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Perfume Genius, danse et opera pour un son dramatique

Perfume Genius, danse et opera pour un son dramatique

Varié, surprenant et doux, Mike Hadreas, le nom derrière l’imposant projet d’Art Pop, Perfume Genius, présente pour le mois de juin la genèse d’une toute nouvelle direction artistique : son nouvel album Ugly Season dévoilé sur Matador Records. 

Alliant ses récentes expériences en tant que danseur, réalisateur de clips vidéos et chorégraphe, le nouveau projet de Perfume Genius fait suite à la bande-son Set My Heart on Fire Immediately présenté en 2020. Cette nouvelle proposition Ugly Season, créée et composée à la même période il y a deux ans, gravite autour des mêmes sources d’inspirations, pour une branche cette fois-ci beaucoup plus expérimentale. L’album accompagne la pièce de danse immersive, The Sun Still Burns Here, commandée par le Seattle Theatre Group et le MASS MoCA (musée d’art contemporain de Massachusetts) en collaboration avec la chorégraphe Kate Wallich.

C’est l’utopie de Mike qui est présentée, un monde aliénant musique classique, baroque, et IDM. Pour une création plongeant dans l’intimité du monde de la danse, où les paroles se font rares, mais où toutes autres propositions ne tombent pas dans une composition prétentieuse et élitiste. En plus de la danse, celui-ci explore et subvertit les concepts de la masculinité. Perfume Genius prend la parole avec nous sur ce qui est pour lui « le son de l’euphorie des pistes de danse ».

Manifesto XXI : Alien Baroque, c’est un nouveau genre musical qui pourrait correspondre à l’étrange, mais fascinant Ugly Season. On y retrouve des touches de musique classique (flûte, clavecin, piano, violons…) tout s’entrechoque avec la saturation d’éléments électroniques. On pourrait même entendre des inspirations d’Erik Satie sur des sons comme « Teeth ». Qu’est-ce qui a inspiré ce mélange de styles sur ce nouvel album ?

Perfume Genius : Oui c’est vrai, c’est une sorte de mélange bizarre de sentiments spirituels. Une grande partie de ma musique est apparue, comme si elle était née d’un lieu spirituel, distant. Mais j’étais aussi très formel à ce sujet. Je voulais que l’exécution soit à la fois nette, précise, mais libérée parce que le monde de la danse est très étouffant. Ça peut faire rapidement très intello (rires). Tu sais, il y a un beau lien entre la danse et la musique classique. Je voulais qu’on ait l’impression d’être suspendu dans les airs, d’être plus haut. Beaucoup de ces sentiments sont nés de quelque chose de plus humain et de pas si prétentieux que ça.

Tous les sons ont été composés durant la tournée de danse The Sun Still Burns avec Kate Wallich ?

Oui, ils ont été faits à peu près au même moment. Nous avons fait beaucoup de répétitions et de réunions. En regardant les vieux théâtres et en parlant de stylisme. Je voulais que la performance soit perçue comme un opéra. Je ne voulais pas faire de la musique d’ambiance, ni un ensemble de sons aux textures multiples pour accompagner la danse. Mon partenaire Alan (Wyffels), est un musicien de formation classique et a appris le piano et la danse à l’école. C’est un musicien très doué, il a composé la majeure partie des pianos sur le projet.

Camille Vivier

La musique instrumentale est prédominante dans ce projet, c’est ce qui frappe le plus durant la première partie. On entend les premières paroles qu’à partir du deuxième morceau. Les voix qui précèdent sur la première piste agissent comme des chuchotements cachés parmi les instruments. Était-ce un choix de limiter la place de votre voix sur l’album ?

