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Manchester – L’éveil d’une scène musicale : extrait et playlist

Manchester – L’éveil d’une scène musicale : extrait et playlist

Si jusqu’à aujourd’hui il n’existait pas de livre français retraçant l’évolution musicale de la ville de Manchester sur ses trois dernières décennies, à présent, c’est chose faite. Manchester : L’éveil d’une scène musicale écrit par Michel-Angelo Fedida, une plume que vous avez peut-être déjà croisé sur les pages de notre site, a publié son premier livre chez MJW Fédition. 

Après un voyage en Angleterre et un mémoire, ce livre est le fruit de plusieurs années de recherche et de documentation sur une ville en pleine mutation. En seulement 3 décennies, Manchester a été métamorphosée, passant d’une ville industrielle en pleine crise économique à la deuxième ville touristique d’Angleterre. Ces évolutions ont été marquées par l’émergence de nouvelles scènes musicales, sur lesquelles Michel-Angelo Fédida en fait le récit dans son livre. 

Une denrée rare, qui nous plongera directement à la fin des années 70, avec l’émergence du mouvement punk, réponse d’une génération délaissée et désabusée. Pour ensuite passer aux années Thatcher et à la création, par le label emblématique Factory Records, du lieu et club mythique « L’Haçienda », marquant les débuts de la new wave et ouvrant la ville et le pays à la club culture et ses musiques électroniques. Manchester au début des années 90 est devenue une ville en plein essor touristique, entreprend sa modernisation et voit naître la brit-pop, un genre qui prédominera tout le pays.

Michel-Angelo Fédida nous offre en exclusivité un extrait de son livre, « Une nouvelle vague dans l’Angleterre de Thatcher », un chapitre dressant le portait politique social et musical du pays dans le début des années 80. Un extrait à lire d’urgence, en écoutant la bande originale du livre.

© Antoine la Fay

Manchester est entrée dans les années quatre-vingts empreinte d’un goût amer lié à l’investiture de Margaret Thatcher, mais en pouvant être un petit peu plus optimiste quant au futur de sa vie culturelle. Alors que les Buzzcocks se séparaient en 1981, l’Haçienda reprenait le flambeau laissé par le Beach Club, et une nouvelle génération de musiciens allait s’insérer sur la piste. En 1982 ouvrit l’Affleck’s Palace, situé dans l’ancienne entreprise de vente au détail Affleck & Brown, à la jonction de Church Street, Tib Street, Dale Street et Oldham Street, dans le Northern Quarter au nord-est du centre-ville. Cet immeuble rempli de stands et de boutiques indépendantes devint un pôle de la créativité mancunienne, offrant un espace alternatif pour se retrouver. Le jeune Tom Boxham, future figure de l’immobilier et de l’urbanisme à Manchester avec sa société Urban Splash, y ouvrit un stand pour y vendre disques et posters lorsqu’il était étudiant.

            Lors du premier mandat de Margaret Thatcher (1979-1983), le nombre officiel de chômeurs bascula de 1,2 à 3,2 millions d’individus[1], avec 2,8 millions à la fin de l’année 1981. Le taux de chômage s’élevait à 30% à Manchester[2]. En quatre ans, ce sont deux millions d’emplois qui furent supprimés[3]. Cette politique visait à « assainir » les entreprises publiques – à l’instar de British Steel – en augmentant leur rentabilité avant de les vendre à des sociétés privées[4]. Ces actions menées par le gouvernement au début de la décennie, transformèrent la récession en un effondrement industriel (17% de chute dans la production industrielle entre 1979 et 1981[5]) et social qui déstabilisa les bastions ouvriers. Le Royaume-Uni, qui avait développé son hégémonie avec la révolution industrielle, importait pour la première fois, en 1983, plus de biens manufacturés qu’il en exportait[6]. Le pays se réformait à marche forcée, les subventions allouées aux universités diminuèrent de 18 %[7] et le nombre de fonctionnaires de 14%[8]. Le journaliste Bernard Cassen, explique qu’en quatre ans : « l’ouvrier spécialisé père de famille au chômage avait perdu 21,3% de son pouvoir d’achat ; le travailleur manuel employé par une collectivité locale, 4,6% et l’ouvrier qualifié, seulement 1,2%. En revanche, le jeune fonctionnaire avait bénéficié d’une hausse de 5,4%, le cadre supérieur de 9,5%, l’administrateur de sociétés 24,5%[9] ». En 1981, ce climat de crise sur fond de fracture sociale engendra des émeutes dans les banlieues de grandes villes sévèrement frappées par le chômage, telles Brixton et Southall à Londres, Moss Side à Manchester, Towteth à Liverpool, ainsi qu’à Wolverhampton, Birmingham et Coventry. La répression policière eut pour la première fois recours au gaz paralysant sur son territoire, à l’instar du conflit en Irlande du Nord[10]. En effet, le premier mandat de la « Dame de fer » fut également marqué par la recrudescence de l’agitation en Irlande du Nord (Bobby Sands, l’une des figures de l’IRA, succomba à ses soixante-cinq jours de grève de la faim le 5 mai 1981 comme dix autres détenus[11]), mais aussi par la victoire du conflit des Malouines au printemps 1982, qui lui permit cependant de refonder une relative cohésion nationale – avec pour mot d’ordre « Britain is great again »[12] – et d’être réélue en 1983.

