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Avec Jade 玉观音, Pan Daijing convoque des présences moites et inquiétantes

Avec Jade 玉观音, Pan Daijing convoque des présences moites et inquiétantes

Sur Jade 玉观音, écrit entre 2018 et 2021, Pan Daijing assemble des morceaux qui coulent dangereusement les uns dans les autres, un tourment dans lequel elle-même ne cesse de renouveler ses modes de présence. 

Artiste chinoise basée à Berlin, Pan Daijing explore les domaines de l’opéra et de la psychoacoustique. Elle utilise des techniques d’enregistrement et de performances pour élargir l’expérience d’écoute et remettre en question la compréhension de la musique en tant que forme d’art. Elle expose son travail autant dans des institutions d’art reconnues (Martin Gropius Bau, Tate Modern) qu’au sein des clubs, et notamment cet automne à Berlin Atonal pour le projet Metabolic Rift, qui transforme le bâtiment Kraftwerk en lieu d’exposition.

Jade 玉观音 est son deuxième opus pour le label berlinois PAN. Le précédent Lack 惊蛰 résultait d’un processus “mental et physique” et avait été composé sur la route, au gré de ses rencontres avec les publics avec lesquels elle engageait une relation particulière, frontale. Jade 玉观音, lui, apparaît plus comme un refuge et plonge davantage dans le royaume de l’intime, de la solitude. 

Pan Daijing
Pan Daijing, Jade 玉观音, 2021

« Dictée 三月 » est composé d’une contrebasse, d’une voix et de frottements au goût industriel. La contrebasse explore le registre grave, vrombit, sert de ressort à la voix. Dans la seconde partie de l’album, les vrombissements instrumentaux seront troqués contre des moteurs synthétiques, électriques. L’ambiance y est, de manière générale, nauséabonde et anxieuse.  

Sur « Dictée 三月 », la voix évoque celle de Thom Yorke, de Radiohead. Elle parcourt des notes cycliquement, geint de façon monotone, sans dire un mot. Symptôme d’une errance, d’une aliénation. 

« Let 七月 » prend notre pouls au ralenti, dans un environnement plus aéré – là où ailleurs les sonorités s’inclinent en dedans où l’on suffoque presque – et nous plonge dans un milieu aqueux, scintillant. Des notes de piano aigües sont écrasées au bord d’une matière organico-synthétique, ce sont comme des gouttes d’eau qui seraient devenues rigides. Dans cet ensemble flottant la voix de Daijing est amère, contenue dans une acoustique caverneuse, indépendante. « I am taking my bath in the ocean, won’t get out », l’entend-t-on. Parfois superposée à elle-même, elle s’auto-brouille. Des cris pénétrants, animaux – qui pourraient être de source humaine – amplifient le malaise presque serein du morceau. Un son synthétique émis en spirale nous happe d’autant que la voix répète inlassablement « Say something, say something … ». 

Ses deux mots jouent de manière compulsive et une pulsation entre accompagnée de grincements, de sons médiums disgracieux. Les impressions lumineuses – bien que grises du début – disparaissent. Nous nous retrouvons de nouveau dans un sas, la vue dégagée est dans notre dos et se rétrécit, il ne reste plus grand chose d’autre que la présence solitaire, pulsée de Pan Daijing. « I can’t get out » annonce-t-elle, impassiblement. 

« Metal 八月 » est enchaîné à ce message sec. Là, une horde de mouches nous assaille. De concert, les sirènes, la synthèse organique et une voix opératique sont prises dans un élan impétueux, électrique. Les engins s’embourbent. 

Après l’énervement de « Metal 八月 », l’épilogue « Moema, forever 九月 » fait toujours lorgner un ronronnement. C’est une omniprésence monstrueuse qui se détend et se rétracte. Une séquence persistante, sinistre, proche du timbre de l’orgue est accompagnée d’un piano aux attaques résonnantes. Un autre signal entre à mi-chemin : le son d’une machine ; cela pourrait être aussi une plainte humaine. La voix, ici, hors d’elle-même, s’incarne dans le matériau électrique. Celle de Pan Daijing, quant à elle, est vulnérable, entre le parlé et le chanté, réfugiée dans l’organisation feutrée de l’ensemble. 

À la boucle lancinante qui répète « I forget her », elle ajoutera douloureusement un substantif. « forget her face, forget her smell, forget her finger, forget her… »

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Jade 玉观音 n’est pas la musique que vous partagerez facilement avec d’autres cet été. Ou peut-être avec quelqu’un de très proche. Cela peut être vous-même. Daijing ne sera pas la présence la plus réconfortante, et c’est peut-être bien cela même qui est réconfortant. La chaleur couplée à la solitude vient de toute part, au bord d’un lac, à la périphérie d’une ville assourdissante, sous un arbre et ne moitit pas comme d’habitude. 

Image à la Une : © Dzhovani 

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