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La Pride des Banlieues : pour un mouvement des LGBTQI+ de quartiers populaires

La Pride des Banlieues : pour un mouvement des LGBTQI+ de quartiers populaires

À l’occasion du mouvement social du 7 mars contre la réforme des retraites, la Pride des Banlieues s’empare pour la première fois des colonnes de Manifesto XXI et ouvre un cycle de quatre articles pour l’année 2023. Dans cette première tribune, la Pride des Banlieues affirme la nécessité d’une autonomie politique et stratégique des LGBTQI+ issu·es des quartiers populaires vis-à-vis des organisations syndicales et partisanes majoritaires.

Quand exister est une lutte en soi, comment parvenir à se faire entendre ? Quand être visible est un combat, comment réussir à s’émanciper ? À l’heure où la lutte contre la réforme des retraites fait rage et réussit à mobiliser des millions de manifestant·es, nous prenons toustes conscience du rapport de force à acquérir pour espérer obtenir une victoire politique nécessaire. La photo des principaux·ales représentant·es syndicaux·ales à la sortie d’une réunion intersyndicale nous interpelle. Neuf personnes représentent les huit syndicats les plus influents. Parmi elleux, 8 hommes, 9 blanc·hes, 9 cis et 9 valides. 

Pourtant, il est démontré que les conséquences de cette réforme vont affecter plus durement les femmes, les personnes LGBTQI+ et les personnes racisées. En témoigne notamment la tribune des Inverti·es à ce sujet. Il serait donc logique que la contestation soit aussi portée par des gens qui vivent ces oppressions. Les discours et argumentaires contre la réforme n’en seraient qu’enrichis. Les propositions d’alternatives prendraient en compte la pluralité des réalités pour ne laisser personne de côté. 

Comme le disait l’autrice afro-américaine Anna Julia Cooper, « When they enter, we all enter », qui signifie qu’ouvrir la porte aux plus marginalisé·es, c’est l’ouvrir à tout le monde ! En effet, prenons un exemple schématique, celui des femmes arabes. Répondre aux problèmes auxquels elles sont confrontées équivaut à répondre aux enjeux qui sont confrontés aux femmes, aux arabes et plus spécifiquement aux femmes arabes. Par corollaire, « ouvrir la porte » aux femmes arabes, c’est l’ouvrir aux femmes, aux arabes et aux femmes arabes. Et qui de mieux que les personnes concerné·es pour identifier et rendre visibles les problèmes qu’elles vivent afin d’aspirer à des politiques qui les prennent en compte ? Personne. Et ça, les mouvements syndicaux le savent théoriquement. En effet, il ne leur viendrait pas à l’idée d’être représentés par autre chose que des travailleur·ses précisément car iels ont l’expérience de l’oppression dans les rapports de production. Dans le camp des gens qui se battent pour la dignité de toustes, il y a donc a priori tout à gagner à inclure dans les cercles décisionnaires les militant·es concerné·es par les différentes oppressions.

Pride des Banlieues
© Estelle Prudent

Des organisations qui ne représentent que les moins marginalisé·es de leurs luttes

Malheureusement, c’est loin d’être le cas dans la pratique. Une brève analyse de la situation suffit pour se rendre compte que les principaux·ales acteur·ices des luttes contre les oppressions ne représentent que les moins minorisé·es. Pour donner des exemples concrets, on peut s’attarder sur les directions de certaines organisations qui ont une visibilité particulière dans leur champ d’action. On remarque que SOS Racisme a été présidé par des hommes cisgenres et hétérosexuels trente-six ans sur trente-huit années d’existence. La CGT n’a connu que des hommes blancs, cis et hétéros en tant que secrétaires généraux depuis sa création en 1895. Sur les dix-sept président·es de SOS Homophobie, treize ont été des hommes et toustes était blanc·hes et cisgenres. Le constat est limpide, pas de place pour les marginaux·ales, pour celleux qui se trouvent à l’intersection de plusieurs discriminations dans les luttes des opprimé·es. 

La première conséquence de cette absence de représentation se retrouve directement dans les actions des différentes organisations. Généralement, leurs discours sont assez indifférents des « autres » luttes. Plus grave, ils peuvent même y être hostiles. Ce fut le cas de la CGT le 1er mai 1971 qui, lorsque le FHAR (Front homosexuel d’action révolutionnaire) marcha à leur côté, qualifia l’homosexualité de « traditions étrangères à la classe ouvrière ». C’est encore le cas aujourd’hui. Nous pouvons citer l’exemple des organisations TERF (Trans-exclusionary radical feminists) qui prétendent lutter pour le féminisme en agressant des femmes trans. C’est enfin le cas des associations LGBTQI+, qui au nom de la lutte contre les LGBTQI+phobies, n’hésitent pas à stigmatiser les musulman·es et plus généralement les habitant·es racisé·es et précaires de quartiers populaires. 

