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Dani Terreur, l’homme-machines

Dani Terreur, l’homme-machines

Dani Terreur
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Dani Terreur a sorti en 2016 son premier EP, Gri-Gri, entre guitare et synthés analogiques, rock et pop électronique. Il aime la tension de la scène comme le confort de son studio, où ce multi-instrumentiste expérimente et cherche de nouveaux sons, entouré de ses synthés, pour peaufiner son premier album qui sortira fin 2017. Ce jeune surdoué de la pop française est plus à l’aise lorsqu’il s’agit de discuter de musique que de parler de lui. Rencontre.

Manifesto XXI – Tu viens d’une famille de musiciens, tes parents t’ont-ils vite encouragé à jouer d’un instrument ?

Dani Terreur : Maintenant, il est à la retraite, mais mon père a été musicien toute sa vie pour des artistes de variété. Il était musicien de studio et compositeur aussi, et ma mère était danseuse. Ils ne m’ont pas forcé ou poussé nécessairement, ça a été plutôt naturel. C’est plus le fait d’écouter de la musique tout le temps.

Qu’entendais-tu gamin, qui t’a donné envie de jouer ?

Le truc que j’adorais vraiment quand j’étais gamin, c’était Prince, l’album Diamonds and Pearls avec la chanson « Cream », c’est le truc dont je me souviens le plus. Sinon, les Beatles aussi, des trucs vieux comme ça.

Tu as commencé le piano assez jeune ?

Oui, j’ai commencé enfant à faire du piano ; quand j’étais ado, j’ai fait de la guitare, et après j’ai commencé à faire des trucs de musique électronique. C’était l’époque de Myspace et tout, je faisais des morceaux électro que je mettais sur Myspace, ça m’a vraiment mis un pied dans la production.

Tu joues de beaucoup d’instruments différents ?

Au début, je n’étais vraiment que guitare, pratiquement, et un peu piano. Et puis après, j’ai commencé à avoir un bon niveau au piano. Je fais aussi de la basse, mais bon, ce n’est pas très loin de la guitare, de la batterie et des synthés, mais c’est proche du piano.

Tu as beaucoup de claviers ?

J’ai un vieux Minimoog que mon père m’a filé, du coup (rires) ; j’ai eu du bol là-dessus. J’ai aussi un Prophet-6 que j’ai acheté moi-même, pour le coup, ainsi qu’un MiniBrute, un Roland S-50 et un Fender Rhodes que mon père m’a filé aussi. Quand il a arrêté de faire de la musique, il m’a tout donné (rires).

Et le synthé qui te manque, que tu rêverais d’avoir ?

Honnêtement, si je suis rationnel, il ne me manque rien. Tu peux déjà faire beaucoup de choses avec ce que j’ai. Après, c’est toujours le problème, quand tu es musicien et que tu aimes bien les instruments, il y a toujours la course au matériel. Si je n’étais pas rationnel, il me manquerait plein de trucs. Le plus gros kiff, ce serait d’avoir un CS-80, un synthé Yamaha des années 1970, très rare, qui a été fait à mille exemplaires. Phoenix, Daft Punk et Air ont chacun acheté le leur. C’est considéré comme un des plus beaux synthés du monde. Sinon, j’aimerais bien un synthétiseur modulaire, genre un Moog mais modulaire, mais ça coûte bien 60 000 $ (rires) donc c’est totalement impossible. Le danger, c’est de ne faire que ça aussi, que du matériel, de la recherche sonore et pas de musique.

Tu passes beaucoup de temps en studio à chercher des sons sur tes instruments ?

J’y passe quand même beaucoup de temps, j’adore ça en même temps. Mais c’est un peu un piège, il ne faut pas que ça t’empêche d’être créatif. En fait, le son, c’est bien sûr important, mais ça concerne peu de gens. Ça concerne déjà celui qui le fait et qui kiffe, et puis les passionnés. Sinon, j’ai l’impression, en tout cas quand j’écoute de la musique, que ce que je retiens en premier n’est pas forcément le son. C’est la composition : si le morceau est bien arrangé, les paroles… C’est plutôt ça qu’il faut garder en tête, à mon sens.

Tu passes beaucoup de temps sur les arrangements, sur le mix et le mastering ?

