Le duo d’artistes bruxellois bouscule les normes visuelles hétéronormées pour explorer un imaginaire érotique libre, étrange, déviant. Leur travail esthétique se situe dans le mouvement queer post-porn : il parle de réappropriation des corps, d’in(ex)timité, de censure, de militantisme et de fantasmes.
Capturant les fragments d’une intimité naissante dans la chaleur de l’été 2021, les premières photos de Nour Beetch et Nicky Lapierre semblent déjà loin. En l’espace d’un an, leurs photographies ont été présentées à l’expo Argent Facile de Genève ainsi qu’au Bruxelles Photo Festival. Leur court-métrage porno a été diffusé dans le cadre du Brussels Porn Festival et vient de remporter le prix du meilleur film au festival londonien Uncensored. Du 27 au 28 mai à Bruxelles, les deux artistes performeront au très attendu SNAP festival (Sex Workers Narratives Arts and Politics) et montrerons leurs œuvres au sein de l’expo « Pute et peintre » visible au Beursschouwburg jusqu’au 17 juin.
Douceur vs trash, naïveté vs kinky, hyper sexualisation vs post-humanisme : à partir d’une bibliographie ultra sourcée, iels s’amusent à déformer le réel et à jouer des contrastes. Dans une recherche aussi philosophique qu’esthétique, iels dessinent les contours de représentations avant-gardistes et décomplexées d’une sexualité au-delà des normes de genre. Comme le décrit Nicky, « je crois que ça m’excite plus de créer de nouvelles écritures érotiques que de penser au plan le plus sexy ». Rencontre et conversation libre avec le duo bruxellois.
« C’est un peu hybride, on met en scène notre intimité mais ça part d’une sexualité qu’on a aussi dans notre quotidien. On témoigne de la façon dont évoluent nos corps, nos identités, individuellement et collectivement ».
Nour Beetch
Esthétique multi-facettes et transgressive
En se rencontrant, Nour et Nicky n’avaient pas pour ambition de former un duo d’artistes. Leurs premières photographies sont des images prises sur le vif, captant de façon spontanée l’intimité de leur rencontre. De cet élan presque instinctif adviendra la série After matter come energy, aux apparences douces et naïves, diffusée sous forme de fanzine DIY rappelant les magazines porno des années 80. « C’est un peu hybride, on met en scène notre intimité mais ça part d’une sexualité qu’on a aussi dans notre quotidien. On témoigne de la façon dont évoluent nos corps, nos identités, individuellement et collectivement ». Si leur démarche photographique relève au départ plus du documentaire que de l’acting et de la mise en scène, l’envie de construire un propos plus profond et politique a progressivement émergé. Aussi, la seconde série nommée Trigger contraste par une esthétique plus percutante, plus profonde oscillant entre l’imaginaire cyborg, machiniste et celui de la violence. Elle pose les prémisses d’une recherche sur le post-humanisme tout en faisant écho aux discriminations vécues au quotidien par les personnes marginalisées issues de la communauté queer comme les travailleur·euse·s du sexe.
En parallèle de leur réflexion sur les rapports de domination genrés, les deux artistes s’interrogent sur leur propre posture au sein du binôme. Au départ, Nour, TDS, performeur·se et dragqueer pose sous le regard hypnotique de Nicky, photographe et vidéaste. Mais Nour a le sentiment d’être perçue uniquement comme un corps extérieur au processus créatif – qu’iel avait librement choisi de sexualiser. « On ne se rend pas compte mais quand tu es modèle tu es aussi acteur·ice. Tu n’es pas un objet inerte. C’est à partir des frustrations liées à cette représentation qu’on a eu envie d’amener la fluidité qu’on questionne aussi dans nos identités ». Dans le projet Simon.e, la caméra passe de main en main pour rejeter la hiérarchie binaire de l’esthète et de la muse ainsi que la relation sujet / objet. Cela leur permet de dévoiler une intimité sans rapport de force et d’explorer des territoires plus complexes et fluides.
Au fil de leurs projets, Nour et Nicky proposent une esthétique très évolutive et multi-facettes à l’image des identités plurielles qu’iels cherchent à incarner. La mise en scène de leurs identités non binaires et de leurs corps en transition, sublimés et grimés, nous interpelle sur nos rapports aux désirs, tabous et représentations sociales. Le corps s’y incarne comme premier lieu des oppressions et des normes cis-hétéro-patriarcales. Inventer de nouveaux imaginaires devient un processus vital et cathartique qui s’impose comme la seule issue possible.
