Lettre ouverte des artistes réfugié·es politiques, artistes en exil

Le 11 octobre, un collectif d’artistes résident·es à l’Atelier des artistes en exil publie cette lettre sur Instagram pour dénoncer leur malaise et le manque de transparence au sein de l’association. Nous la relayons aujourd’hui avec de nouvelles signatures.

Cher·e·s toustes, ami·e·s, 

C’est avec un mélange de tristesse, de frustration et de détermination que nous nous adressons à vous aujourd’hui. Nous, artistes en exil, avons été témoins de comportements oppressifs et de chantages émotionnels au sein de notre communauté. Face à ces injustices, nous avons décidé de partager publiquement cette lettre ouverte avec vous pour exprimer notre profonde insatisfaction et dénoncer les maux qui minent notre espace créatif. Depuis son ouverture, l’Atelier fut un refuge, un lieu d’aide et de solidarité, un espace de sécurité, de rassemblement, de rencontre, d’échange, d’entraide, de création et de convivialité. Pour certain·e·s, ce fut le premier et/ou le seul lieu qui ressemblait à un chez-soi, rappelant au moins une partie de familiarité, un sentiment rapprochant d’un sentiment perdu depuis l’exil, que toustes les artistes partagent comme un traumatisme collectif marquant cette communauté d’artistes. 

Depuis un certain temps, nous vivons toustes sous le joug d’une direction, subissant le fardeau d’une reconnaissance soi-disant salvatrice apportée par cette structure. Nous avons enduré en silence, car nous nous sentions redevables. Mais aujourd’hui, nous ne pouvons plus rester silencieux·ses face à l’oppression exercée par l’Atelier. Cette « institution », censée nous soutenir, utilise les mêmes mécanismes que les institutions oppressives que nous avons fuies dans nos pays d’origine. 

Nous sommes ici en tant qu’artistes, en tant qu’individus, chacun·e portant avec elleux une histoire, une identité, et des fragilités uniques. Nous sommes ici en exil, un état qui ne peut être réduit à un simple label ou à un concept « sympa » à vivre. L’exil est une réalité complexe, parfois douloureuse, souvent pleine de défis. Nous demandons simplement à être respecté·e·s en tant que tels, avec nos histoires et nos vulnérabilités, sans être réduit·e·s à des stéréotypes ou à des marchandises. 

Ce que nous dénonçons aujourd’hui, c’est le manque de transparence dans la gestion de notre atelier. Nous exigeons d’être informé·e·s et impliqué·e·s dans les décisions qui affectent notre espace commun et notre bien-être en tant qu’artistes. Nous dénonçons également le non-respect envers nos histoires, nos différentes fragilités et nos pratiques artistiques. Nous sommes des êtres humains, pas des objets à exposer ou à exploiter pour des motifs personnels ou financiers. Nous ne pouvons plus tolérer que l’Atelier exploite nos histoires et les problèmes géopolitiques pour se construire une image, tout en négligeant nos véritables besoins. Nous ne pouvons plus accepter des conditions de travail sous pression, imposées par cette direction, qui prétend nous aider. 

Les drapeaux arc-en-ciel sont hissés, transformés en logo pendant les prides, et des slogans tels que « Stop aux guerres » sont scandés au nom de l’Atelier. Mais derrière ces apparences, nous sommes confronté·e·s à une réalité bien différente. Nous sommes contraint·e·s d’accepter des propositions de l’Atelier qui ne servent pas nos intérêts réels. Nous mettons ici en lumière la fétichisation de nos histoires personnelles, un phénomène insidieux qui nie notre humanité et notre individualité. Nous ne sommes pas des curiosités exotiques à étaler ou des récits tragiques à exploiter pour susciter la pitié. Nous sommes des artistes, des créateur·rices, des personnes qui cherchent simplement à s’exprimer et à partager leur art et leur histoire avec le monde. Nous ne pouvons plus accepter d’être réduit·e·s au silence. Ce qui nous est demandé dépasse de loin ce que l’Atelier nous offre. Depuis la création de cet Atelier, aucune évolution concrète n’a été proposée à aucun·e artiste. Ce lieu se transforme en un exil au sens le plus vrai du terme – une cage dorée où nos ailes sont coupées. Nous ne pouvons plus faire un pas sans que cela soit associé à l’image de l’Atelier des artistes en exil. Nous sommes pris·es au piège, sans possibilité de nous échapper. Un sentiment de mépris s’installe et une paranoïa extrême nous envahit, car nous ne faisons plus confiance et nous ne nous sentons plus en sécurité. 

