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Kids Return, un Mellotron et du bon vin

Kids Return, un Mellotron et du bon vin

Kids Return - Manifesto 21
Alors que les Kids Return n’ont encore sorti que deux titres, l’envoûtant « Melody » et maintenant « Our Love », ils forcent déjà l’admiration. Un sens de la mélodie irréprochable, une production nette et une force de proposition impeccable dans les variations de style et dans les déclinaisons instrumentales. Ce nouveau titre s’accompagne d’une live session ultra vintage enregistrée au studio Motorbass, à regarder plus bas. Deux tirs cadrés pour ces nouveaux venus qui imposent d’ores et déjà une signature sonore singulière. Pour que l’on puisse tenter d’imaginer ce à quoi pourrait ressembler la suite, Adrien Rozé et Clément Savoye m’ont ouvert la porte de leur studio parisien et m’ont raconté la genèse de Kids Return.

Rendez-vous à Pigalle. Dans un petit studio partagé, Clément et Adrien, bière à la main, sont ravis d’accorder leur première interview, un peu secoués de vivre tout ce qui les porte depuis la sortie de leur premier titre, « Melody ». Cette première prise de parole qui présentait la douceur et le sens de la mélodie du duo, a suscité un certain engouement, et les a autant surpris que motivés. C’est qu’il y a un an encore, l’idée de Kids Return n’existait pas, et non plus la perspective d’un album ou encore d’un enregistrement dans le mythique studio Motorbass. Pourtant, c’est un rêve qui gronde chez eux depuis bien longtemps. À quatorze ans, Adrien rêve de hurler dans son micro, guitare sous le bras, à la tête d’un groupe de rock. Clément, lui, se voit jouer comme le batteur d’Arctic Monkeys, Matt Helders, tambourinant sur des rythmes langoureux. Meilleurs amis depuis leurs 13 ans, ils longent depuis le même chemin. Membres de l’ancien groupe Teeers, ils sont depuis un moment habitués à la scène et à la composition. Et aujourd’hui, ils deviennent Kids Return, duo parisien romantique à souhait. S’ils ont abandonné leur lubie rock, c’est pour une pop multifacette qui s’inspire largement de compositeurs de musique de film. Rencontre avec ces nouvelles têtes qui nous ont séduits.

Les Kids Return sont des enfants de leur siècle. C’est pendant le premier confinement que sont nés leur groupe et leur musique. Après que les concerts des Teeers à Los Angeles soient annulés, ils se voient obligés de rentrer en trombe à Paris. « On était dans un avion pleins de mecs qui avaient le covid, avec tous les Français qui revenaient. Et on s’est confinés ensemble dans l’appartement des mes parents » explique Adrien. Là, dans l’appartement aux fenêtres toujours ouvertes, exposé plein ouest et baigné d’une lumière orangée, le duo profite pleinement d’une ambiance d’été coupée du temps. « Il faisait beau, on était avec quelques copains, dans une ambiance apaisée, isolée. On était comme à l’autre bout du monde, mais dans Paris. Cette perte de la notion du temps et de l’espace, cette perte totale de repère a été très inspirante. » confie Clément. Ils se mettent alors à jouer de leurs instruments. Pour le plaisir, pour remplir un peu ce temps qui s’étire ou juste pour essayer, sans encore imaginer en faire un disque. « Très objectivement, continue-t-il, on y est allé à l’énergie. On se faisait totalement confiance Adrien et moi, mais on ne savait absolument pas où on allait, ni ce qu’on faisait ».

Et puis, alors qu’ils choisissent chaque soir un film à regarder et qu’ils se bourrent de nouvelles références cinématographiques, un réalisateur -et un de ses films en particulier- provoque chez eux un déclic. Kids Return, de Takeshi Kitano sorti en 1996, raconte l’histoire de deux amis friands d’école buissonnière qui se retrouvent à apprendre la boxe. « Voir beaucoup de films nous a énormément nourris artistiquement. » explique Adrien. « Et le nom Kids Return est venu très tôt, grâce à ce film donc. Avant d’avoir ce nom, on n’avait pas l’idée de faire quelque chose. Kids Return, le film, ce sont deux potes de vingt ans qui se cherchent et prennent des chemins différents, pour finalement se retrouver à leur point de départ. On s’y est beaucoup retrouvés. » Clément raconte, « Je me souviens, on était sur le canapé, on regardait ce film et j’ai dit « si on avait un groupe on pourrait s’appeler Kids Return ». Et là Adrien a eu une phase, on s’est regardés, on s’est rien dit, mais dans nos têtes, c’était fait. C’est un peu comme tomber amoureux de quelqu’un. » Ils se trouvent aussi grandement inspirés par la BO, entièrement composée par Joe Hisaishi. Connu pour être à l’origine des musiques d’un grand nombre de films d’Hayao Miyazaki et Takeshi Kitano, sa carrière exponentielle a fait de lui l’un des plus grands noms de la musique de film. C’est dans son expérimentation, son sens des associations audacieuses de sons et d’instruments, et dans son amour de la mélodie que les Kids Return se retrouvent. Avant de penser qu’Adrien chanterait, ils pensaient peut-être faire de la musique pour l’image, et d’autres compositeurs les guidaient dans leur travail. François de Roubaix, dont les sons, plus inspirés de la french touch, apportent d’autres directions, Vladimir Cosma dont on leur reconnaît un romantisme semblable, Francis Lai, Ennio Morricone ou encore Air, dont la production détaillée provoque chez eux admiration et motivation. Sur leur compte Spotify, une playlist « Kids Return’s jukebox » regroupe leurs influences, parcourues de figures immenses de la musique de film.

