Depuis sept ans, Quentin et Jérémy jouent ensemble, l’un à la guitare et l’autre au chant. Rejoints il y a trois ans par Brice, ils ont fait leur bout de chemin, jusqu’à devenir récemment Shake The Ronin. Le son de Shake The Ronin est hybride. Il emprunte au rock, à la mélodique pop, aux rythmiques hip-hop. Il emprunte à l’Orient et à l’Occident. Le métissage y est peut-être parfois peu justifié mais on s’évade, au moins. Rencontre avec le trio au détour de la deuxième édition du Biches Festival.
Manifesto XXI : Vous êtes bien productifs, Shake The Ronin. D’où vient ce rythme ?
Quentin : On a sorti deux EP en un an, c’est vrai.
Jérémy : On travaille aussi sur des vidéos, d’autres titres. On n’a pas de label, on n’a pas de tourneur, d’équipe autour de nous. Tu es obligé de réaliser des choses, d’avoir une stratégie de contenus et de flux.
J’ai lu que vous vouliez vous placer à un carrefour entre l’indé et le mainstream. Est-ce compliqué ?
Quentin : Pour nous ce n’est pas irréconciliable. Il y a plein de groupes qui ont réussi à faire le break sur ce créneau-là. Je pense à alt-j par exemple. Même juste en termes d’esthétique, sur l’identité, ce n’est pas antinomique de mélanger les deux. Je ne vois pas pourquoi il y aurait une guerre.
Jérémy : Dans la mesure où les deux nous intéressaient pour certaines choses on s’est dit, vas-y, on va utiliser les éléments qu’on aime bien. Ça aurait été dommage de se priver de l’un ou l’autre en termes de méthode de production, de chansons.
Ça vous énerve le snobisme de l’un et de l’autre ?
Quentin : Ça dépend. On comprend tous les trois très bien que les gens fassent des choix. Si tu le fais le choix d’être très indé ou complètement mainstream, pas de soucis. C’est juste que d’un côté comme de l’autre, on va te traiter soit d’hipster, soit de beauf. À un moment donné, je pense qu’il y a une vérité à aller chercher un peu plus au-dessus de ça. C’est tous des musiciens, des gens passionnés, mais pas par les mêmes choses. C’est important d’aller gratter dans tout ce qui se fait.
Jérémy : Après je pense que dans le mainstream, ce qui est péjoratif, c’est qu’on trouve peut-être plus d’artistes qui ont été droppés là. Ils sortent un titre, un clip, sur toutes les radios et un an après tu en entends plus jamais parler. Mais ce sont des choses qui se retrouvent aussi dans le circuit indé, tu vas avoir des mecs « Wow c’est génial », et puis plus rien après.
Vous trouvez que le snobisme est particulièrement fort en France ?
Quentin : C’est compliqué parce qu’en France tu as un côté des gens des labels qui vont préférer des trucs mainstream et des trucs qui vendent – même si en soi ça ne veut rien dire parce que tout peut se vendre en fonction de comment tu le vends. De l’autre côté tu as parfois beaucoup de musiciens frustrés qui crachent un peu là-dessus. Dans tous les cas, les gens qui réussissent en claquant des doigts, ça n’existe pas, ce sont des gens qui bossent. Je pense que c’est plus de la frustration que du snobisme avéré.
Jérémy : Le truc aussi c’est qu’en France on a surtout des grosses stations de radio, on n’a pas de réseau de radios indé bien diffusées. Aux États-Unis, les petites radios sont diffusées sur cinq États. Ils diffusent ce qu’ils veulent et ça fait une grosse différence. Tu as l’impression que les radios vont snober certains artistes, mais c’est juste le réseau de radios qui fait ça.
Vous avez une chanson qui s’appelle ‘Learn to Lose’. Au cours de ces sept ans de changements et de placement à des carrefours, vous avez appris à perdre ?
Quentin : C’est un peu ça qui a fait la chanson. Ça raconte un peu notre histoire, même si ça se généralise. C’est venu un peu comme ça, parce que tu es un groupe émergent et tu as mille difficultés. Rapport à l’argent, tu te poses des questions : est-ce que tu continues à bosser ? C’est incarner l’esprit de « Il y a plein de choses qui sont dures mais il faut apprendre à perdre ».
Jérémy : Je crois même que c’est un pré-requis. Si tu ne fais pas de bilan, tu ne fais pas de diagnostics, donc tu peux pas ajuster.
Entre votre nom et vos sons, vous avez pas mal d’éléments liés à l’Asie. Pourquoi ?
