Remarquée à la Biennale de Lyon (2019) puis à la Villa Vassilieff (2020) avec ses œuvres évoquant la pression du travail sur les corps, Lou Masduraud présente actuellement Systm Soupir à la Maison Pop (Montreuil). Dans cette première exposition personnelle, l’artiste déploie les différents pans de sa pratique. Ses sculptures et installations aux matériaux hétérogènes articulent affects et cadres administratifs, et explorent les circulations possibles entre les institutions et les marges de la société.
À la Biennale d’art contemporain de Lyon 2019, Lou Masduraud (née en 1990) présentait la première occurrence de sa série Cabinet de contorsion, installation qui mêle les os d’un squelette désarticulé à des éléments de mobilier administratif, pour rendre visibles les contraintes subies par les corps au travail. Cette série a été déclinée l’année suivante à la Villa Vassilieff dans l’exposition collective Creative Beginnings. Professional end. Par l’usage des formes de la fluidité et de la circulation, Lou Masduraud raconte les échanges entre espaces normalisés (et normatifs) et marges, et leur incidence sur nos affects. Elle place sa propre situation d’artiste exposant dans des lieux institutionnels au cœur de cette réflexion.
Quand on se rencontre pendant l’été 2021, Lou Masduraud termine une résidence de création à la Maison Pop, où elle a mené le projet de production collective Détente institutionnelle. Invitée par le commissaire d’exposition Thomas Conchou, elle prépare aussi son exposition personnelle, Systm Soupir. Cette exposition, à découvrir jusqu’au 11 décembre, nous offre une balade à travers des éléments réalistes mais décalés. Sous une lumière de réverbère, on reconnaît la présence de formes empruntées à la ville et au corps, mais qui invitent à regarder de plus près, ou au-delà, à travers elles, vers des mondes inaccessibles. Une exposition à observer de près, avec du temps.
Lou Masduraud nous a raconté le fil de sa démarche, ses réponses vous guideront de Lyon jusqu’à ses projets actuels.
Manifesto XXI – Je me rappelle avec force de l’une de tes sculptures présentée à la Biennale de Lyon en 2019 : elle représentait une cage thoracique enchâssée dans un tiroir de bureau. Une manière frappante de représenter la pression du travail ! La Biennale avait lieu (entre autres) dans les anciennes usines Fagor-Brandt, qui portent justement les traces visibles du travail et de sa violence – signalétique de sécurité, tracé des déplacements des humain·es et des machines… Peux-tu revenir sur la genèse de ce projet ?
Lou Masduraud : Le Bureau des pleurs est un projet collectif des artistes du post-diplôme de l’école d’art de Lyon, coordonné à l’époque par François Piron. Tou·tes les artistes [invité·es à la Biennale] pouvaient choisir leur type de lieu d’expo, et assez vite on a voulu un espace un peu à l’écart, bureaucratique, dans les anciens bureaux de l’usine fermée peu de temps auparavant. D’ancien·nes employé·es habitent encore dans les immeubles alentour, la gentrification expresse nous a vraiment marqué·es. On était plus susceptibles de réfléchir au contexte de cette biennale, étant en résidence là-bas et travaillant déjà sur les structures accueillantes… C’est aussi le cœur de pas mal de mes réflexions.
L’espace que vous avez choisi était une pièce à taille humaine, dont le sol était recouvert de sable. C’était presque cosy, au milieu de cet immense entrepôt !
On a choisi un des bureaux pour montrer une sorte de vestige d’entreprise, dans lequel les affects auraient leur place. Le projet collectif adresse ce passé très récent des usines. J’ai récupéré les objets administratifs trouvés sur place : des meubles, des bureaux, des sortes de classeurs…
Les éléments que tu utilises dans l’installation venaient donc de l’usine elle-même ?