De la relation à la collaboration
L’introspection sur leur place au sein de leur travail nous a amené à parler plus largement de la création au sein d’un couple, qu’iels décrivent comme un processus aussi intense que prolifique : « Il y a vraiment quelque chose de l’ordre de l’explosion, de l’atome ». Cela l’est d’autant plus lorsque les images produites et diffusées portent sur leur sexualité. Ainsi, quand la frontière entre l’amour et la collaboration artistique s’estompe, l’équilibre peut être difficile à trouver. Au sujet de la politisation de l’intimité, iels évoquent le concept d’extimité amenée par le psychanalyste Serge Tisseron. Il se caractérise par une mise à nue de soi dans un but de validation sociale jusqu’à ne plus posséder d’espace intime : « Cette notion est ressortie dans les années 2000 parce qu’on commençait à mettre en scène de l’intimité dans les téléréalités. En fait, il y a tout ce rapport à l’approbation ». Nicky poursuit : « C’est quelque chose auquel on essaie de faire attention. Pour l’instant, on n’a pas besoin de l’aval des autres pour savoir que ce qu’on vit dans l’intime et dans le travail artistique est réel et authentique ». Iel ajoute en riant « J’ai l’impression de sortir un titre de R’N’B “Réel et authentique” ».
« Pour nous, c’est hyper important de ne pas laisser les gens avec un propos explosif sans penser à l’espace de réparation. C’est tout aussi politique de parler de vulnérabilité et de tendresse ».
Nour Beetch
Dans ce contexte, iels cherchent à constituer un environnement épanouissant et surtout bienveillant, en accordant une place importante au care et aux pratiques somatiques. Ce safe space leur permet notamment d’aller plus loin dans le projet et de se dépasser. À propos de la série Simon·e et du court-métrage porno dans lequel « la féminité apparaît comme une performance en soi et un déguisement que tu peux mettre ou enlever », Nicky explique que son rapport au corps a longtemps été dysphorique et qu’en dehors du cadre créé ensemble, iel n’aurait jamais été capable de se filmer nu·e en portant une perruque rose jusqu’aux fesses. Aux yeux de Nour, leur éthique du soin va symboliquement plus loin : « On parle souvent des discriminations subies par la communauté LGBTQIA+, de la colère et puis après il n’y a plus rien. Pour nous, c’est hyper important de ne pas laisser les gens avec un propos explosif sans penser à l’espace de réparation. C’est tout aussi politique de parler de vulnérabilité et de tendresse ». Iel poursuit sur l’importance d’amener de l’humour et de l’auto-dérision dans les luttes féministes et pour les minorités queer. « Notre film est cheap et casse-gueule à plein d’endroits mais ça fonctionne parce qu’on ne se prend pas au sérieux. L’humour permet souvent de se connecter à soi, aux autres et de faire passer des messages qui ne seraient pas compris autrement ».
« Je crois que la déconstruction fait souffrir à des endroits parce que ça fait peur et que c’est compliqué mais cela peut te permettre de reconstruire une nouvelle liberté ».
Nour Beetch
La figure du monstre, symbole queer
À mesure que leur travail artistique s’affine, Nour et Nicky explorent de nouvelles thématiques et proposent des imaginaires davantage mis en scène. De façon organique, le projet semble alors se démultiplier pour s’inscrire dans un processus de constante métamorphose. À partir de Trigger et particulièrement du court-métrage porno Fucking freaks club, leur corpus visuel intègre des notions liées à la mutation et à la monstruosité. Iels s’inspirent de personnages effrayants et socialement rejetés en utilisant des masques et des costumes. Nour s’est notamment appuyé·e sur l’ouvrage Je suis un monstre qui vous parle de Paul B. Preciado, dans lequel il affirme que les identités de genre sont des cages dont il est difficile de se défaire mais indispensable de se libérer. Pour cela, il faudrait donc assumer sa part de monstre : « Je crois que la déconstruction fait souffrir à des endroits parce que ça fait peur et que c’est compliqué mais cela peut te permettre de reconstruire une nouvelle liberté ». Ce concept lui a inspiré des images qu’iel avait besoin de matérialiser physiquement car il y a, à ses yeux, une urgence à diffuser les théories queer en dehors de certains microcosmes intellectuels. « Comment peut-on transmettre ces notions via le corps, les émotions ? J’avais envie de travailler le mouvement, le make-up et les masques pour représenter d’autres identités et jouer sur ce qui est (dé)voilé ».
