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Krump, collages et textiles : Natisa Exocé Kasongo réunit les générations africaines

Krump, collages et textiles : Natisa Exocé Kasongo réunit les générations africaines

Natissa Exocé Kasongo manifesto 21
Touche-à-tout, Natisa Exocé Kasongo danse, colle et crée ses propres vêtements pour renforcer le lien entre traditions ancestrales et nouvelles générations. L’artiste néo-berlinois crée des personnages uniques en mélangeant les codes traditionnels et futuristes. En démarrant sa carrière de danseur à 16 ans, le parisien baigne depuis toujours dans un milieu artistique alternatif. Après plusieurs aventures mouvementées, dont un retour fondateur au Congo, le pays de ses ancêtres, Natisa semble avoir trouvé son équilibre. Depuis l’année dernière, l’artiste de 25 ans vit et danse à Berlin. Une ville qui lui ouvre de nouvelles perspectives.

Interloqué·es, curieux·ses et timides, les passant·es se regroupent autour d’une silhouette dansante désarticulée. Intrigué par le morceau « Say You Will » de Kanye West qui résonne dans la rue, un jeune homme manque de se faire renverser en traversant Oberbaumstrasse sans regarder ! Téléphone à la main, il s’empresse de filmer la chorégraphie de ce danseur attirant tous les regards. Natisa Exocé Kasongo, aka Oob, réalise une performance à l’occasion du Embodied Arts Festival, qui s’est tenu mi-avril à Berlin. Organisé à May-Ayim-Ufer, la rue portant le nom de la poétesse et militante afro-allemande, l’événement ne laisse rien au hasard. Au bord de la Spree, Natissa bouge tel un pantin désarticulé. Par cette danse, ponctuée de cris de lamentations, il extériorise l’injustice omniprésente au Congo. Un message que l’on retrouve également sur ses œuvres affichées derrière lui sur des portants noirs. Ses collages mettent en scène des personnages afro-futuristes aux yeux masqués. Le bonhomme d’1m85, portant une veste couverte d’un de ses travaux, danse un mélange de krump et de hip-hop à travers lequel il exprime autant sa fascination pour son continent que la souffrance endurée par ses habitant·es.

S’assumer à Berlin

De son premier voyage dans un village près de Kinshasa, en 2017, le français d’origine congolaise revient impacté par la situation des enfants travaillant dans les mines de cobalt. « Ce sujet revenait dans toutes mes conversations, se souvient Natisa. J’avais besoin de l’expulser. Initialement, je le faisais en dansant, mais mes mouvements se répétaient. J’ai commencé à fatiguer ma danse. » Ce jeune père de 25 ans cherche alors un nouvel art à travers lequel exprimer ce trouble. En déménageant à Berlin durant l’été 2020 pour rejoindre sa compagne, le danseur se prend une claque face à la richesse des graffitis, des collages et des tags présents sur les murs de la capitale allemande. « Des posters sur des posters, des gens qui déchirent pour en remettre, du tag partout ! J’ai trouvé ça tellement beau que ça m’a pris », explique le garçon qui ne se fait pas prier pour mettre en forme son idée. Natisa imprime des photos d’enfants soldats congolais et achète des livres sur les guerriers Maasaï. « Dans leurs tenues, dans leurs styles de vie, leurs regards, leurs traits, ce sont les plus beaux », estime l’artiste. Il découpe, déchire puis assemble ces visages, ces tenues, ces coquillages pour donner vie à des personnages afro-futuristes en tenue traditionnelle. La plupart d’entre eux ont les yeux masqués par des cauris ou des capsules. « Le cauri est utilisé par les femmes maliennes comme moyen de divination, explique Natisa. Le placer en troisième œil a toute une symbolique. Pour savoir où tu vas, il faut regarder d’où tu viens. Cet univers futuriste répare le lien entre l’ancestralité et la modernité. » Au début, le danseur de formation se prend la tête sur ses collages. « Je voulais découper correctement, avec soin, mais finalement j’en ai eu marre. J’ai commencé à le faire au feeling, se souvient-il. Je me suis rendu compte que rien n’était moche tant que c’était assumé ! Et pour moi, ça représente Berlin. Ici, je vois des chats en laisse, des chiens en poussette, des mecs hyper balèzes habillés en rose. Tout est assumé et c’est beau ! »

Natissa Exocé Kasongo Manifesto 21
Natisa Exocé Kasongo © Etsuki Usui
Sexe, drogue et krump