Oui. Je les ai habités de corps ou de systèmes squelettiques, rhizomatiques. On voit des os, des dents aussi. Ça prend la forme de câbles, de circulations entre les différents meubles, et, finalement, d’un corps qui a été contraint par ces (ses) objets de travail. À l’usine, le corps est travaillé par son mouvement répétitif en tant que force de travail, à tel point qu’il se transforme lui-même. C’est toute la question de la médecine du travail en fait. Et en même temps, il y avait l’idée de comment on se contraint à des formes administratives, face auxquelles on est réduit à des identités administratives à travers ces classeurs et ces meubles de bureau. Tu vois ces casiers des années 70 ? C’est un peu l’image qu’on se fait d’un meuble administratif, même si ça date. Le réhabiter avec des os, c’est comme si le corps travailleur s’était contraint jusque dans son squelette. C’était la première fois que je travaillais ces structures en forme de squelette, et c’est un projet que je continue aujourd’hui encore.
Comment forcer l’institution à s’adapter à un projet – et non le contraire, adapter notre projet à ce qu’elle propose ?
Lou Masduraud
Être artiste, c’est aussi une identité administrative, nécessaire notamment dans le cadre du post-diplôme, qui est en soi une structure accueillante. Comment as-tu expérimenté la contrainte dans ce contexte particulier ?
Dans le cadre du post-diplôme, on a monté une asso, Bernarda L’hermitta. On était cinq meufs et c’était en référence au bernard-l’hermite, cet animal qui adapte son corps et son abdomen au coquillage qu’il trouve pour vivre. Notre but était d’assouplir la structure du post-diplôme, de la penser depuis l’intérieur. On a par exemple candidaté collectivement pour rester une deuxième année et inclure d’autres artistes, dont certain·es n’habitaient pas sur place. Ça a été un petit bras de fer avec l’institution.
Prolonger une résidence, l’enrichir de nouvelles personnes « non prévues »… Avez-vous insufflé d’autres changements ?
On a demandé plein de choses ! Une transparence du budget disponible pour le post-diplôme par exemple, ainsi qu’une gestion collective. On a fait des workshops pour les autres. Plutôt qu’inviter des personnes externes, chacun·e proposait quelque chose pour les autres membres du groupe. On a beaucoup changé la structure en fait !
Au-delà de la structure, ces changements sont hyper riches pour penser d’autres manières de collaborer, non ?
On a beaucoup réfléchi aux relations de domination. Comment reprendre le pouvoir une fois qu’on intègre l’institution ? Comment forcer l’institution à s’adapter à un projet – et non le contraire, adapter notre projet à ce qu’elle propose ? Je pense que c’est là que j’ai commencé à prendre en considération les contextes de travail, que ce soit pour une résidence ou une expo.
C’était une manière de visibiliser les conditions de travail, mais (…) en tant que personne extérieure, il ne fallait pas non plus que je m’approprie une histoire qui n’était pas la mienne.
Lou Masduraud
Comment as-tu poursuivi cet intérêt dans tes projets suivants ?
Peu de temps après est venue une invitation pour la Villa Vassilieff de la part de Mélanie Bouteloup [directrice de 2007 à 2020 des centres d’art Bétonsalon puis la Villa Vassilieff à Paris, ndlr]. Dans un premier temps, j’ai essayé d’en savoir plus sur le contexte de travail [des salarié·es avaient dénoncé leurs mauvaises conditions de travail, ndlr]. Est-ce que je voulais exposer dans ce contexte-là ? Assez vite, j’ai mis de côté l’option de refuser simplement l’invitation. Je voulais faire quelque chose avec quoi je serais d’accord, plutôt que « déserter ». Car sinon, qui adresse le problème ? C’était une manière de visibiliser les conditions de travail, mais toute la question était : comment ? En tant que personne extérieure, il ne fallait pas non plus que je m’approprie une histoire qui n’était pas la mienne.
