Voilà bientôt 11 ans que Voyage I, manifeste musical à l’origine du label Pan European, est sorti. « Voyage III- Beyond Darkness » traverse déjà la voie lactée depuis le 20 avril. En autoroute verticale, on file avec le fondateur du label Arthur Peschaud et le musicien Judah Warsky en direction d’une nébuleuse fantomatique, à travers les âges, à travers le temps.
Manifesto XXI – On pourrait commencer par une anecdote ? C’est quoi ton Pan European à toi Judah ?
Judah Warksy (JW) : Hmm.. Il y a eu plusieurs fêtes, une à la Machine du Moulin Rouge, en 2015, je crois qu’il y avait tous les artistes du label, Poni Hoax, Flav’ (Flavien Berger). Il y avait aussi l’Impératrice. À chaque fois on essaie de faire une photo tous ensemble, et à chaque fois on ne pense jamais à le faire. Voilà, c’est ça mon anecdote, c’est qu’on est toujours en train de vivre le truc. Bon c’est pas une super anecdote… (rires)
Pan European, c’est un label spécialisé dans le rock et la musique électronique, c’est bien ça?
Arthur Peschaud (AP) : Tout style de musique, on va dire, rock, électronique.
JW : C’est un label qui n’est pas spécialisé dans un style de musique particulier.
Mais il y a des genres absents, comme le rap…
AP : Oui c’est vrai, mais j’aimerais bien. C’est une question de rencontres et de destinée. Moi j’adorerais, j’ai pas encore rencontré de rappeurs.
Depuis 11 ans, la structure musicale et la scène émergente se sont énormément transformées. Grâce à Internet il est beaucoup plus facile de dénicher des talents. Même au niveau de la scène, la communication avec le public s’est modifiée. Les clips sont devenus très importants. Comment Pan European s’adapte à ces changements ?
AP : Il faut savoir que ça multiplie les choix aussi, ça rend les choses beaucoup plus éclatées.
Pan European a démarré en même temps que la crise du disque. On peut dire que c’est une sorte de label de crise.
Mais effectivement on a toujours fait des clips, c’est notre vitrine. Ça a eu une importance croissante depuis 10 ans, mais pour nous, en tant que label de crise, on a toujours dû s’adapter au moment présent. Pour nous c’est naturel de s’adapter aux contraintes. En 10 ans le paysage musical a changé, il s’est réorganisé après le chaos.
Utilisez-vous souvent les plateformes de veille nouvelles, comme Instagram?
AP : Pour trouver des artistes tu veux dire ? Alors pour nous ça a toujours été une évidence, j’ai très peu signé d’artistes dont j’ai reçu les démos. Ça s’est fait d’abord par des rencontres, mais jamais par démarchage. Je dis pas que ça n’arrivera pas…
Mais pour l’instant c’est comme ça…
AP : Oui ça fonctionne par bouche à oreille, par des concerts, des premières parties… Au tout début du label, on tournait dans Turzi, Mat’ (JW) et moi, et c’est comme ça que l’on a rencontré pleins d’artistes qui ont été les premiers représentants du label, comme Total Peace, Aqua Nebula Oscillator et Koudlam.
De quelle façon vous placez-vous entre les majors et l’émergence de genre ?
AP : Ça a changé pas mal à mesure du temps en fait. L’étiquette de label indépendant aujourd’hui n’est plus celle que l’on pouvait entendre dans les années 80-90. L’économie de la musique n’est plus la même. On parlait de label indépendant dans ces années-là lorsque le marché de la musique faisait des milliards de bénéfices. Aujourd’hui on entend par label indépendant un label qui s’autofinance, je sais pas trop …
Si, il y a de ça aussi, j’entends par label indépendant une proposition d’alternative…
AP : J’ai le sentiment que l’on retrouve plus les passionnés de musique dans les majors que dans les indé. Il faut savoir qu’il y a des tonnes de distributeurs différents et la relation en distribution que l’on entretient avec Sony (d’ailleurs Pan vient de signer en licence chez Sony pour une période donnée) se base sur la confiance dans leurs équipes.
On n’a aucune pression artistique, on a des gens pertinents et passionnés de musique en face de nous. La passion musicale est revenue en contre-coup de la crise du disque. Les gens qui étaient dans la musique pour l’argent ont quitté les majors.
