Un visage angélique, une attitude et une bienveillance de gentleman. Luis Ake fait partie de ce genre de garçon que l’on ne peut oublier. Depuis 2017, l’artiste allemand au style intemporel partage un spleen chronique à travers ses textes. Sa pop aérienne décomplexée adoucit les mœurs et vous invite à assumer votre tristesse pour ne plus jamais en rougir.
Originaire du nord de Stuttgart, ville connue pour son industrie automobile et ses paysages vallonnés, Luis Ake grandit à la campagne entre les disques d’AC/DC de son père et les influences new wave de sa mère. À 26 ans, il compte déjà quatre sorties à son actif. Synth pop, deep house, acid techno, trap, ce producteur polyvalent se sert de sa voix avec une facilité déconcertante, en allemand, en anglais et en français ! Très attaché à la tristesse comme source d’inspiration, il souhaite se renouveler sans cesse. Rencontre avec un garçon définitivement à part.
Un pantalon de costume surplombé d’un col roulé blanc cassé, le tout recouvert d’un long trench coat en laine beige. Ce grand châtain aux yeux bleus dépose son manteau avec soin sur un cintre dans l’entrée de mon appartement. Touché par la classe et l’aura émanant de ce personnage, je l’invite à partager un café dans ma cuisine. Tout en plaquant soigneusement ses cheveux en arrière, le garçon de 26 ans se pose confortablement dans mon canapé. La discussion peut démarrer.
Manifesto XXI – Bonjour Luis, d’où viens-tu ? Et comment ta relation avec la musique est-elle née ?
Luis Ake : Je suis né à Stuttgart, d’une mère chanteuse et d’un père guitariste. Ils avaient un studio à la maison. J’ai été influencé très tôt. Nous écoutions beaucoup de classiques des seventies. Mon père possédant toute la discographie d’AC/DC, j’étais fan du groupe au point d’avoir la guitare d’Angus Young. J’ai vécu dans cet ancien corps de ferme, au nord de Stuttgart, pas très loin des usines automobiles. C’est un très bel endroit. J’y suis retourné récemment et mon voisin était tellement content de me voir qu’il m’a donné une paire de chaussures !
Créer de nouvelles choses se révèle être un challenge personnel !
Luis Ake
Incroyable ! En écoutant ta musique, j’ai été frappé par la diversité de tes influences. Tu empruntes aussi bien les codes du Schlager, pop allemande, que ceux de la Neue Deutsche Welle, new wave allemande. Le tout sur des productions house, techno, trap ou encore synth-wave. Une explication ?
Il y a beaucoup d’influences parce que j’aime écouter différents styles. Je me retrouve très facilement aspiré par un genre. Par exemple, en ce moment, je suis à fond dans la salsa. J’ai même déjà produit quelques démos, qui ne verront sûrement jamais le jour, mais ce n’est pas grave. Ça serait bien plus ennuyant de produire toujours le même son sur chaque disque. C’est important de développer et de varier ses goûts. Créer de nouvelles choses se révèle être une sorte de challenge personnel. Je veux continuer d’avancer sans me répéter.
Tu dois cet héritage Neue Deutsche Welle à tes parents, mais d’où vient cette teinte électronique ? As-tu traîné dans les clubs plus jeune ?
À 17 ans, j’ai écouté de la musique électronique pour la première fois à Stuttgart. En faisant la rencontre de producteurs locaux, j’ai commencé à m’y mettre. C’était de la musique destinée au club. Je venais juste d’avoir 18 ans. Je découvrais le clubbing et j’adorais ça. C’est vraiment appréciable d’entendre ses propres morceaux en soirée. D’autant plus lorsque les gens dansent dessus ! Avant, j’écoutais principalement de la musique acoustique et du jazz, pensant, à tort, qu’il n’y avait rien à tirer de la musique électronique. J’ai rapidement changé d’avis en allant chercher plus loin. J’ai commencé à développer de l’intérêt pour le breakbeat. Puis, le lien s’est fait indéniablement avec la Neue Deutsche Welle. Je me suis senti attiré par cette dernière car elle a la particularité de ne pas se prendre au sérieux. Produits instinctivement, les titres s’accompagnent souvent de sentiments véritables et sans filtre. Un procédé plus rare dans la dance music.
La tristesse et le chagrin sont des sentiments très plaisants
Luis Ake
Justement, tu expliques avoir besoin de tristesse pour créer de la musique. Peux-tu expliquer comment cette tristesse se révèle bénéfique dans ton processus de production ?
Il y a deux ans, j’étais dans une phase de tristesse constante. J’explorais le procédé de transposition d’un sentiment à une musique. La tristesse est un sentiment très intéressant. Comparé au bonheur qui est volatile et qui s’en va rapidement, la tristesse, tu peux la ressentir et l’étirer davantage comme un chewing-gum. Cette situation est propice à la concentration pour mieux ressentir ce qu’il se passe en toi. Tu peux facilement modeler ce sentiment et aller toujours au plus profond. C’est un très bon matériel pour construire un morceau. Par exemple, ce matin, j’ai retrouvé mon beau pull en cachemire tout abîmé en le sortant de la machine. J’étais très triste car ce cadeau vient d’une fille que j’aimais. C’est un symbole d’amour. Ça m’a rendu très triste. Je pourrais facilement me concentrer sur ce moment pour en extraire un morceau. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la tristesse et le chagrin peuvent être des sentiments très plaisants.
Quel effet le fait d’aborder cette tristesse peut-il avoir sur le public ? Est-ce que tu y penses parfois ?
Non, j’évite de me poser cette question. J’ai juste envie de produire la musique que j’aime et qui me semble être la meilleure à mes yeux. De la manière la plus honnête et sincère possible.
C’est un défi très noble, mais est-ce que cela suffit pour se faire une place dans l’industrie musicale ?
L’industrie musicale, aujourd’hui prise en charge par Spotify et les autres plateformes de streaming, change notre façon de consommer la musique. Les algorithmes disposent de davantage de pouvoir que les artistes. C’est aussi une des raisons qui me pousse à toujours produire quelque chose de différent. Je ne veux pas me retrouver à être ce genre d’artistes servant des playlists thématiques. Ces dernières remplacent progressivement les albums. Les noms des artistes s’effacent au profit des playlists. Cela devient impersonnel. Même si la musique est désormais accessible pour tous, c’est perturbant de la découvrir via une playlist “New wave on sunday morning” dans laquelle tous les sons se suivent et se ressemblent…
Si tu souhaites toujours te renouveler, à quoi ressemblera ton prochain album ?
Il devrait voir le jour en septembre sur le label berlinois Mansions and Millions. Je travaille dessus pour obtenir une ambiance estivale plus « poppy ». Cette fois, j’aborde la relation entre le bonheur et la tristesse. Ce nouveau chapitre s’ouvre avec mon nouveau single « Ein Schöner Traum », sur les nuages et le bonheur !
Image à la Une : © Tereza Mundilová