Comment as-tu intégré cette question dans ton exposition ? C’est la seconde fois que j’ai vu ton travail, dans un lieu très différent de la Biennale. La Villa Vassilieff [qui a fermé ses portes fin 2020, ndlr] était identifiée comme lieu d’art, située au fond d’une jolie cour pavée et fleurie, so parisienne… J’ai eu cette même sensation de pression sur les corps qu’à Lyon, mais cette fois de manière diffuse et insidieuse. Tes pièces étaient plus répandues dans les espaces. Il y avait ces formes très « squelettiques » qui rappellent une cage thoracique, mais aussi cette sorte de long os qui filait d’un espace à l’autre. Ponctué de morceaux de tissus enroulés comme des bobines autour de petites protubérances, il était comme « vêtu ».
Oui, l’installation était un grand rhizome. Il commençait dans le premier espace de travail, celui de la personne qui accueille les visiteur·ses. Là, une première sculpture faite à base de manches de chemises, à l’intérieur, là encore, de tiroirs administratifs. La sculpture passait le long des murs, s’alignait, se contorsionnait et allait jusqu’à l’étage. À chaque fois, il y avait ces petites bobines de tissu, comme si elles étaient déplacées d’un casier à l’autre tout en étant scellées à l’ « os ». Dans le cadre de mon invitation, j’avais demandé à avoir accès aux archives de la Villa Vassilieff. La structure osseuse passait donc par différents casiers, notamment un rempli d’archives de la Sécurité sociale, liées en fait à la médecine du travail. La Villa Vassilieff était une structure architecturale mais aussi une structure de travail, c’est ce que j’ai essayé de formuler de cette manière.
L’idée, c’est de déterminer comment, avec quoi et contre quoi on se construit en tant que corps.
Lou Masduraud
Comment as-tu fait le lien entre espace d’exposition et espace de travail ?
L’installation complète avait plusieurs régimes de visibilité. La structure osseuse passait une porte entrouverte, qui débouchait sur un espace interdit aux visiteur·ses. Cette porte était normalement fermée, elle séparait l’espace d’exposition des bureaux. Ça a été un petit bras de fer pour faire accepter qu’elle soit ouverte. Là, on passait un deuxième régime de visibilité, invisible pour les visiteur·ses. Elleux voyaient environ 60% du système osseux, qui ensuite passait par la cuisine de l’équipe, continuait de longer les murs et allait jusque dans les bureaux. Dans la partie bibliothèque des bureaux, il y avait une autre sculpture, faite uniquement pour celleux qui travaillaient là.
Dans ce contexte, comment s’est passée la collaboration sur la production de ton exposition ?
C’est Julia Gardener, curatrice invitée, qui signait l’expo et elle ne connaissait pas vraiment le contexte. On en a parlé ensemble, mais finalement assez peu. J’ai bossé avec les gentes sur place – en particulier avec Camille Chenais, responsable des expositions et résidences, avec qui tout s’est très bien passé. Le contexte était très peu présent dans nos discussions. Iels voyaient que j’en parlais dans mon installation, mais je pense qu’il y a eu comme un accord tacite entre nous, pour ne pas les mettre en porte-à-faux. Avec le recul, je ne regrette pas d’avoir participé à cette exposition.
Qu’est-ce que ce serait, l’anatomie émancipée d’un corps, par exemple, et qui doit vivre ?
Lou Masduraud
Comment as-tu fait évoluer ces formes osseuses par la suite ?
