma de l’insulte. Ce n’est plus vous qui nous insultez, c’est nous qui récupérons l’insulte parce qu’on n’a pas de honte à avoir, parce qu’on est fiers et puissants et qu’on vous emmerde. “Pute” n’est pas une insulte dans cette démarche, ce n’est pas une insulte que vous me collez et que je subis. C’est moi qui me définis comme telle, qui en fait un mot vecteur de fierté et de puissance et non pas d’infériorisation.

L’expression « travail du sexe » je vais l’employer peut-être plus quand je circule hors d’un milieu déjà averti. Les personnes qui n’ont pas tellement de connaissance des pensées queer vont parfois mal comprendre le mot pute et rester à distance. Quand j’utilise TDS pour présenter l’événement de manière plus générale, le mot vient remplacer « prostitué.e » parce que l’idée est de replacer l’activité au centre des terminologies, et non pas une condition, d’évacuer le jugement moral.

Pourquoi le parapluie est-il l’emblème du STRASS et donc du SNAP! ?

Ça a été adopté par les organisations de TDS au niveau international à partir de 2005 globalement. C’est arrivé par une biennale d’art contemporain, à Venise, où il y a eu une manifestation de TDS qui parcouraient la ville. Pour être visibles dans le flot de touristes, ielles se sont muni.es de parapluies rouges. Ensuite ça a été repris dès qu’il y avait des mobilisations collectives au niveau européen et international.

Dans les œuvres exposées, on pourra découvrir le travail de 3 collectifs et 12 artistes de différentes nationalités. En quoi c’est important de cultiver une perspective internationale dans la curation du festival ?
Parce qu’en réalité, des organisations de travailleur.se.s du sexe qui luttent pour leurs droits, pour la décriminalisation du travail sexuel sont partout dans le monde. Ce n’est pas quelque chose qui est anecdotique où on serait une poignée de petites occidentales qui prennent cette position-là. Partout dans le monde, que ce soit en Corée du Sud ou au Cameroun, ou Mozambique, dans tous les pays d’Amérique latine… Partout dans le monde il y a des organisations de travailleur.se.s du sexe qui luttent pour la décriminalisation de leur activité. A l’inverse, il n’y a pas d’organisations mondiales qui fonctionnent en réseau de personnes concernées et qui lutteraient pour l’abolition du travail du sexe. Donc à un moment il faut s’intéresser à ça, au fait que massivement partout dans le monde, les personnes concernées demandent l’accès à leurs droits. C’est important de mettre en avant cette dynamique, car il s’agit d’une histoire politique et collective.

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