Je ne sais pas si j’ai fait ce choix directement, mais je me sens définitivement obligé d’utiliser une structure pop. Et à chaque fois que je fais un disque, j’essaie de penser à une nouvelle façon d’aborder les choses. Quand j’ai commencé le disque j’ai pensé au temps différemment et donc à la voix différemment. Je n’ai pas ressenti le besoin de faire des couplets et des refrains, même si certaines chansons en ont et que c’était amusant d’essayer. Beaucoup de ces chansons sont nées d’improvisations et elles étaient très longues. Essayer de forcer une structure pop par-dessus tout ça s’est avéré plutôt cool (rires). Dans beaucoup de mes musiques préférées, la voix s’insère et se retire. Elle n’est pas toujours au premier plan. Je veux dire, je suis habitué à ça, sur ce dernier projet j’ai décidé de laisser tous les autres éléments communiquer aussi fortement que ma voix.

En plus des voix cachées parmi les instruments, c’est la désorientation massive qui marque. Une fuite d’un sentiment pour en retrouver un autre ou encore des ruptures majeures qui divisent les chansons en deux sentiments distincts. Par exemple, dans « Herem » une seule note entraîne les autres instruments, menant à un breakdown dramatique, introduisant le chaos et des distorsions sur la deuxième partie du son. Le projet montre une transition importante entre des chansons à la structure simple, presque squelettique, et des parties remplies de couches de sons. Pourquoi des transitions aussi brutales ?

Cette chanson « Herem », je l’ai pensée comme une sorte d’annonce à l’ensemble de l’album et de la performance. Pour introduire l’histoire de la performance, je cite dans le morceau les noms des personnages. C’est une introduction à tous les ingrédients qui vont se trouver dans le reste de l’album. Mais parfois, je ne sais pas pourquoi, je suis très à l’aise quand il s’agit de passer d’une chose à quelque chose de radicalement différent. Si je suis en train d’écrire, et que ça va complètement ailleurs, j’essaye de ne pas le remettre en question, je laisse aller. Il doit y avoir une raison pour laquelle je ne peux même pas comprendre quelque chose, mais je souhaite le garder, c’est vraiment satisfaisant pour moi.

Tout le projet est une sorte de rêve utopique. Penser à des sorts que je dois jeter, comme chanter ou alors penser à des rituels qu’on devrait mettre en place pour s’assurer qu’on reste ensemble.

Perfume Genius

C’est comme si la majesté pouvait être suivie d’un sentiment horrible lui-même suivi par un soupçon d’innocence. Il y a une place pour des instruments très lumineux qui ajoutent une touche de douceur au projet. Dans « Just A Room », après une intro horrifique et majestueuse, celle-ci est suivie par un piano enfantin. Des artistes comme Jónsi & Alex Somers utilisent beaucoup ce type de sons. Qu’est-ce qui a amené l’utilisation de ces sons ?

Ce sont des performances en direct, on a joué du piano, mais il y a aussi le lithophone, un bloc de pierre qui agit comme un xylophone. On retrouve aussi ici comme dit précédemment une rupture mais avec un piano très enfantin. C’est un piano bastringue, un piano droit désaccordé, ce qui lui apporte une sonorité organique. Honnêtement, plus je vieillis, plus j’ai l’impression que j’essaie de revenir à ce que je ressentais quand j’avais quatre ans. J’aime me retrouver dans un endroit très innocent, avant que ma propre conscience, censure et limite mes pensées.

« Pop Song », apporte un côté pop et accessible à l’ensemble de l’album avec notamment des percussions. Les éléments lumineux évoqués plus tôt peuvent aider, pourtant d’autres touches utilisées restent sombres et effrayants (des voix presque gutturales). Peux-tu m’en dire plus sur l’intention qui se cache derrière ces titres ?

J’aime l’idée que le premier single du projet s’appelle « Pop Song ». Je voulais que le milieu de l’album ait une chanson pop. C’est pour ça que je l’ai appelée comme ça (rires), mais je l’ai écrite en pensant que j’avais besoin d’une chanson qui soit plus traditionnelle en essayant de faire en sorte qu’il soit quand même similaire à l’ensemble du disque en reprenant certains éléments.