Ces os qui se contraignent à la fois à l’architecture et au contexte, c’est une métaphore des boîtes dans lesquelles les choses existent, où elles prennent forme. J’ai eu envie de continuer à travailler avec cette idée, mais pas forcément en lien avec un contexte violent en soi. Les Cabinets de contorsion deviennent des sculptures un peu plus autonomes. J’en montre deux pièces, plus récentes, à la Maison Pop, intitulées Who sold their skin ? Ce sont des systèmes clos, un peu comme un squelette, mais qui intègre des tissus, des coquillages, des gloss à lèvres, des plumes, enfin plein d’autres choses. L’idée, c’est de déterminer comment, avec quoi et contre quoi on se construit en tant que corps. C’est un peu moins anthropocentré aussi. Sur ces os, il n’y a plus de chair, plus personne, le squelette a déposé sa fonction, s’en émancipe et devient partie d’un système plus large. Les dernières sculptures des Cabinets de contorsion sont peut-être moins contextuelles, mais il y a toujours une contrainte, même en creux, dans le sens où elles deviennent des anatomies émancipées. Finalement, on peut voir la boîte comme un truc qui contraint, mais aussi qui protège, selon les boîtes ! (rires). Qu’est-ce que ce serait, l’anatomie émancipée d’un corps, par exemple, et qui doit vivre ? Sylvain Ménetrey a écrit un texte sur cette série : « Survivance du calcium » [accessible dans le portfolio de l’artiste, ndlr]. Il y a cette idée du corps contraint, comment ça peut protéger et comment ça se renverse. Il compare ces pièces à ces plantes d’intérieur qui se contraignent aussi aux murs etc., qui trouvent leur vie dans un espace qui n’est pas fait pour elles.
C’est marrant que tu parles de plantes parce qu’il y en a justement qui ont besoin d’un truc auquel s’agripper pour prendre forme en fait, des grimpantes ou… bon je n’y connais rien en plantes (rires) !
Et cette cage thoracique dans un tiroir, c’est elle-même une cage qui protège les organes… Cette autre lecture sur l’émancipation des corps, et l’ambivalence de la cage qui peut aussi protéger, est venue dans un deuxième temps dans mon travail. Cette série est en train de s’ouvrir vers d’autres problématiques.
La fontaine, c’est vraiment la spectacularisation du pouvoir, mais aussi d’un bien public : l’eau. Maintenant, il ne reste que le spectacle, mais à la base, la fontaine permet de vivre ensemble en mettant ce bien public à disposition.
Lou Masduraud
Tu as un travail en lui-même assez rhizomatique en fait, avec des pièces qui semblent partir d’une même série, mais qui vont finalement ailleurs.
Je travaille ces séries sur plusieurs années. En ce moment, j’ai trois séries principales : les Cabinets de contorsion dont on a parlé, les fontaines et les Plans d’évasion.
Peux-tu nous parler de tes fontaines ? Elles sont assez surprenantes également…
Je travaille sur les fontaines comme objets critiques et politiques. J’en fais beaucoup qui diffusent des antidépresseurs, pour la Nuit Blanche 2020 à la Maison Pop notamment. Je vais partir un an à Rome en résidence pour continuer cette série. Ce sera à la Villa Maraini, qui est un peu l’équivalent de la Villa Médicis [lieu de résidence géré par l’Institut Français , ndlr], géré par l’Institut Suisse. Je suis trop contente ! Rome est vraiment la ville des fontaines. Historiquement, amener l’eau potable au centre de la cité a permis de développer la vie politique et le vivre ensemble. Et la fontaine, c’est vraiment la spectacularisation du pouvoir, mais aussi d’un bien public : l’eau. Maintenant, il ne reste que le spectacle, mais à la base, la fontaine permet de vivre ensemble en mettant ce bien public à disposition. À Rome, il y a eu la mise en place de ce réseau d’aqueducs, de canalisations souterraines, toutes ces formes qui m’intéressent beaucoup. Ça s’appelle des « vistula », ce sont de gros tuyaux de plomb. Tout cela est souterrain, caché, ça permet l’épanouissement de la vie publique mais on ne le voit pas.
Avec ces tunnels souterrains, on rejoint ton autre série, les Plans d’évasion, non ?
Les Plans d’évasion sont une série de soupiraux : ces éléments d’architecture qui se trouvent en bas des bâtiments, et permettent un accès à un espace souterrain. Enfin un accès qui fait surtout passer l’air et la lumière, mais pas les corps – c’est même fait exprès, il y a des grilles en fer forgé pour que personne ne puisse passer… et moi je fais comme s’ils avaient été forcés, ouverts, comme si quelqu’un·e ou quelque chose était passé·e. C’est un peu un geste d’émancipation, qui rend l’espace souterrain accessible, qui amène vers un ailleurs, un espace liminal, marginal car normalement caché derrière un mur. Je vais en présenter de nouveaux dans l’expo à la Maison Pop.
