Sorti en 2020, Palestiniennes, documentaire de Mariette Auvray, explore au travers d’un voyage les contours de la réalité féminine en Palestine. La réalisatrice s’efface derrière les paroles de celles qu’elle interroge et révèle la complexité d’être une femme créative dans cette région.
Ce texte est initialement paru dans le numéro 8 du zine papier LE GOSPEL, disponible ici.
« Après un film et un voyage en Israël, j’ai voulu filmer des femmes dans les espaces que je traversais. Car je rencontre souvent des hommes quand je voyage » : cette phrase, prononcée en voix off par la réalisatrice, introduit les 3 épisodes de Palestiniennes, découpé comme une web-série et met en avant sa démarche. Quand je lui ai téléphoné pour discuter avec elle de son projet, elle m’a expliqué: « j’avais très envie de filmer seulement des filles. Parce que quand tu voyages, tu fais des rencontres fortuites et ce sont le plus souvent des garçons qui viennent à ta rencontre. Avec ce documentaire, je voulais créer un effet de miroir en interrogeant des femmes qui me ressemblent un peu, qui sont dans l’action et surtout la création. » L’un des grands points forts de ce documentaire est en effet son casting qui, en brassant différentes personnalités et points de vue, délimite de manière intelligente ce qui fait aujourd’hui l’identité palestinienne : « j’ai rencontré des activistes mais ça n’a pas donné grand chose. C’était compliqué aussi car je ne parlais qu’anglais. Le côté politique apparaît dans ce qu’elles font et ce que ça raconte de l’identité palestinienne. »
Au travers des mots de la rappeuse Safaa Hatot, la DJ Yasmine Eve en passant par ceux de la créatrice de mode Natalie Tahan ou de la designer Ghadeer Dajani, se lèvent peu à peu des zones d’ombre sur cette région si particulière et peu connue (Mariette rappelle que tout est fait quand on arrive en Israël pour faire oublier la Palestine). Dajani justement produit des objets au double sens méta et à l’humour acide dont ce coussin pour l’avion rempli de pierres, censé représenter le poids d’être palestinien·ne. « Je ne voulais pas tomber dans le travers de présenter des femmes à plaindre, victimes ou des clichés de la femme arabe. J’ai voulu créer un espace de discussion » raconte ainsi Mariette Auvray. C’est dans ces interstices que se dessinent dans le film les contours inédits (pour moi au moins) de l’identité palestinienne.
Organisé sous forme de road trip, où la réalisatrice est conduite par une jeune femme, le documentaire est là pour rappeler l’aspect labyrinthique et claustrophobique de ce pays victime de son effrayant voisin. Les chroniques de Jérusalem de Guy Delisle que j’avais lu quelques semaines auparavant (où l’auteur raconte une année d’expatrié aux côtés de sa femme qui travaille pour Médecins Sans Frontières) m’avait déjà mis en tête cette notion d’enfermement. Elle prend toute son ampleur avec les séquences consacrées à la rencontre avec la cheffe Mirnah Bamieh qui raconte cette sensation d’être paralysée et aliénée. À la fois par sa condition de femme et par son identité palestinienne. « En tant que femme, je ne peux pas marcher seule dans la rue. Et en tant que palestinienne, je n’ai pas le droit d’aller dans certaines villes. Je suis comme handicapée. Je n’ai pas de jambes » raconte-t-elle dans une interview poignante. La cheffe lutte pour faire perdurer la tradition culinaire palestinienne que les Israéliens tentent de s’approprier et utilise la cuisine pour créer des sas de communication entre des villes voisines et qui pourtant ne sont pas accessibles (sauf à ceux qui peuvent passer les check points comme les médecins ou les journalistes).
Cette double peine/difficulté d’être femme et de vivre en Palestine apparait en filigrane du documentaire dans ces itinéraires de créatrices qui refusent d’être invisibilisées. On entrevoit d’ailleurs quelques images de la session Boiler Room et du set de la DJ palestinienne Sama’ Abdulhadi (qui vivait à Paris au moment du tournage comme l’explique Mariette). Emprisonnée en fin d’année dernière pour un mix organisé (et autorisé) sur le site archéologique religieux de Nabi Musa en Cisjordanie occupée et finalement libérée, la musicienne rappelait au monde entier la condition de la jeunesse et de la communauté artistique en Palestine.
Tourné en 20 jours par la réalisatrice seule, Palestiniennes est un joli tour de force qui porte un regard inédit sur le pays. On ne peut que saluer la volonté de donner la parole à ces femmes que l’on entend souvent peu ou dont on accompagne les discours d’analyses caricaturales. Leurs paroles mises en perspective délimitent une culture passionnante et offrent des portraits ultra inspirants. Une vraie réussite.
Palestiniennes de Mariette Auvray a été présenté au FIGRA en septembre, suivre la réalisatrice pour connaître les dates des prochaines projections.
Ce texte est initialement paru dans le numéro 8 du zine papier LE GOSPEL, disponible ici.