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Prix étudiants d’art contemporain. Tremplins ou trompe-l’oeil ?

Prix étudiants d’art contemporain. Tremplins ou trompe-l’oeil ?

Manifesto XXI

Le parcours d’un jeune artiste, parsemé d’étapes nommées bourses, prix et résidences artistiques, ferait pâlir d’angoisse le plus carriériste des polytechniciens. Et prédire s’il parviendra à vivre de son art – ou finira concepteur-rédacteur dans une obscure agence de pub – relève d’une science quasi-ésotérique.  À l’orée de cette périlleuse aventure, les Prix Étudiants veulent offrir une première reconnaissance à ces ambitieux.

En janvier, Icart-Artistik Rezo faisait d’Etienne Pottier son neuvième lauréat. La semaine dernière, c’est Léonard Martin et Joséphine Dupuy-Chavanat que récompensait le Prix Dauphine. Mercredi, Eve Chabanon remportait celui de Sciences Po, concluant la saison 2018 des Prix Etudiants d’art contemporain. Qu’est-ce, finalement, qu’un prix étudiant ? Créature hybride, il se positionne à mi-chemin entre les prix historiques dédiés à la jeune création – Salon de Montrouge, Prix Marcel Duchamp, entre autres – et un projet universitaire collectif, rapportant à ses organisateurs autant de crédits ECTS qu’un cours de salsa entre midi et deux. Il est orchestré par des équipes étudiantes, chapeautées de loin par leur école. “L’objectif principal de ces prix est de servir de galop d’essai pour des étudiants qui, quelques années plus tard, feront partie d’équipes de prix prestigieux dans le monde de l’art” explique Joséphine Dupuy-Chavanat, membre de l’équipe du Prix Dauphine 2016, et lauréate cette année, en qualité de commissaire, de son Prix du Jury avec l’artiste Léonard Martin.

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Remise du Prix du Jury 2017 doté par la Fondation Paris-Dauphine au binôme Ferdinand Kokou Makouvia et Chris Cyrille – © AUSTIN DICKEY

Instinctivement, ces Prix ont reproduit les caractéristiques de leurs cousins plus mûrs : sur le modèle sacro-saint de l’appel à projet, ils invitent des artistes, souvent âgés de moins de 30 ans, à soumettre une proposition à un jury, qui décidera d’une première sélection, généralement exposée quelques jours dans l’enceinte de l’établissement, puis des lauréats, qui toucheront une somme d’argent et seront invités à exposer dans une galerie cotée.

A une échelle restreinte, en terme de moyens et de reconnaissance, ces prix capitalisent ainsi sur l’attrait d’établissements dont le nom est connu de chacun, depuis nos expériences Parcoursup, APB pour les plus vénérables, afin de mettre le pied à l’étrier d’une jeune génération d’artistes, de commissaires et de porteurs de projets culturels. Initiative louable et salutaire, donc, d’autant plus que le cadre académique, allégé de certaines contraintes économiques, permet quelques innovations. l’équipe du Prix Dauphine 2016 avait ainsi rénové le format en invitant les candidats à postuler en tandem commissaire-artiste, opportunité pour mettre en valeur leurs liens et tensions.

Plus encore, ces manifestations tendent à sortir l’art de son ornière ouatée, à porter la jeune création hors d’un cénacle dont elle ne sort que rarement. On l’observe d’ailleurs à ces vernissages, moitié FIAC, moitié soirée BDE, qui prennent ici pour écrin le patio d’un établissement germanopratin, là les cimaises brutalistes de l’université Paris-Dauphine.  “Le Prix est né car des étudiants férus d’art contemporain ont déploré — comme je le déplorais — l’indifférence des étudiants envers l’art de leur époque.” note Laurence Bertrand-Dorléac, historienne de l’art et membre fidèle du Jury du Prix Sciences Po. Et porter ainsi les plus fraîches créations visuelles à un public large, peu habitué à franchir le seuil d’une galerie du Marais, ou le périphérique, pour les habitués des artist-run spaces suburbains.