D’ailleurs est-ce que ton projet à la Maison Pop a un rapport avec les structures « accueillantes / contraignantes » ?
À la Maison Pop, je pense que j’ai adressé ce centre d’art comme étant aussi un lieu de travail, mais moins d’une manière critique. J’ai des super retours, une super relation avec elleux – alors ça ne veut pas dire que tout va bien ! Forcément que non, comme tous les lieux de travail, comme tout le temps et partout (rires) ! Mais c’est la première fois que j’ai pu travailler de manière contextuelle, sans être dans la critique frontale, tenir compte du fait que c’est un lieu de travail mais surtout et avant tout un lieu d’éducation populaire. J’ai par exemple demandé aux gentes qui travaillent ici de venir faire de la céramique. Ça leur fait plus de travail, ce qui n’est pas facile à demander. D’un côté, il y a un truc sympa : apprendre à faire quelque chose ensemble, alors que chacun·e a son rôle dans le cadre du travail. Tout à coup, on sort complètement de ces rôles et on fait une sculpture, ça donne d’autres types de discussions, de relations. Iels m’ont dit avoir passé un super moment mais sur le coup, quand tu proposes ça, tu proposes en fait de travailler, d’ajouter quelque chose à leurs responsabilités, de fabriquer l’expo presque (rires), alors qu’iels ne sont pas payé·es pour !
Chacun·e a sa propre relation, sa propre stratégie même, pour dealer avec l’institution, ses contraintes et ses possibilités.
Lou Masduraud
Tu m’as parlé de ce projet de sculpture collective en céramique avec des usager·es de la Maison Pop, qui viennent pour des pratiques « amateurs ». Comment avez-vous collaboré ?
J’ai travaillé avec des adhérent·es qui viennent à la Maison Pop pour prendre des cours, certain·es n’avaient jamais fait de céramique, d’autres en font depuis des années et sont déjà sachant·es. Il y a aussi des profs de la Maison Pop qui ne travaillent jamais ensemble, et peuvent avoir des méthodes différentes, mais également des personnes qui bossent pour la Maison Pop, ainsi que Thomas [Conchou, le commissaire de l’exposition, ndlr]. Parmi les adhérent·es, certain·es viennent faire de la céramique depuis des années ici, mais n’ont jamais exposé dans le centre d’art. Montrer les pratiques dites amateurs dans un lieu d’art contemporain, c’est une forme de renversement.
Ce renversement dont tu parles, il a pu s’opérer au sein même du groupe que tu as rassemblé. Comment ça s’est passé ?
Les choses ont été dé-hiérarchisées, entre celleux qui savaient faire de la céramique et celleux qui ne savaient pas ; celleux qui étaient les « amateurs » et celleux qui étaient les « professionnel·les » ; entre les enfants et les adultes aussi. Pour moi, ces renversements, ce sont aussi des formes d’émancipation, ça déplace les habitudes et les relations.
Et alors, quelle est-elle cette sculpture collective ?
Elle s’intitule Détente institutionnelle. Ce sera un ensemble de sculptures représentant les institutions de Montreuil. Il y a la mairie, le tribunal, l’école, l’hôpital, le conservatoire, la bibliothèque et le commissariat – il n’y a pas de prison à Montreuil. Les habitant·es ne seront pas représenté·es, ce seront avant tout des maquettes de bâtiments, intégrées à une installation globale et non isolées sur des socles individuels. Elles seront exposées elles-mêmes sur une sculpture, avec un système de tuyaux qui relie les bâtiments entre eux. Ce sera une des pièces centrales de l’expo.
Tu m’as parlé de ton intérêt pour le contexte de tes invitations à la Biennale de Lyon et la Villa Vassilieff. Est-ce que tu peux nous parler de ta pratique plus globale de contextualisation dans lieux où tu exposes ?