JW : Même en dehors des labels, la notion de musique indé, même pour le public, n’existe plus je pense. Aujourd’hui, Universal fait ses courses chez la Souterraine, et Malik Djoudi sort un disque, qui n’est pas moins indé qu’un autre.
AP : Parallèlement à ce que tu dis, aujourd’hui, Because, Wagram sont considérés comme labels indépendants, alors qu’il n’y a pas grand chose à voir avec le fonctionnement que l’on a nous. On est trois salariés, et là il s’agit d’entreprises qui sont pas loin d’être équivalentes à ce que sont les majors aujourd’hui.
Et en 10 ans de crise, chaque label a dû inventer sa méthode de survie. Il y a des labels crées par le live, par l’édition de festivals, par le booking… d’autres par l’objet, le vinyle… Et nous, on est un label qui s’est crée sur l’image. À travers la musique à l’image, comme la musique de films. De toute façon le disque est devenu un outil promotionnel du groupe pour tourner ou faire de la musique de film. En résumé, les labels indépendants ont tous une recette différente pour fonctionner. Il ne s’agit que de cas particulier.
Donc regrouper Naïve, Pan European, Cracki sous la même étiquette ça ne veut pas dire grand chose finalement. Il y a surement une nouvelle nomenclature à inventer, je pense pour différencier les labels entre eux.
JW : Il y aussi des artistes qui sont complètement auto-produits. Maintenant les labels attendent que les artistes soient un peu développées avant de les signer, et certains artistes leur répondent qu’ils ont réussi à aller jusque là seuls, ce qui signifie qu’ils ont pas besoin d’eux.
AP : C’est vrai qu’avec du bon goût et un ordinateur, tu peux faire un bon disque, avec un investissement de 150 euros. Nous on est vraiment un label de développement, un label qui découvre des artistes et qui les suit tout au long de leur carrière, enfin tant que l’on existe.
Donc vous ne cherchez pas à ce que l’artiste prenne son envol vers une major ?
JW : On a pas envie en fait. Je parle en tant qu’artiste. Chez Pan on est bien, on peut faire ce que l’on veut et ils nous suivent. C’est des bons DA (directeur artistique ndlr), et leurs conseils sont bons à prendre. C’est mieux d’être accompagné par des gens de confiance, aussi bien artistiquement qu’humainement. On a pas envie de partir… Enfin moi on m’a rien proposé (rires) mais je pense qu’on a du le proposer à d’autres comme Flav’, qui n’ont simplement pas envie.
C’est très particulier de réunir des artistes différents dans cette compil’. Qui désigne la ligne directrice ? Le label ? Les artistes ensemble ?
AP : Élodie et moi nous nous occupons de la sélection des morceaux. Je crois que c’est une photographie de notre environnement direct, qui comprend les artistes du label et le premier cercle de gens qui gravitent autour de nous. Il y a des morceaux qui viennent d’horizons différents. Celui de Mat’, c’est le morceaux titre de son album qui paradoxalement n’est pas dans son album. Ce morceau cassait l’unité de l’opus (qui est basé sur la prod, avec des morceaux assez longs). Là c’est un hors-d’oeuvre, qui se retrouve dans Voyage III. Enfin, s’il n’allait pas dans Voyage III, on ne l’aurait pas mis, bien évidemment.
Donc si j’ai bien compris c’est Élodie et toi qui choisissez en fonction des propals…
AP : Oui voilà, exactement ! Il y a des morceaux qui ont été conçus exclusivement pour ça, comme Arco Iris d’Étienne Jaumet et Flavien Berger, et des morceaux qui ont été oublié comme celui de Koudlam, par exemple. Ce qui est intéressant, c’est le déroulé que la compil’ permet d’offrir, le nombre de possibilités envisageables.
JW : Il y a aussi le morceau de Vincent (batteur de Poni Hoax ndlr), qui est son premier morceau solo. Il était venu le faire écouter un jour, et Arthur lui a répondu « génial, on sort une compile et hop ! »
Après il y a le morceau de James Darle, qui est sur un autre label (Johnkôôl Records), et comme t’aimes bien l’idée que ce label c’est un peu des petits cousins de Pan, on le met dans le disque.