Malgré notre participation collective à la construction de l’image de cette structure, nous sommes complètement dénigré·e·s et maintenu·e·s dans un état de soumission. Aucune opportunité d’évolution ne nous est offerte. Nous devons accepter les conditions imposées sinon c’est l’invisibilisation ! Il y a quelques années, une personne anonyme nous a averti·es en publiant un message sur les réseaux sociaux : « Aidez les artistes en exil, la direction monopolise l’association ». À l’époque, nous n’avons pas voulu y croire. Nous avons soutenu la direction, mais malheureusement, c’est la réalité. Nous avons besoin de vous pour effectuer cette transition, nous pourrions être contraint·e·s de quitter ces lieux. Nous voulons un espace qui nous appartienne, un espace que nous gérons nous-mêmes. Nous sommes souvent sous-payé·e·s et/ou non-payé·e·s, participant à la création d’un journal sans aucune reconnaissance. L’association perçoit des bourses en notre nom, auxquelles nous avons difficilement accès. De plus, l’association prélève 20% sur toutes nos ventes d’œuvres, même parfois sur les bourses. Malgré la mise à disposition gratuite des locaux par la ville de Paris, la direction prétend que les 20% prélevés sont équivalents soi-disant à un loyer. En effet, nous mettons en question la légalité de certaines démarches entretenues par la direction, et nous nous interrogeons sur les compétences professionnelles en matière d’accompagnement et de connaissances dans les domaines psychologiques et sociaux conformément à nos profils et nos besoins. Nous mettons en question aussi la santé mentale, les compétences et les sensibilités interculturelles et linguistiques de certains membres de la direction. 

Aujourd’hui, nous brisons le silence, car cela ne peut plus durer. Nous refusons d’être exploité·e·s davantage. En publiant cette lettre, nous voulons faire entendre notre voix collective. Nous demandons le respect, la dignité et l’égalité pour tous les membres de notre communauté. Nous appelons à un changement radical dans la manière dont notre atelier est géré, mettant l’accent sur la transparence, le respect mutuel et l’appréciation de la diversité qui fait notre richesse. 

Nous sommes uni·es dans notre démarche, fort·es dans notre détermination. Nous espérons que cette action marquera le début d’un dialogue ouvert et honnête au sein de notre communauté, un pas vers un avenir où chaque artiste sera respecté·e, soutenu·e et célébré·e pour sa singularité. Ensemble, nous pouvons créer un espace où l’art et l’humanité triomphent de l’oppression et de l’ignorance. Nous vous appelons à vous joindre à nous, à soutenir notre cause et à nous aider à obtenir le changement que nous méritons. Ensemble, nous pouvons faire en sorte que l’Atelier des artistes en exil redevienne ce qu’il devrait être : un lieu d’accueil, de soutien et de croissance pour les artistes en exil. Un atelier d’artistes qui soit véritablement inclusif, respectueux et inspirant pour toustes. 

Avec espoir et détermination,

Les artistes en exil 


Liste des signataires
Artistes membres aae : 

Aida Salender 
Aram Tastekin 
Ayoub Moumen 
Babak Vatandoost 
Bahareh Ghanadzadeh
Yazdi Diyana Babapour 
Hala Alsayasneh 
Hamza Abuhamdia 
Hasan Ocal 
Hristine Zarembo 
Ismat Aka sim-marek 
Maryam Samaan 
Mehdi Yarmohammadi 
Nasrin Moradi 
Orion Lalli
Rezvan Zahedi 
Lassine Traoré 
Et 18 artistes anonymes 

Artistes passé·es par aae : 
Kubra Khademi 
Rada Akbar


Droit de réponse de l’atelier des artistes en exil 

Le 11 octobre dernier, une première lettre ouverte signée par 27 artistes et anciens membres de l’atelier  a suscité émotion et de nombreux questionnements au sein, et à l’extérieur de notre communauté. 