Surtout l’arrangement : c’est vraiment important, c’est ce qui te permet de rendre ton morceau efficace, ça peut aussi lui donner du chien, de l’originalité. On est vraiment dans une période, j’ai l’impression, où l’arrangement devient aussi important que la composition. Tu peux avoir une compo bof, mais avec un arrangement qui tue, tu peux vraiment la sublimer. Enfin, ça a toujours été valable, mais là j’ai l’impression que dans notre époque, il y a cette idée, avec toute la vague de musiques électroniques et tout.

dani terreur
© Mathilde de Galbert

À quoi est-ce dû, selon toi ?

J’ai l’impression que, dans la musique électronique, la mélodie et les accords sont moins mis en avant, du coup ce qu’on pourrait appeler la compo de base est moins mise en avant, et finalement, ça donne une importance aussi forte aux arrangements. C’est l’efficacité du truc, de trouver un groove démoniaque pour faire danser les gens, ça c’est de l’arrangement et ça devient aussi important que la mélodie.

Tu penses d’abord tes morceaux pour le live ou bien plutôt pour une écoute « domestique » ?

En fait, en studio, mon but est quand même que les gens, quand ils mettent le morceau – surtout que je ne suis pas connu –, ne se fassent pas chier, qu’ils n’aient pas envie de zapper. Donc il faut que ce soit le plus efficace possible, sans être putassier bien sûr. Mais pour le live, cette recette ne marche pas forcément. Du coup, j’essaie vraiment d’adapter et de faire des trucs plus longs, des trucs qui fassent plus triper les gens. En live, tu peux plus te permettre d’installer les choses, de faire durer un morceau plus longtemps. Après, j’ai deux formules live. J’ai une formule qui est vraiment rock avec un groupe où j’ai deux musiciens, donc là c’est plus patate. Et j’ai une version plus électro où je suis tout seul avec plein de machines, et là, c’est plus proche d’un dj set ou d’un live électro.

Tu as déjà eu plusieurs expériences en groupe, pourquoi en es-tu sorti ?

Il y a plusieurs raisons à ça. Déjà, humainement, les groupes que j’ai eus étaient avec des amis, donc c’est compliqué de garder l’amitié et le groupe quand tu arrives à une étape professionnelle. Parce que ce qui suit ça, ce sont des batailles d’ego, et du coup ça pose problème. Tout le monde n’est pas d’accord, du coup c’est un régime démocratique avec des trucs de dictature. Tu passes plus de temps à faire du brainstorming, à t’engueuler, à prendre rendez-vous qu’à jouer. Du coup, parallèlement, j’ai fait mes chansons pour Dani Terreur et je me suis rendu compte que c’était plus simple, que je pouvais aussi raconter plus de choses personnelles, tout simplement parce qu’on ne m’embêtait pas.

Il y avait des choses que tu ne pouvais pas faire dans tes anciens groupes ?

À l’époque, c’est surtout que je voulais chanter en français. Quand j’ai commencé à chanter en anglais dans les groupes, à un moment, je me suis rendu compte que si je voulais vraiment être chanteur, il fallait que j’arrête de chanter en anglais parce que ça ne passait pas. Quand tu chantes devant le public, les gens ne comprennent pas ce que tu racontes, et toi tu ne comprends pas ce que tu racontes non plus.

D’autant plus qu’en ce moment, il y a de moins en moins de complexes à chanter en français chez les artistes de pop.

C’était mal vu, oui. Maintenant, c’est redevenu cool la variété, je n’arriverais pas à l’expliquer. Du coup, ça décomplexe les jeunes qui chantent en français. Alors est-ce que la variété est devenue cool parce que les jeunes se sont mis à chanter en français ou est-ce l’inverse ? Je ne sais pas. En tout cas, ça débloque des choses. Il y a cette nouvelle vague de chanteurs et de chanteuses, plus de chanteuses d’ailleurs pour le moment, j’ai l’impression que c’est plus créatif parce que, du coup, c’est plus honnête. Après, c’est mon avis, je peux me tromper.

Tu fréquentes un peu les acteurs de cette nouvelle scène française ?

Au début, non, mais à force de faire des concerts, tu rencontres des gens. Je joue aussi dans un groupe avec un mec qui s’appelle Lockhart et qui joue avec Fishbach. Dans ce groupe, il y a un mec qui s’appelle Noé et qui joue dans Amarillo, un gars qui s’appelle Guillaume Léglise qui a un groupe aussi. Du coup, tout ça fait un petit réseau.

Comment imagines-tu le futur de la musique ?

Je l’imagine de plus en plus fragmentée. De plus en plus d’individus qui font de la musique dans leur coin, comme moi, quoi. Je la vois aussi de plus en plus fragile mais toujours indispensable. De plus en plus inégalitaire, en fait. Une sphère très haute qui existera toujours mais qui va se rétrécir encore et des trucs indés qui seront peut-être encore plus indés. Et il y aura tout un bordel ultra fragmenté entre les deux.