Les monstres trouvent aussi leur origine dans la pop-culture comme la figure de Carrie dans Stephen King, dont Nicky garde un souvenir marquant : « Mon attrait pour l’apparat et le déguisement vient de là. Les monstres ce sont des personnages que l’on cache, qui sont dans l’ombre mais qui ont aussi le plus grand cœur ». Assumer la part de soi jugée déviante permet, selon elles·eux, de s’accepter, de faire communauté avec d’autres et plus largement de renverser le stigmate de la marginalisation. En ce sens, Nour fait écho au fait d’être queer, non binaire dans un processus de transition mais aussi travailleur·euse du sexe et acteur·ice porno. Comme iel le rappelle, quand bien même les mentalités évoluent, parler librement de son travail n’est pas une chose facile. Le projet prend alors une dimension cathartique : « Incarner ces figures nous permet de ritualiser une forme d’acceptation de soi, de se décharger d’un poids. Ça nous a fait beaucoup de bien ».
« Il y a quelque part l’envie de repousser les hommes de leur piédestal et de reprendre ces endroits de création des imaginaires érotiques ».
Nicky Lapierre
À partir de la figure repoussante du monstre s’ensuit l’idée d’impacter voire de « contaminer » d’autres espaces et des publics moins sensibilisés aux problématiques liées au genre et à la sexualité. « Une fois que l’image est publiée, elle ne nous appartient plus. L’idée c’est qu’elle se propage et qu’elle éveille des endroits de conscience. C’est comme si on infectait les imaginaires. » En effet, si la communauté queer bruxelloise leur apporte un inestimable et nécessaire soutien, iels expriment aussi l’envie de sortir de ce microcosme. Pour Nour, cet enjeu est primordial : « On s’en fout que les mecs cis het blancs se branlent sur notre porno mais ce serait cool de présenter notre travail à des publics moins déconstruits, quitte à ce que ce soit d’abord une réaction de rejet. Je crois que si on a l’envie et l’énergie de sortir de l’entre-soi, c’est une dimension très importante de la lutte ». Nicky ajoute : « Quand tu infiltres des espaces qui ne sont pas ceux de ta communauté, quelque part tu reprends des endroits dont tu as été chassé·e parce que tu ne rentrais pas dans certaines normes. Il y a quelque part l’envie de repousser les hommes de leur piédestal et de reprendre ces endroits de création des imaginaires érotiques ».
L’éco-sexe, réflexion poétique et spatiale
Après s’être confronté à des esthétiques plus trash et plus étranges, le duo s’est intéressé au rapport de domination entretenu avec la nature en s’appuyant sur l’écoféminisme et plus particulièrement sur l’éco-sexe. Cette approche popularisée par Annie Sprinckle vise à considérer la terre comme une amante capable de mettre fin à une relation et non comme une mère dont l’amour serait inconditionnel. Ce prisme théorique leur permet essentiellement de fabriquer des visuels poétiques en évocation avec la nature, comme celle de la lave qui peut être un symbole de jouissance. Nour explique : « Cette idée est venue avec la volonté de se questionner sur notre rapport à l’espace, à l’énergie et d’aller vers des représentations de figures non-humaines. C’est une manière d’ouvrir notre imaginaire à d’autres textures, à d’autres sensations et d’embrasser la terre ».
« Avec une scénographie, le public va littéralement pouvoir rentrer dans notre imaginaire ».
Nicky Lapierre
À ce sujet, Nicky précise que leurs inspirations proviennent souvent de sources différentes. En effet, Nour propose régulièrement d’intégrer des concepts théoriques découverts au fil de ses études en journalisme, en arts performatifs et à travers son parcours de militant·e, alors que Nicky, par le biais de sa formation en photographie à La Cambre, se centre plus sur la conception visuelle des projets : « Contrairement à Nour mes recherches esthétiques passent plus par l’image que par la théorie. La thématique de l’éco-sexe m’a intéressé·e car je travaille beaucoup le rapport à l’espace, que ce soit dans une ville, un espace naturel ou animal ».