AP : En plus c’est monté par l’un des membres du collectif Sin, qui s’appelle Quentin Kôôl. C’est lui ailleurs qui m’a présenté Flavien, il y a 7, 8 ans. Ils étaient tout jeunes lorsqu’ils sont arrivés au bureau. Et James Darle a sorti un album qui n’a pas eu l’écho qu’il aurait dû avoir. Il a sorti son album chez Johnkôôl. Il a une pochette magnifique d’ailleurs.
JW : Il y a aussi Musique chienne, qui ne provient pas du label, mais qui est une copine. D’ailleurs elle joue sur plusieurs titres de la compil’, elle est sur le morceau de Bubu.
Alors il va falloir m’aider Bubu c’est Buvette?
AP : Oui haha, Bubu c’est Buvette! (rires)
Fantomes vient de faire son entrée chez Pan. Avec qui vous vous concertez pour accueillir un nouvel artiste dans le label ?
AP : Il n’y a pas de concertation de tout le label lorsqu’il s’agit de rencontrer un nouvel artiste. On a des plannings assez chargés avec Élodie, c’est difficile pour nous de se retrouver ensemble avec tous les membre de notre label.
Avec Fantomes c’est, encore une fois, une histoire de rencontres. Mus c’est un mec qui s’occupait des lumières sur la tournée de Flavien, c’est comme ça qu’on l’a déniché. Sa musique fait resurgir un sentiment oublié, de disques que l’on écoutait à une autre époque.
C’est ma dernière question concernant le label, imaginons que je sois un musicien, tu peux me donner 3 conseils qui me permettront de me faire remarquer par Pan European?
AP : Ne pas faire de pochettes pour les démos. Je trouve que souvent il vaut mieux créer du mystère que de se dévoiler trop rapidement.
Plus c’est mystérieux, mieux c’est.
JW : Mais ça vaut vraiment pour Pan European, parce que la plupart des autres mecs, si tu arrives avec une pochette, ils vont dire : « Ah c’est trop bien, il a un univers. »
AP : Je trouve que ce qui est important c’est le mystère, c’est ce qu’il y a de plus précieux.
JW : Arthur a besoin de pouvoir se projeter dans ce que Pan European va pouvoir apporter de plus au groupe. La plupart des labels cherche un disque qui sera déjà fini, mixé, masterisé avec la pochette. Avec Pan c’est l’inverse, ils recherchent quelque chose à l’état embryonnaire, pour pouvoir le finir tous ensemble.
AP : Ouais, 3 conseils je dirais que c’est ça :
Cultiver le mystère. Démarcher le moins possible. Démarcher c’est se dévaloriser. Réussir à faire en sorte que ce soit les gens qui viennent à toi plutôt que le contraire.
C’est pas évident…
AP : Oui c’est pas du tout évident…. Et le troisième… C’est de laisser la possibilité aux gens de pouvoir donner leur avis, même si tu ne les suis pas. Si tu arrives avec quelque chose qui est fini, c’est clos, il n’y a plus de travail à fournir des deux côtés de la relation. Ça casse mon intérêt presque immédiatement.
En fin de compte tu cherches une sorte de fusion entre l’artiste et le label?
AP : Oui exactement. Sinon on créerait des licences, mais on n’est pas une structure de ce type-là, on préfère entamer des histoires, créer des mythes, je pense que le mystère c’est réellement l’élément central.
À te montrer toute la journée sur Instagram, qu’as-tu à proposer comme mystère ?
C’est très différent de ce qu’affirment d’autres labels quand même. J’ai toujours entendu que les musiciens devaient régulièrement publier sur Instagram, proposer souvent du contenu…
AP : Oui, on le fait lorsqu’il y a de la promo, mais pour que les gens s’intéressent à toi, il faut qu’ils aient l’impression de te découvrir, il ne faut pas qu’ils puissent tous savoir en trois clics.
JW : Ce que vient de dire Arthur c’est vraiment particulier à Pan. Il y a beaucoup de labels où c’est vraiment l’inverse. Si tu arrives avec un truc fini, masterisé, pochette et clip, ils seront très contents, ils n’ont plus qu’à le sortir. Alors qu’Arthur est dans un délire où faire les disques c’est ça qui le fait kiffer. Maintenant qu’il est parti je peux le dire, le sortir c’est la purge, c’est carrément relou.