La seconde conséquence découle de la première. En effet, si nous ne sommes pas représenté·es dans ces mouvements, s’ils ignorent des pans entiers de nos réalités dans leurs revendications, s’il tiennent des discours qui participent à nos oppressions, logiquement, nous les désertons. Ce phénomène est d’autant plus marqué que cette indifférence est souvent traduite par des logiques d’organisation internes qui ne prennent pas en compte les enjeux de chacun·e. Par exemple, combien d’organisations militantes se dotent de process de prévention et de gestion des violences sexistes ? Combien mettent à disposition des militant·es le matériel nécessaire à la participation aux activités de l’organisation pour celleux qui ne le détiennent pas alors qu’elles en ont les moyens ? De toute évidence, insuffisamment. 

Quand on évolue dans les milieux militants en Seine-Saint-Denis, il suffit de tendre l’oreille pour recevoir nombre de témoignages de personnes racisées qui ont vécu des expériences traumatiques de tout ordre dans de telles organisations. « Mais tu sais pas ce qu’ils m’ont fait là-bas ! » ou autre « ils ont choisi un blanc à ma place » sont la norme. Si on a le malheur d’afficher un désaccord et la nécessité de prendre en compte nos réalités, on est souvent perçu·es comme des « hystériques », celleux qui ne peuvent pas mettre leurs revendications de côté pour le bien commun. « Tu comprends, ça va créer des divisions, on a pas besoin de ça. » Si on vit des grosses difficultés sur le plan personnel en lien avec nos identités, on y est vu·es comme les personnes à sauver, ou pire comme les inutiles qu’il faut traîner. 

Alors non. On y va pas. On y va plus. 

Penser les alternatives

Au vu de cette situation, il est important de se demander comment construire une lutte autour des plus marginalisé·es et qui prenne réellement en compte les enjeux de toustes ? C’était le sujet de la journée « Émancipation, Représentation, Visibilité : Les LGBTQI+ de quartiers populaires » que nous avons organisée le 11 février dernier. 

Au cours de celle-ci, les intervenant·es sont revenu·es sur les différentes approches qui coexistent. La première consiste à se rendre visibles, créer des espaces dans les luttes déjà existantes. C’est typiquement la démarche du collectif Inverti·es et des organisations qui forme le pink bloc – auquel participe la Pride des Banlieues – au sein des manifestations contre la réforme des retraites. La lutte est là, on s’y rend visibles, on y rend nos revendications spécifiques visibles. 

D’autres préfèrent avoir une démarche communautaire. On essaye de répondre à nos besoins directement entre personnes partageant des réalités similaires. On fait nos trucs entre nous, par nous, pour nous. On crée nos propres règles, celles avec lesquelles on se sent à l’aise. 

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Ces espaces sont nécessaires, parfois même salvateurs pour certain·es d’entre nous. Pourtant, les effectifs des personnes qui portent ces initiatives sont très restreints. Quelques dizaines de personnes par organisation, parfois quelques centaines. Si nous revenons à l’enjeu des retraites, on observe que des millions de personnes se mobilisent. Pourtant, malgré ce rapport de force massif, l’exécutif persiste à vouloir imposer sa réforme. Au vu de notre pouls communautaire réduit, on peut alors se demander quel est notre poids si nous souhaitons imposer nos revendications. Quelle est notre influence si nous souhaitons imposer la dignité pour toustes ? 

C’est pourquoi, à la Pride des Banlieues, nous souhaitons renverser la table. Nous affirmons qu’il faut construire un mouvement des LGBQTI+ de quartiers populaires. Un mouvement par les concerné·es, avec les règles des concerné·es. Un mouvement qui aspire à répondre aux enjeux de toustes à travers la réponse aux enjeux des plus marginalisé·es. Un mouvement autour duquel il sera impératif d’impliquer les allié·es en les convainquant de leurs intérêts – tant matériels qu’idéologiques – à s’agréger autour de cette initiative. Et pas l’inverse. C’est ainsi que nous serons dans la capacité de créer un rapport de force puissant, nécessaire à la mise en œuvre de notre projet politique. 

Nous avons compris qu’il est vain d’espérer rejoindre les organisations centrales des luttes et penser qu’en les intégrant nous pourrions leur faire prendre en compte nos réalités. Il est désormais nécessaire que nous construisions nos structures pour devenir un nouveau centre de la lutte et imposer nos revendications. 


Relecture et édition : Benjamin Delaveau et Costanza Spina

Image à la Une : © Estelle Prudent

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