Dans la continuité de cette réflexion sur l’environnement spatial, le duo fait progressivement intervenir de nouveaux médiums tels que la performance, la scénographie et la sculpture en parallèle de leurs photographies. Grâce à cette pluridisciplinarité, leur projet visuel se charge de nouveaux détails et occupe plus de place. Leurs expositions prennent alors des allures de cabinets de curiosité et de peep-show. Nicky précise que si l’image aura toujours sa place dans leur travail, elle peut être en 3D, en mouvement ou en aplat : « En allant vers la performance, je sens qu’on décentre le regard car on ajoute du langage, du son, l’énergie physique. Avec une scénographie, le public va littéralement pouvoir rentrer dans notre imaginaire ». Aux yeux de Nour, « Élargir les médiums permet de créer un rapport direct aux émotions, aux odeurs et aux perceptions. On joue sur les contrastes et les matières – des textures douces qui évoquent la tendresse de l’intimité à des choses rugueuses qui rappellent l’inconfort de regarder du porno ».
« C’est une clé importante pour construire d’autres imaginaires sensuels, fantasmagoriques, de manières de fonctionner avec tes partenaires ».
Nour Beetch
Le post porn, un autre regard sur la sexualité
Quelque part entre la transe et le jeu, le duo s’est lancé dans le porno en autoproduisant le film Fucking Freaks Club distribué au Brussels Porn Film Festival. Il sera également diffusé dans les prochains mois au Porn Film Festival de Vienne, Varsovie, San Francisco et Rome. Ce court-métrage s’inscrit dans la mouvance du post-porn, pratique et stratégie interdisciplinaire qui, au-delà de l’évocation du plaisir, porte un regard critique sur les représentations actuelles de la sexualité. L’idée était ici de représenter le sexe comme un acte bienveillant, drôle, créatif et ne relevant pas de la performance. Pour Nour, cette mouvance « pose des questions éthiques, montre une diversité des corps et représente la sexualité pour ce qu’elle est en dehors des normes. C’est une clé importante pour construire d’autres imaginaires sensuels, fantasmagoriques, de manières de fonctionner avec tes partenaires ». Dès ce premier coup d’essai vidéo, le duo a réussi à créer un univers aussi atypique qu’onirique : les ambiances s’entremêlent à mesure que les personnages et la trame narrative se démultiplient. Nour s’amuse des conditions de réalisation : « On n’en revient toujours pas d’avoir tourné ce film dans un petit atelier en une semaine. Dans un circuit classique, il faut plusieurs mois voire des années avant de sortir un film en salle. C’était un peu un fuck au milieu de cinéma et du porn ».
Cependant, l’idée de faire du porno n’a pas émergée tout de suite. En effet, Nicky explique hors champ qu’en dehors de cette rencontre et de ce cadre, iel n’aurait jamais imaginé faire ça dans sa vie : « J’ai un rapport hyper compliqué à mon corps. C’est en commençant à travailler ensemble que ça a évolué. Ça ne m’a pas déconstruit, en fait ce serait plutôt l’inverse, ça m’a plutôt reconstruit à un endroit auquel je m’attendais pas du tout ». Pour Nour, qui est travailleur·euse du sexe depuis plusieurs années, tourner un film érotique n’a pas été une évidence non plus. L’idée a émergé au creux de leur intimité avec l’envie de montrer d’autres corps et d’autres façon de s’aimer, y compris sur le grand écran. Nicky déplore le fait qu’aujourd’hui : « Il y a encore cette volonté de tout lisser, de tout vouloir rendre beau alors qu’en fait tout l’est et il suffit juste d’enlever les couches d’apriori que l’on a ». Au sujet de la représentativité des corps, Nour indique qu’iels mettent en avant des corps en transition mais demeurent dans une certaine norme en étant minces et blanc·he·s et expriment la volonté de réaliser des projets avec d’autres personnes pour se confronter à de nouvelles sensibilités, à d’autres limites que portent les corps marginalisés.
« Le rapport que j’avais au porno était hyper tabou.Je crois que j’ai gardé la sexualité sous un couvercle bien opaque pendant très longtemps ».