Je l’ai faite avec Blake (Mills) et Alan et c’est ce qui ressemblait le plus à notre façon de travailler habituellement, mais il y a beaucoup plus d’improvisation sur ce disque et les chansons sont plus longues.

Mais celui-ci était plus comme une démo, j’avais tout tracé à l’exception peut-être de la section instrumentale au milieu, que nous avons juste joué avec les instruments; j’adore jammer, vraiment. J’ai eu une session avec mon groupe avec lequel je suis en tournée, ce sont tous d’excellents musicien·nes et je n’ai jamais vraiment vécu ça avant. Je veux dire que toute la musique que j’écris habituellement, je l’écris seul dans une pièce, dans le noir.

Même si celles-ci sont moins présentes, peux-tu en dire plus sur les paroles de l’album ?

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C’est bizarre, ce n’est pas que les paroles me semblent moins importantes, mais elles n’étaient qu’un ingrédient pour ce projet. D’habitude, elles sont très directes. Quand j’écris, c’est comme quand j’étais à l’école, il fallait que je fasse des recherches et que je passe beaucoup de temps à les éditer et à y réfléchir. Je suis vraiment très sérieux à ce sujet. Je l’ai fait également avec ce disque, mais j’ai considéré les paroles plus comme un autre instrument. Et je n’étais pas trop prétentieux à ce sujet, d’habitude je le suis, mais cette fois non, parce qu’elles sont un peu plus florales et poétiques. Elles racontent des souvenirs de danses et de corps. Tout le projet est une sorte de rêve utopique. Penser à des sorts que je dois jeter, comme chanter ou alors penser à des rituels qu’on devrait mettre en place pour s’assurer qu’on reste ensemble.

« Ugly Season », c’est l’idée d’embrasser les sentiments de honte, de culpabilité, de peur. De s’y confronter profondément et en sortir plus puissant.

Perfume Genius
Artwork, Ugly Season, Perfume Genius

Pourquoi est-ce une « Ugly Season » ?

J’adore ce titre et je pense que la chanson est un peu la reine de toutes les autres chansons de l’album. « Ugly Season », c’est l’idée d’embrasser les sentiments de honte, de culpabilité, de peur. De s’y confronter profondément et en sortir plus puissant. J’ai juste aimé cette idée. Celle de se réjouir et de trouver du pouvoir dans les parties les plus sombres, les plus dégoûtantes ou les plus répugnantes de soi-même. C’est vraiment libérateur parfois, ce n’est probablement pas un bon endroit pour y rester longtemps, mais je pense que c’est bien d’y rester cinq minutes pour une chanson. J’aime aussi le fait que ça ne semble pas si éloigné de quelque chose de vraiment beau.

Je pense que l’artwork résume ça très bien, on a peint par-dessus ma tête, l’œuvre d’art est un peu gluante avec beaucoup d’épaisses couches de peinture, ce qui casse l’aspect formel et classique de la peinture-photographie, ça part dans toutes les directions (rires).

Tu as déjà réalisé plusieurs vidéos pour tes précédents albums, comment était-ce de diriger cette fois un clip, en collaboration avec Jacolby Satterwhite ?

Avec lui, je n’avais pas à parler de mes intentions. J’ai l’impression qu’on s’est rencontrés quelque part. Et tout s’est créé très facilement. Donc je lui ai fait entièrement confiance, il travaille beaucoup sur le physique et tout ce qui a un lien avec le corps. Mais aussi beaucoup de travail sur la mémoire, la technologie et la famille. C’est juste un très beau mélange de choses qui pourraient être en compétition ou qui n’auraient apparemment pas de sens ensemble, mais qui sont vraiment harmonieuses dans le produit final. En lui donnant ma musique, je voulais voir quel genre de monde il allait créer, c’est vraiment une vidéo dense. Je vais la jouer pour la première fois au Guggenheim le 1er juin.


Image à la une : Perfume Genius par Camille Vivier

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