            Parallèlement, les six années écoulées depuis l’arrivée du punk en Angleterre virent une nouvelle génération de musiciens qui cherchèrent à se démarquer de leurs prédécesseurs. Le début des années quatre-vingts ouvrit la voie à une redéfinition de la musique pop grâce à l’attractivité suscitée par les progrès techniques des claviers synthétiseurs, et des boîtes à rythmes, qui devenaient également plus abordables[13], façonnant alors « la pop de demain[14] ». Ces formations émergentes lancèrent la synth-pop – dont le groupe Ultravox se fit le pionnier avec l’album Systems of Romance (1978) – et la New Pop (terme inventé par le journaliste mancunien du NME, Paul Morley[15]) : une musique moderne et dansante, un retour au glam et à l’ambiguïté sexuelle, rythmée aux sons des claviers synthétiseurs, brisant ainsi le symbole phallique de la guitare comme instrument principal d’une formation. Outre-Atlantique des termes comme new wave ou plus prosaïquement « new music » – ce terme fourre-tout désignait une multitude de courants musicaux allant du punk à la synth-pop – apparurent pour qualifier cette nouvelle vague pop britannique qui redéfinissait ce genre dont le succès avait explosé dans les années soixante[16].

            L’année 1981 connut également l’émergence d’un nouveau vecteur de promotion artistique aux États-Unis grâce au lancement de la chaîne MTV le 1er août qui, comme lors de l’émergence du disque, permit aux artistes de s’internationaliser sans même voyager en tournée. Ainsi, les morceaux « Girls on Film » et « Hungry Like the Wolf » du groupe de Birmingham, Duran Duran, furent diffusés sur MTV trois mois avant que les radios ne s’y intéressent et devinrent de véritables succès chez l’Oncle Sam[17]. « Don’t You Want Me », issu de l’album Dare (Virgin) du groupe de Sheffield, The Human League, s’érigea pour sa part en première place des classements américains et britanniques, boostant les ventes de l’album qui s’écoula à cinq millions d’exemplaires[18]. MTV allait considérablement favoriser la seconde British Invasion l’année suivante, et le « phénomène synthé » devint si influent que le Musicians’ Union (syndicat des musiciens britanniques) demanda de limiter l’usage de ces appareils au printemps 1982[19]. Pete Shelley s’essaya également – sans succès – à la synth-pop avec le titre « Homosapien » en 1981.

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            En 1981, ruinée et intoxiquée, Nico, l’ex-chanteuse du groupe The Velvet Underground, qui se trouvait à Londres, arriva à Manchester sur les conseils d’Alan Wise qui devint son manager pour relancer sa carrière dans le nord de l’Angleterre. Elle emménagea dans le sud de la ville où elle partageait son addiction à l’héroïne avec John Cooper Clarke[20] – dont le récent succès lui ouvrit les portes de la scène de Glastonbury en juin[21]. En juillet 1982 elle sortit Procession, single dont la face B comprenait une réinterprétation de « All Tomorrows Parties », produit par Martin Hannett sous le nom de Nico and the Invisible Girls. Les exs-Fall de Blue Orchids (Martin Bramah et Una Baines), fréquentaient également l’ex-chanteuse vocaliste du groupe underground new-yorkais, et l’accompagnèrent lors de diverses dates[22]. « Le gang le plus défoncé de Salford » selon l’appellation de John Cooper Clark, venait de sortir leur premier et unique album avec la formation initiale, The Greatest Hit (Money Mountain) chez Rough Trade, qui réussit à atteindre la cinquième place des charts indépendants[23]. Pour l’auteur et journaliste Simon Reynolds : « Les Blue Orchids poursuivaient essentiellement ce que la version originelle de The Fall avait entrepris, mais en approfondissant l’aspect psychédélique[24] ».

Retrouvez Manchester : L’éveil d’une scène musicale de Michel-Angelo Fédida en librairie.


[1] CASSEN Bernard, « Le thatchérisme à l’assaut des consciences », Manière de voir, Le Monde diplomatique, numéro 153, juin-juillet 2017, p.69.
[2] THIERIOT Jean-Louis, Margaret Thatcher, Paris, Perrin, 2011, p. 317.
[3] LEBECQ Stéphane (dir.), Histoire des îles Britanniques, Paris, PUF, 2013, p. 870.
[4] Ibid., p. 869.
[5] THIERIOT Jean-Louis, ibid., p. 322.
[6] LEBECQ Stéphane (dir.), ibid., p. 872.
[7] THIERIOT Jean-Louis, ibid., p. 402.
[8] Ibid., p. 441.
[9] CASSEN Bernard, op. cit., p. 70.
[10] REYNOLDS Simon, Rip It Up and Start Again, Post-punk 1978-1984, Paris, Allia, 2014, p. 368.
[11] THIERIOT Jean-Louis, op. cit., p. 337.
[12] LEBECQ Stéphane (dir.), op. cit., p. 876.
[13] REYNOLDS Simon, ibid., p. 402.
[14] Référence à l’expression de David Bowie à propos de The Human League. Ibid., p. 218.
[15] Ibid., p. 445.
[16] PUTERBAUGH Parke, « Anglomania : The Second British Invasion », Rolling Stone, 10 novembre 1983.
[17] Ibidem.
[18] REYNOLDS Simon, op. cit., p. 409.
[19] Ibid., p. 409.
[20] NICE James, La Factory, Grandeur et décadence de Factory Records, Paris, Naïve, 2011, p. 231.
[21] COOPER CLARKE John, I Wanna Be Yours, Londres, Picador, 2020, pp. 363-364.
[22] REYNOLDS Simon, ibid., p. 545.
[23] POTTIER Jean-Marie, Indie Pop 1979-1997, Marseille, Le Mot et le Reste, 2016, pp. 92-93.
[24] REYNOLDS Simon, op. cit., p. 543.

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