En dehors de certains propos diffamatoires qui ont été publiés et relayés, nous entendons  et comprenons certaines déceptions, frustrations et colères. 

Crée en 2017, l’atelier fait face depuis quelques mois à une situation sans précédent. L’arrivée toujours grandissante d’artistes en exil, et le manque de financements nous ramènent aux difficultés humaines,  administratives et financières auxquelles nous devons faire face en tant qu’association. 

À ce jour, nous comptons environ 600 artistes membres, et l’équipe fixe n’est constituée que d’une  vingtaine de personnes qui travaillent sans relâche pour un objectif commun : l’accompagnement et le  bien-être des artistes en situation d’exil. 

L’atelier est avant tout un espace d’accueil et de création, permettant aux artistes de disposer  gratuitement d’espaces et de matériel de travail, d’un suivi social et juridique, de cours de français,  de formations, de bourses à la création… et ceci ne changera pas. 

Il est vrai que malgré notre implication constante, il est de plus en plus difficile d’accompagner toutes  les personnes sur des projets d’évolution artistique personnels dans leur entièreté, lorsqu’une majorité  fait face à une situation d’urgence. 

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Au vu de la situation géopolitique actuelle, la priorité est de pouvoir permettre à des artistes de se loger,  se nourrir, se soigner, d’être en sécurité afin de pouvoir créer. 

Les espaces de création (ateliers d’arts plastiques, céramique, salles de danse, de musique, d’écriture,  studio photo…) restent toujours accessibles, l’équipe disponible, tout comme l’accompagnement  artistique. Nous poursuivons la programmation de nos événements et du festival, bien qu’il soit  désormais plus compliqué pour nous d’accompagner tous les besoins, ambitions et envies, avec  des demandes toujours croissantes et une équipe réduite. 

Nous remercions chaleureusement les personnes et les institutions qui comprennent, nous apportent  leur appui et nous témoignent leur solidarité. Nous remercions également tous les artistes qui ont  publié une deuxième lettre de soutien envers notre association, et qui nous accompagnent avec force  pour défendre ce lieu qui nous est si cher. 

L’atelier restera un lieu d’accueil, de partage et de bienveillance où aucun comportement discriminatoire  n’est toléré. 

Nous sommes ouverts aux propositions conduisant vers des changements positifs au travers  d’un dialogue ouvert. Des réunions avec les membres de l’atelier des artistes en exil et l’équipe ont  eu lieu, d’autres sont prévues, afin de faire le point sur notre fonctionnement et sur les expériences  que nous partageons. 

Nous nous tenons également à la disposition de quiconque souhaiterait nous poser des questions : public@aa-e.org 

NB : À titre d’exemple et afin de rétablir une partie des faits dénoncés dans cette première lettre,  nous souhaitons préciser que n’avons jamais prétendu payer un loyer, les locaux que nous occupons  au 6 rue d’Aboukir Paris 2e sont mis à disposition par la Ville de Paris. 

Les 20% évoqués sont dirigés vers un fond commun d’aides d’urgence, dans une perspective mutualiste où les artistes qui reçoivent au travers du réseau ou matériel fourni par l’atelier, partagent avec les artistes  qui ne perçoivent rien (comme il est précisé dans la charte des artistes de l’aa-e, signée au moment  de la réception de leur carte de membre). 

Par ailleurs, nous ne prélevons pas ce pourcentage sur les bourses, qui reviennent intégralement  aux artistes, après acquittement des cotisations sociales en vigueur. 


Article mis à jour le jeudi 26 octobre 11h30

Image à la Une : Ayoub Moumen, performance au festival Jerk Off à la Flèche d’Or © Romain Guédé

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