Quentin : Les labels adoreraient qu’on dise « Parce qu’on y est allés ». Personne d’entre nous n’est jamais allé au Japon, mais intellectuellement plein de thèmes nous plaisaient. Le folklore, toute la culture des monstres, etc. Graphiquement il y a quelque chose qui se dégage de l’Asie. Même dans leurs contes et légendes, ce sont des choses tellement éloignées de notre culture.
Quand on a découvert ça, on se disait que pas mal de trucs étaient incarnés dans les thèmes asiatiques. Par exemple, Kaiju, le nom de notre dernier EP, ce sont des monstres japonais qui incarnent la nature et qui viennent quand la technologie prend trop de place. C’est exactement ce dont on parlait dans l’EP.
Outre les influences asiatiques, vous avez des influences hip-hop. Quoi donc ?
Quentin : J’écoute beaucoup de rap français, Brice aussi. Je suis un grand fan de Booba, j’aime bien Nekfeu. On est de Caen donc on est évidemment fans d’Orelsan.
De quel manière ça se retranscrit dans votre son ?
Quentin : C’est surtout les rythmiques qu’on aime bien là-dedans, le côté très métronomique. Le groove aussi, le côté un peu lourd. Ce sont parfois des phrasés qui nous plaisent.
Jérémy : Et puis en plus, le hip-hop et le rap, c’est toute une culture dont on se sent proches. Ça revient peut-être dans notre musique, peut-être pas via le son mais parce qu’il y a un état d’esprit qu’on a envie d’avoir. Un truc un peu frais, franc.
Pour revenir au Japon, comment avez-vous confronté l’Occident et l’Orient ?
Quentin : Justement, l’Occident c’est plutôt sur du hip-hop. C’est un peu comme si on avait pris du hip-hop et de l’électro occidentale et qu’on avait mis dessus des sonorités, des touches venant d’Orient. On prend pas mal de gammes orientales au sens large, le Japon c’est plutôt pour les thèmes. C’est aussi même reflété dans notre nom. Le ronin c’est le samouraï sans maître. Ça inspire quelque chose de très sérieux, et « Shake » pour le côté un peu plus dansant et remuant. Tu peux tout marier musicalement en soi.
Dans votre musique, il y a beaucoup de nappes rêveuses.
Quentin : Le rêve, c’est un thème aussi très asiatique. Ghost in the Shell, par exemple. Les Miyazaki sont très oniriques aussi. C’est de l’inconscient, tout ce qu’on avait envie d’y mettre. Même dans les thèmes on est souvent assez imagés. On n’a aucune chanson d’amour, on est pas très concrets donc forcément l’aspect un peu rêveur est là. On parle de trucs qui n’existent pas parfois.
Par exemple le dernier EP qu’on a écrit, il parle du rapport qu’on a à la technologie, mais très fantasmé. Qu’est-ce qu’il se passerait si la technologie était devenue tellement importante qu’on serait presque devenus des machines ?
Qu’est-ce que vous avez envie de dégager par votre univers visuel ?
Jérémy : C’est plutôt compliqué. Dans l’absolu on essaie de dégager visuellement les références graphiques qu’on a. Il y en a pléthore.
Quentin : ‘Learn to Lose’ on a voulu faire quelque chose un peu ambiance Lost, quelque chose d’assez apocalyptique, dernier survivant. En inspiration, on a notamment Take Shelter, un très bon film qui parle de fin du monde sans montrer la fin du monde. « Blinkers », on voulait que ça soit un peu comme une boucle, comme un gif.
On voulait un mec prisonnier de ses bêtises, avec des filles qu’il aurait quitté un peu n’importe comment. C’est un peu comme un supplice qui tourne. Au niveau de notre univers, on n’a pas de bornes. Jusque-là on ne voulait pas être trop premier degré. On travaille vraiment sur chaque chanson particulière à chaque fois.
Dans votre description, vous voulez que vos sons soient des invitations à se rassembler. Rassembler l’indé et le mainstream, l’Orient et l’Occident, les gens, c’est votre volonté générale ?
Quentin : Rassembler, c’est un peu notre mot d’ordre. C’est ce qu’on fait dans notre son, c’est dans notre nom, c’est ce qu’on fait tout le temps. Rassembler, c’est évident. C’est un partage, sinon c’est moche. Après on essaie pas non plus de brasser large ou de ramener tout le monde, mais on n’a pas envie de fermer des portes à des gens.
Jérémy : De manière générale, que les gens aiment ou n’aiment pas, ce n’est pas la question. Mais quand on est sur scène et qu’il y a des gens en face, on veut qu’il se passe quelque chose.