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Gisants de Roxane Kisiel lors du vernissage Icart-Artistik Rezo 2018 © Pauline Fiquet

Et si la qualité des propositions présentées demeure hétérogène, ce qui est le propre de la jeune création, ces manifestations ont pu porter devant ce public, jeune lui aussi, quelques-uns des talents les plus prometteurs de notre génération. Pauline Lavogez, Guillaume Bresson, Julien Prévieux, Clément Cogitore – déjà superstar lors de sa (trop) facile victoire en 2016 – ou Thibault Brunet furent lauréats d’un de ces prix au cours des dix dernières années. Ils frappent aujourd’hui aux portes des plus grandes galeries et centres d’art, lorsque le tapis rouge ne leur a pas déjà été déroulé.

Dans ce tableau vertueux, quelques voix regrettent pourtant le manque de professionnalisme qui caractériserait ces manifestations. Pourtant peu désireux de cracher dans la soupe – on les comprendra – du bénévolat estudiantin, d’anciens lauréats notent, sous couvert d’anonymat, que les équipes étudiantes ont eut parfois des difficultés à prendre la mesure de l’investissement réalisé par les artistes, et leur permettre d’en tirer profit. Il faut comprendre que la carrière naissante d’un jeune artiste est, à plusieurs égards, aussi administrative que la recherche de stage en marketing digital de votre petit frère en école de commerce. Bourses, prix, résidences auxquels l’artiste prétend, occupent une importante partie de son agenda, part où ce dernier n’est plus tant créateur que VRP de sa propre production. Dès lors, chaque participation est un investissement en temps, dont l’artiste espère qu’il contribuera ensuite à lui assurer de meilleures conditions de création et d’exposition.

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Présentation de Nathaniel Herbelin au Jury du PSPAC 2017 – ©Guillaume Belvèze

Dans ce cadre, les Prix Étudiants ont occasionné parfois de déceptives situations. En premier lieu, l’inexpérience des équipes organisatrices, les conditions d’exposition parfois précaires – un couloir entre deux amphis – n’ont pas permis aux artistes, même lauréats, de capitaliser sur leur participation. Pis encore, le roulement annuel des étudiants a entraîné parfois de véritables couacs, tel cette exposition en galerie promise à un vainqueur, bientôt laissé sur le carreau par l’équipe suivante. Par delà ces cas limites, nombres de jeunes artistes notent que ces prix, passé le hâtif coup de projecteur médiatique, et  la possibilité, pas toujours exploitée, de confronter sa pratique à l’œil d’un jury souvent prestigieux, contribuent peu à l’évolution de leur carrière, en comparaison du temps par eux investi.

Une rapide étude statistique de la situation des 21 lauréats des 3 principaux Prix Etudiants – Sciences Po, Icart, Dauphine – confirme cette intuition. Aujourd’hui, 45% d’entre eux sont représentés par une galerie, étant entendu que cette représentation n’est pas tant un graal que la marque d’une intégration au sein du marché leur permettant de poursuivre leur œuvre dans des conditions satisfaisantes. À titre de comparaison, sur la même période, la marque se porte à 80% pour les lauréats du Salon de Montrouge, certes plus institué et destiné à des artistes plus matures.

Ces quelques observations n’ont pas valeur de mercuriale pour les équipes présentes et à venir des Prix Etudiants, dont il faut célébrer l’énergie, bénévole, et la volonté de mettre en valeur la création la plus embryonnaire, à défaut parfois d’être avant-gardiste, de notre époque. Elles rappellent toutefois la responsabilité que peut constituer l’organisation d’une manifestation à destination des jeunes artistes, à l’heure où ceux-ci se confrontent pour la première fois à un marché vaste et concurrentiel.

Voir Aussi

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Mathieu Roquigny, Prix du Public au Prix Sciences Po 2015 – ©PSPAC2015

Pour aller plus plus loin :

Prix Sciences Po pour l’art contemporain
Prix Dauphine pour l’art contemporain
Prix Icart-Artistik Rezo

et leurs lauréats 2018 :

Eve Chabanon
Léonard Martin (Commissaire : Joséphine Dupuy-Chavanat)
Etienne Pottier

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