Les gens vont de plus en plus faire des trucs à une seule tête pensante à mon avis, et après, ça va être une constellation. Mes musiciens jouent tous dans dix mille trucs. Je joue avec Lockhart, lui joue avec Fishbach, et dans Fishbach tous les musiciens ont leur truc solo aussi.

Tu as eu de bons retours sur l’EP ?

Oui, je suis très satisfait des retours. Et puis là, du coup, ça me permet de faire l’album que je vais enregistrer cet été, j’ai tous les morceaux écrits, il faut juste que je le produise, donc je vais le faire cet été. Après, je verrai, je pense que je passerai en studio pour des trucs additionnels à la rentrée et pour le faire mixer. Ça dépend avec qui je le sors, aussi.

Tu as des contacts avec des labels ?

Il y a quelques pistes mais rien de concret. Certains s’étaient manifestés au début, avant que l’EP sorte. C’est assez compliqué de signer en maison de disques en fin de compte, et puis est-ce réellement une fin en soi ? Là, il y a des trucs qui sont revenus, et je pense que je vais aussi aller voir des labels, mais avec tous mes morceaux enregistrés, après l’été.

Tu rechercherais plus une structure pour la distribution et la promotion ?

Là, je suis ouvert à toutes les configurations, parce que je suis serein avec ça. Vu que j’ai réussi à sortir l’EP tout seul de A à Z, je me dis que je peux très bien le refaire, il y a plein de gens qui font tout en autoproduction. Après, tout dépend ce que l’on me propose. Si jamais j’ai un deal qui se propose, ça peut très bien être de la distribution, de la licence ou même un contrat d’artiste, si c’est un super label où tu rencontres de bonnes personnes. C’est encore ouvert.

Ton album sera dans la même veine que l’EP ou tu vas explorer d’autres choses ?

Dans le propos, il sera peut-être un peu moins sombre, si on peut dire que l’EP est sombre. Je pense qu’il sera plus chiadé aussi, parce que l’EP a vraiment été fait vite, donc là je vais passer plus de temps. C’est bizarre, mais il sera à la fois un peu plus rock, donc il y aura plus de guitare, et je vais un peu plus me débrider là-dessus, et plus électro. En fait, ça dépend des titres. Vu que là, il y aura onze titres dedans, je sais qu’il y aura des morceaux assez longs de musique électronique, au moins un ou deux. Il y en aura deux qui seront vraiment psychédéliques, des trucs qui prennent vraiment le temps, et sinon des trucs un peu comme dans l’EP, des pop songs que je joue déjà sur scène.

dani terreur
© Séverin

Tu as des influences en rock psyché ou en musique un peu expérimentale ?

Je ne sais pas vraiment si on peut dire que c’est psyché, mais j’aime bien Kraftwerk, Pink Floyd, et il y a un groupe anglais qui s’appelle Wire qui est vraiment psyché et un peu punk mais très lent ; même Bowie a fait des trucs un peu psyché. Les Talking Heads aussi ont fait des trucs comme ça qui me plaisent, et Frank Zappa même, mais bon, Frank Zappa a tout fait, il y a à boire et à manger. Lui, c’est carrément pire que psyché, mais c’est génial en même temps. C’est un artiste total en fait, il est totalement chtarbé, il va plus loin que la musique.

J’ai l’impression, que ce soit dans ton nom, dans l’esthétique de ta pochette ou dans les références que tu cites, qu’il y a toujours un côté un peu icône, personnalité totale. Est-ce que ce sont des personnages qui te fascinent ou peut-être toi-même te sens-tu icône ?

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C’est vrai que les personnages qui me fascinent sont des trucs d’icônes. Ça m’impressionne énormément ce que peuvent devenir des mecs comme David Bowie et tout. L’enveloppe dépasse ce qu’il est réellement. C’est un truc dans la pop et dans la musique qui est impressionnant, et du coup, je crois que j’ai cherché à faire ça avec la pochette. Ce n’est pas vraiment un pastiche mais un peu un clin d’œil à toutes ces influences que j’ai.

Je parlais d’icône aussi par rapport à la radicalité de ces personnages et par rapport aussi à certains thèmes que tu abordes dans l’EP, des émotions assez fortes, assez radicales, des pulsions violentes, etc. Ce genre de sentiments, d’émotions fortes, ce sont des choses que tu recherches, que tu expérimentes, que tu aimes observer ?