Nicky Lapierre
Ce qui est particulièrement intéressant c’est que ces deux artistes ont grandi·es dans un rapport très différent au sexe et à la pornographie. Nour raconte que son imaginaire érotique s’est construit avec le porno mainstream qui, selon elle·lui, reste tabou et décrié alors que le problème ne vient pas de l’objet en tant que tel mais du male gaze, des conditions précaires de réalisation et du manque d’éducation préventive autour de ces enjeux. A contrario, le rapport de Nicky à la sexualité s’est développé bien loin du porn : « Le rapport que j’avais au porno était hyper tabou. Il était vraiment cantonné à une fenêtre youporn ou un espace de pop-up qui s’ouvrait à cause des films que je regardais en streaming. Je crois que j’ai gardé la sexualité sous un couvercle bien opaque pendant très longtemps ». Iel décrit aussi le sentiment de honte survenu à l’adolescence par rapport à ce monde virtuel révélant de facto la découverte de la masturbation – acclamée pour les uns et moquée pour les unes. Ainsi, lorsque les deux artistes se rencontrent, ce sont deux visions du sexe qui entrent en dialogue avec leurs vécus et leurs aspirations pour créer de nouvelles écritures visuelles érotiques. On se réjouit de savoir que le duo travaille actuellement sur un long métrage de science-fiction porno au sujet d’une dystopie queer.
Diffusion, censure et alternatives
Dans le but de faire connaître, d’acquérir une certaine visibilité et d’obtenir des contacts, iels utilisent Instagram mais leurs contenus sont très régulièrement censurés. « Quand l’article de VICE est sorti aux États-Unis, le post a tellement été signalé qu’il a fini par sauter alors que c’est un compte à plusieurs millions d’abonné·e·s. On a reçu énormément de messages de haters, de menaces de mort. C’est fou de voir toute cette haine même si on trouve ça aussi très intéressant de déranger à ce point ». Nour a vu son compte supprimé plusieurs fois, ses publications sont souvent censurées ou shadow-banned. Iel s’insurge aujourd’hui contre cette stratégie d’invisibilisation : « Je continue à utiliser Instagram en postant des photos plus soft pour avoir cette vitrine qui est indispensable mais je n’ai plus envie d’accorder du temps à cette plateforme. Je me rends compte qu’on peut s’en défaire et aller vers d’autres espaces où tu n’es pas censuré·e ». En parallèle des réseaux, leurs photos sont diffusées sur des plateformes payantes comme Onlyfans ou Myms, ce qui leur permet un minimum de revenu et de toucher un plus large public. Nicky raconte d’ailleurs avec étonnement avoir reçu des messages d’hommes les remerciant pour leur travail : « Ça c’est grave une victoire car ça ouvre de nouveaux dialogues et je pense qu’on est avides de conversation. On a eu des échanges lunaires et très bienveillants avec des garçons. Ça m’a redonné un petit peu foi en une partie de l’humanité en qui je n’avais plus spécialement confiance ».
« Je vais paraître pour un vieux militant·e mais les espaces publics sont des endroits où l’on s’organise, où les choses prennent réellement racines et deviennent concrètes ».
Nicky Lapierre
Dans la perspective de trouver un équilibre financier viable tout en rejetant les plateformes mainstream, le duo bruxellois songe à créer une newsletter mensuelle avec un système d’abonnements qui proposerait des articles, des cartes blanches, des photos non-censurées et des prints accessibles ainsi qu’un site internet permettant de créer des compositions graphiques sans les injonctions d’Instagram. Parler des moyens de diffusion nous amène ensuite à évoquer le décalage existant entre le militantisme virtuel et l’engagement sur le terrain. De leur point de vue, les outils digitaux sont des moyens pour inviter le public à venir dans des salles d’expos, dans la rue. Nicky hausse un peu la voix : « Je vais paraître pour un vieux militant·e mais les espaces publics sont des endroits où l’on s’organise, où les choses prennent réellement racines et deviennent concrètes. C’est pour ça qu’il faut venir aux manifs, aux expos. Ce n’est pas la même expérience de regarder une image rétroéclairée par un écran LED qu’un tirage d’un mètre sur deux sur un mur blanc. Tu ne ressens pas la même chose ». Nour s’agace aussi que l’engagement virtuel ne trouve pas la même prise dans la réalité, notamment pour le militantisme pro-pute. « Pour moi, c’est très important d’être dans la rue avec des TDS précaires – faire des maraudes pour distribuer des capotes, créer du lien – parce qu’on parle de post porn mais c’est tellement loin des réalités de certaines personnes que je culpabilise aussi d’être dans ce milieu. Ce qui m’indigne c’est de voir tous ces gens qui se disent pro-droits sur les réseaux mais qu’il n’y ait personne en manif pour leur témoigner du soutien. »
Image à la une : Court-métrage Fucking Freaks Club © Nour Beetch et Nicky Lapierre