Ça dépend des expositions. Quand j’ai le temps de m’intéresser au contexte, je le fais, comme c’est le cas ici car c’est un projet assez long. Le fait de parler d’institutions et de lieux politiques, ici, c’est logique. On est dans une certaine mixité sociale, il y a des gentes qui viennent voir des expos, d’autres faire un atelier de pratique… En plus, ce centre d’art est toujours plein, il y a des enfants, des familles… C’est vraiment l’opposé des centres d’art où tu te bats pour avoir des visiteur·ses (rires) ! Ici, il faut faire gaffe à ne pas faire des pièces trop fragiles, car c’est un lieu hyper vivant.
La Maison Pop est un lieu politique, en tant qu’agencement de désirs communs.
Lou Masduraud
Ce serait en soi un lieu à étudier par rapport à ce mélange non ?
C’est aussi ce dont je voulais parler. La Maison Pop est un lieu politique, en tant qu’agencement de désirs communs. Avec Thomas [Conchou], cela fait un an qu’on parle de ce projet. Il est venu me voir plusieurs fois dans mon atelier à Genève, et, en plus, c’est un ami, ça change aussi les relations de travail. De fait, je ne me suis pas du tout posée « à distance », comme j’ai pu le faire à la Villa Vassilieff. J’ai vraiment essayé d’intégrer et de comprendre le lieu, sa communauté et ses équipes, qui m’ont vraiment accompagnée tout au long du processus et ont su faire preuve d’une grande souplesse dans leurs fonctions pour faire vivre mon projet.
Est-ce qu’il y a une chose dont tu voudrais parler et qu’on n’a pas évoquée ?
Oui, il y a un truc dont on n’a pas parlé, c’est que j’ai travaillé pendant 4 ans dans une institution, en école d’art. Je travaillais comme assistante de coordination du master arts visuels de la HEAD (Haute École d’Art et de Design) à Genève. J’étais en contact avec tout le monde, et j’ai pu voir comment chacun·e prenait position au sein de l’institution : comment proposer un contenu pédagogique sexy, mais aussi comment s’y prendre pour avoir plus d’heures, pouvoir inviter telle personnalité… Chacun·e a sa propre relation, sa propre stratégie même, pour dealer avec l’institution, ses contraintes et ses possibilités. Je faisais un taf très administratif. J’envoyais beaucoup de mails, je rédigeais des demandes de voyages et des bons de commande, en plus de gérer le relationnel dans l’équipe. C’est une école avec beaucoup de postes de vacataires, donc en perpétuelle évolution pédagogique, et en même temps qui précarise les profs… Mon intérêt pour les institutions est donc multiple, je vois aussi le côté « pure » bureaucratie. Ce n’est pas un fantasme d’artiste sur le monde du travail.
Merci pour cette précision ! C’est une chose dont on parle trop peu je trouve, il y a peu d’espaces pour lire des choses sur le travail « alimentaire » des artistes.
C’est vrai mais il y a la revue Hoot qui vient de sortir, sur les conditions de vie des artistes et leurs économies. Elle a été créée par læ collectif.ve Gufo. Il y a également le podcast Présent.e de Camille Bardin, qui demande à chaque fin d’interview « Est-ce que tu vis de ta pratique ? ». Aujourd’hui, on a de plus en plus de personnes qui travaillent pour visibiliser le milieu de l’art comme milieu de travail, et souligner les économies perverses qu’il produit. Il y a plein de choses à faire, collectivement, pour repenser nos économies et nos systèmes solidaires en tant qu’artistes.
Suivre Lou Masduraud sur Instagram, et sur son site internet.
Retrouvez toutes les informations de l’exposition Systm Soupir, visible jusqu’au 11 décembre à la Maison Pop (Montreuil) ici, et du projet Détente institutionnelle durant son année en tant qu’artiste associée à la Maison Pop là.
Image en une : Lou Masduraud © Rebecca Bowring / Institut Suisse