Ce sont les trucs qui me parlent, tout simplement, qui me font sentir des choses. Et j’aime bien en parler et mettre un mot dessus. Je n’aime pas la musique qui a des propos trop soft. J’aime bien quand c’est très imagé et que ça part totalement en couille, ou alors mélangé à un truc très terre-à-terre, presque violent. Parce qu’il y a de la violence dans tous nos propos, même dans les choses qu’on ne dit pas. On est témoins de ça tous les jours mais de manière tellement indirecte. Pas uniquement la violence physique mais aussi la violence dans la manière dont les gens se comportent entre eux, et moi je fais partie de tout ça aussi.

Il y a un truc que je n’aime pas trop dans la musique, c’est quand il n’y a pas de sous-texte, quand c’est trop easy listening : « C’est les vacances en Normandie, on va pécho, c’est trop cool », ça me saoule un peu (rires). Mais bon, s’il y a un sous-texte, pourquoi pas, c’est rigolo. Il y a pas mal de trucs en français qui sont un peu dans ce mood, et moi ça ne me parle pas, la musique un peu bourge, déconnectée. C’est pour ça que je préfère dire de vrais trucs, si on peut appeler ça de vrais trucs.

Qu’est-ce qui te révolte, aujourd’hui ?

Je ne suis pas vraiment révolté ; des fois, ça me fait juste de la peine. En soi, je suis révolté intellectuellement mais pas physiquement. Oui, il y a plein de trucs qui me font chier. Ça fait vieux con de dire ça, mais on vit quand même dans une époque compliquée, où tous les codes sont brouillés. Le bien et le mal sont brouillés, les classes sociales sont brouillées, tu ne sais plus qui est quoi. En fait, j’ai surtout l’impression de ne pas avoir le choix, de ne pas faire de choix, c’est le truc qui me fait le plus flipper. Dans la manière dont on consomme, dont on vote, dont on voit la vie, dans la manière dont on pense, j’ai l’impression – après, peut-être que je suis dans une sale phase –, qu’on n’a aucune marge de contrôle.

Tu crois en la politique ?

Non, j’ai du mal à y croire. C’est dommage, mais non, je n’y crois pas.

Ça a toujours été le cas ?

Oui. Enfin, c’est intéressant, mais j’ai l’impression que le monde est sur des rails, en fait. J’aimerais bien y croire ; en tout cas, peut-être qu’il existe d’autres chemins possibles, mais là, le train est lancé tellement vite sur les rails que c’est compliqué d’en sortir, sans le faire dérailler en tout cas. Peut-être qu’un jour, il va dérailler, et on pourra prendre un autre chemin, mais ça va faire un peu mal.

Et la révolution, tu y crois ?

Non, pas vraiment ; je pense qu’il va sûrement y avoir une couille.

Qui viendrait d’où ?

Société ou environnement. À un moment, on pousse les limites beaucoup trop loin, et si on continue comme ça, c’est évident, c’est un truc qui est dans l’air du temps, il va y avoir un problème. Ce sera peut-être ça, la révolution. Mais je ne pense pas que la révolution viendra des individus, c’est ça qui est un peu bizarre. Ou alors, peut-être que quand on aura vraiment la merde tout autour de nous, là, il y aura un vrai sentiment de révolution. C’est peut-être encore tôt, je ne sais pas.

Est-ce qu’il ne sera pas déjà trop tard, pour ce qui est de l’écologie par exemple ?

Ah si, sûrement, c’est flippant. Enfin, je bois du Coca, je fume des clopes aussi, je suis très content dans ce système, c’est totalement contradictoire. C’est pour que ça que j’ai l’impression que les choix sont extrêmement compliqués. Parce qu’en plus, au niveau individuel, même si tu fais un choix radical – je pense que c’est le problème pour tout le monde –, ça ne va pas changer grand-chose, en fin de compte, puisque tu vas juste être un marginal ultra marginal, quoi. Après, c’est peut-être très pessimiste, je ne sais pas.

Tu te considères comme un pessimiste ?

Du coup, un peu, là, quand j’y pense. Mais en fait, j’essaie de ne pas y réfléchir. Le seul truc, c’est la musique et les arts, où il y a de l’optimisme pour moi. Pour tout ce qui est ancré dans la réalité, j’espère que quelqu’un un jour me fera mentir sur le pessimisme, c’est là mon côté optimiste.

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Dani Terreur sera à l’affiche du Bateau Music Festival du 23 au 25 juin aux Mesnuls.

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