Oumou Sangaré n’est pas n’importe qui. Monument de la musique malienne, elle peut se targuer d’une carrière musicale et d’un business non négligeables. Elle est une voix, elle est une aura, mais elle est aussi un symbole. Oumou Sangaré symbolise ce son venu d’Afrique que la France semble découvrir avec étonnement. Elle le dit elle-même : « L’Europe découvre maintenant que l’Afrique a toujours été un continent qui bouge, qui danse ; le rythme est dans le sang de tous les Africains, que tu le veuilles ou non. » Et il était temps.
Son album Mogoya, sorti le 19 mai dernier chez Nø Førmat! et finalisé par le trio A.l.b.e.r.t., nous le rappelle sans concessions. Oumou Sangaré a choisi un sujet large : les relations humaines. Pour elle, « les relations humaines se dégradent beaucoup ». Et elle n’a pas tort. Dans un monde où les artistes noirs sont encore dévalorisés et exposés aux mêmes clichés, parler à la jeunesse d’amour et d’humanité semble plutôt d’actualité.
Oumou, avec cet album, prend ce qu’il y a de bon à la fois dans la « tradition » et dans la « modernité ». Elle cite la chanteuse Camille, rencontrée lors de son passage en France : « Respecter la tradition, c’est la faire évoluer ». Ni bloqué dans le passé, ni dénaturé par le présent, cet album est le réceptacle d’une construction saine de l’avenir. En condamnant certaines pratiques traditionnelles violentes et en renouant avec des valeurs telles que l’appartenance à la société et au groupe, la passerelle se fait, naturellement.
Le conflit habituel des conservateurs contre les progressistes est rendu obsolète, balayé avec facilité par des titres comme « Kamelemba », mélange de sons traditionnels Wassoulou et d’un pied plus dansant. « Ce n’est pas dur de s’adapter à la modernité. Vous savez, la musique est différente de la politique, de nous les hommes. On se comprend tout de suite, les musiciens, ensemble. Quand j’ai joué avec Alicia Keys, se souvient-elle, je ne la connaissais pas avant de jouer avec elle et elle m’a fait venir pour un duo. On s’est tout de suite comprises même si je ne parle pas bien anglais, et elle ne parle pas un mot bambara, même pas un mot français. »
Oumou est un pont vers ce continent si riche, longtemps et toujours pillé, approprié de manière artificielle. Elle nous montre que le lien est possible dans le respect de chaque culture. Elle nous montre que l’Afrique est une mine d’or qu’il faut toucher avec les oreilles. Pour elle, « il faut expliquer, montrer la culture par la danse, par le rythme. Les festivals sont là pour ça, ils jouent un grand rôle pour découvrir les musiques d’autrui ».
Et son festival, elle l’a d’ailleurs créé au sein de sa terre natale, le Wassoulou, situé à l’extrême-sud du Mali. En décembre, le Festival International du Wassoulou reviendra pour une deuxième édition. Oumou accueille, se démène : « Les amis du Mali sont freinés par le Nord. On veut leur dire que non, le Mali est vaste, ce n’est pas que le Nord. On est prêts à accueillir les amis du Mali dans le Sud le temps que le Nord se calme. Ils ont besoin de visiter le Mali, de voir ce pays de culture. »
On ne le répétera jamais assez, l’Afrique est riche, il n’existe pas une culture africaine mais des centaines de milliers. « La musique locale ne peut pas se perdre, c’est impossible, le continent est trop riche. Tous les jours naît quelque chose. C’est tellement dans le sang que ça ne peut pas se perdre. » Cette richesse, on la retrouve notamment au Mali, qu’Oumou Sangaré définit comme un pays d’oralité où la musique et les histoires se transmettent par le biais des griots, caste de bardes au rôle social très important. Bien qu’elle ne soit pas griotte elle-même, elle prend très à cœur la tradition. Oumou défend à tout prix l’idée que l’Afrique, les êtres, les régions, ont les outils en eux pour rayonner, qu’il ne faut pas laisser son identité derrière : « Quand Oumou arrive, on sait que c’est le Wassoulou qui vient. »
On ne peut évoquer Oumou Sangaré sans mentionner son aura et son combat pour les femmes. C’est là qu’apparaissent toute sa puissance et sa cohérence. Après un engagement par la parole, par les textes, pour l’autonomie et la liberté des Africaines, Oumou décide de montrer plutôt que de dire. Elle se lance dans l’hôtellerie, dans l’agriculture… Celle qui se définit comme une « businesswoman » est très claire : « Il n’y a pas de développement sans la femme. » À nouveau, nous retrouvons cette idée de débrouillardise. Les femmes doivent se prendre en main sans les hommes, les Maliens et l’Afrique en général doivent se prendre en main sans se laisser bercer par l’illusion européenne.
Oumou est là. Symbole de volonté, de force et d’inspiration, elle représente l’Afrique que l’on a longtemps voulu cacher. Que l’on a longtemps voulu éviter. Notre snobisme français nous a trop longtemps privés de ce joyau. Mais Oumou est toujours là, et il est temps de se réveiller, d’écouter et de voir. D’aller chercher sur YouTube Salif Keïta, Fantani Touré ou Tony Allen, et de se laisser transpercer par la beauté. Sans la piller.