Assumer son art a été un travail de longue haleine pour ce krumpeur qui fait ses armes au milieu des squats parisiens dans les années 2010. Né à Saint-Denis, Natisa grandit à Saint-Gratien et apprend la danse auprès de Waydi du Criminalz Crew et de Cyborg, aka Alexandre Moreau, un des pionniers du krump. « J’ai commencé avec les danses à la mode dans mon quartier. Le logobi, la tecktonik et même le jerk », liste-t-il, le sourire aux lèvres. Du centre culturel de Saint-Gratien aux squats parisiens, Natisa écume les groupes. À 16 ans, il fonde Cosmos Crew, qui ne tarde pas à devenir les Loonatics. « On était une dizaine entouré·es d’un groupe plus large qu’on appelait la Secte. Nous faisions tout entre nous. Puis, il y a eu des incompréhensions au sein de l’équipe. Le groupe s’est divisé dans le conflit. Ça m’a blessé », se souvient celui qui a quitté l’école à 16 ans pour tout miser sur la danse. 

À la séparation de son groupe, Natisa entre dans « une phase de dépression ». Alors qu’il vient d’avoir 17 ans, il commence à fréquenter La Jarry, un squat d’artistes à Vincennes. « J’avais toujours ma chambre chez mon père mais je passais mon temps à La Jarry, se rappelle le b-boy. C’est à ce moment-là que je commence à consommer des drogues dures. » Son train de vie s’intensifie. Il baigne dans une effervescence artistique permanente au climat très festif. « J’y ai fait de très belles rencontres spirituelles et artistiques. Mais à force de soirées, les mélanges d’énergies, d’amour et de sexe devenaient trop lourds, confie-t-il. Même si nous étions très productif·ves, ça a explosé parce qu’on n’avait pas de direction. On se foutait de la gueule de tout. On ne respectait rien. Et à force on ne se respectait plus nous-mêmes… »

Natisa ne sort pas indemne de l’expérience La Jarry. Après un bad trip, il quitte cette sphère artistique parisienne pour rejoindre sa mère au Congo en 2017. Si ce voyage lui inspire ensuite ses collages, il lui permet surtout de se repentir. « J’ai 20 ans. J’arrête les drogues brutalement. Je me rase la tête et j’enlève tous mes piercings. Je pars à Kinshasa pour la première fois de ma vie », explique le garçon, qui, chaque jour, se prête à des lavements par des chamans. « En restant avec eux et les enfants, le temps n’existait plus. Il y avait trop de vie. Ça m’a un peu guéri », estime Natisa.

Cette parenthèse lui fait également prendre conscience de l’importance que revêt pour lui la nature. « En étant pieds nus sur le sol chaque jour, on se nourrit réellement de la nature, réalise-t-il. En essayant de détendre mon corps, de ne pas penser, de respirer tranquillement, j’ai écouté ce que la vie fait. Ça m’a donné confiance. J’ai eu le sentiment de toucher l’amour pendant un moment. J’ai su que ça n’allait pas durer. C’est un travail perpétuel pour garder ça et je n’ai pas su le faire car je suis rentré en Europe. »

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Natisa Exocé Kasongo manifesto 21
Natisa Exocé Kasongo © Laura Bonnefous
L’équilibre et la force

Loin de considérer son retour comme une défaite, Natisa vit désormais à Berlin avec sa compagne et sa fille. Boosté par son voyage, il revient avec l’envie d’exploiter toutes les possibilités qui s’offrent à lui ici. « À mon arrivée, les gens m’ont donné tellement d’amour. J’ai commencé à danser dans la rue avec les musicien·nes qui y jouaient », se rappelle-t-il. Motivé par l’idée de danser sur la musique qu’il aime, Natisa reçoit alors une enceinte JBL Boom Box en cadeau par sa copine. « J’ai remboursé l’enceinte, d’une valeur de 500 €, en trois jours grâce à l’argent gagné dans la rue. J’arrivais à me faire des salaires avec la danse dans la rue, même en période de pandémie ! C’était fort ! »

Avec sa danse de rue, Natisa étoffe ses contacts et voit les opportunités se multiplier. Spectacles, performances, tournages, magazines, publicité, en une année confinée à Berlin, il devient stable financièrement pour la première fois de sa vie. Un accomplissement qu’il doit, selon lui, en grande partie à Astan KA, sa compagne et chanteuse. « Elle m’a apporté un amour inconditionnel, de l’inspiration et de la force », confie Natisa. Tous les deux, iels viennent de donner naissance à la jeune Kimia. « Cela signifie paix en lingala. Sa présence m’apporte de la stabilité et c’est ce dont j’ai toujours eu besoin ! »


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Image à la une : Natisa Exocé Kasongo © Venus Ebrius

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