Cette émulation née dans une période où la vie semblait, elle, à l’arrêt, vient aussi d’une nouvelle acquisition. Clément raconte : « Il y avait eu l’anniversaire d’Adrien, et on lui avait choppé un mellotron, qui nous a apporté énormément de nouvelles sonorités. » Cet appareil inventé au début des années 60 et rendu célèbre notamment par John Lennon dans « Strawberry Fields Forever » ou par les Moody Blues qui en font une de leur marque de fabrique, est un instrument analogique à clavier, souvent dépeint comme l’ancêtre des samplers et comme particulièrement fragile et capricieux. Extrêmement sensible aux mouvements, aux changements de température et de lieux, il demande patience et dextérité, qui sont souvent récompensées par ce son si particulier qu’il offre. « On s’est dit que ça pouvait nous apporter des choses, continue Clément. Parfois c’est bête, mais ça part d’un mini déclic. On se dit qu’on peut faire autre chose, qu’on n’est pas limités à ce qu’on a fait toute notre vie ! Et ça, ajouté à l’influence de Joe Hisaishi avec ses flûtes, ça donne l’impression d’ouvrir une porte. »

Poussés par le travail que demande l’apprivoisement de cet appareil et largement soutenus par le temps qu’offrait le mondial lockdown, Clément et Adrien se lancent dans des recherches approfondies sur la façon dont les artistes produisent et enregistrent leurs disques. « On a été fasciné par le processus utilisé pour les disques des années 60-70. On a commencé à geeker sur ça, à se demander « mais pourquoi ça sonne comme ça ? Quel micro ils utilisent ? Quel préamplificateur ils utilisent ? Quels instruments ils utilisent ? » On se disait qu’on voulait prendre un nouveau chemin, mais que pour le faire il fallait qu’on se donne les moyens de comprendre. C’était une vraie démarche de recherche, presque scientifique. Et on a pu le faire parce qu’on avait le temps. Dans la vie de tous les jours on ne peut jamais se poser trois heures à regarder des vidéos sur YouTube qui parlent d’une table sur laquelle les Beatles ont enregistré tel titre, ou de quelle réverbe ils ont choisis. » se rappelle Clément. « On a énormément appris sur le plan de l’enregistrement, du matériel, on a appris par exemple, à écrire une partition de violon. À faire des arrangements de flûte ou même à utiliser un synthétiseur. Ça a été très important pour nous. » soutient Adrien.

Kids Return, c’est aussi un hymne à la mélodie, que l’on perd trop aujourd’hui.

CLÉMENT SAVOYE, KIDS RETURN

De leurs recherches, ils gardent tout leur album à venir. « Notre album est né de ces recherches. Ce qu’on a fait, on ne l’avait jamais fait avant. On a enregistré un album live bass-batterie, et un quatuor à cordes en analogique. On n’a utilisé aucun plugin, on n’a pas utilisé d’ordinateur, à part pour l’interface, pour éditer quelques petites choses et encore, très peu. Tout a été fait avec des synthétiseurs analogiques, des préamplis Neve d’époque, ici par exemple, me dit Clément en me montrant une machine rangée dans un coin du studio, on a un fulldeck, c’est une machine folle, un EQ des années 70. On en a tout gardé, et ça nous a influencé sur notre façon de composer. D’un côté ça te limite, parce qu’il faut prendre le temps de comprendre comment ça fonctionne, et de l’autre, ça t’impose de nouvelles idées parce qu’en prenant ton temps pour savoir où tu vas, tu trouves de nouvelles formules ».

La formule de Kids Return, elle, est celle d’une musique vivante, organique, et d’un processus de composition soucieux des bonnes choses. « Les gens pourront t’expliquer par A + B qu’utiliser un minomoog par plugin plutôt qu’un minimoog en vrai te donnera au final le même son. Mais ce qu’ils ne comprennent pas c’est que nous, on va brancher le minimoog, qu’il va d’abord sonner faux, alors on va l’accorder, on va toucher un bouton et il va se passer quelque chose. C’est la magie du processus. On peut penser à un son, mais le chemin à parcourir pour y arriver va finalement nous emmener ailleurs et c’est cette nouvelle chose qui finira sur notre disque. Il faut toucher, mettre les mains dedans. Ça a du souffle, parfois ça déconne, parfois ça se détune, mais ça donne de la vie » raconte Clément. « Pour avoir un beau son, il faut que la musique soit physique. » précise Adrien. 

À mesure que l’idée du groupe et d’un album se précise dans les têtes des deux Parisiens, les idées affluent, les ambitions grandissent, les horizons s’élargissent. Au milieu d’une crise sanitaire qui enlise toute l’industrie musicale et prive le monde entier de concerts, rien ne les pousse à croire qu’ils se retrouveront bientôt sur scène. Il est alors bien normal qu’ils incluent, dans leur premier disque, des moments d’orchestre, des quatuors à cordes, de la flûte… « C’est hyper agréable de faire de la musique sans devoir penser à faire un concert, avoue Clément. Toute notre vie on a eu ce rythme qui était de faire des morceaux, pour ensuite faire un album, pour ensuite faire une tournée. Et là, on ne s’est pas du tout posé la question. Alors du coup notre album va être assez drôle parce qu’il y a énormément de choses, parce qu’on n’a pas pensé une seule fois au live. Tout est joué live dans le disque, mais si demain Adrien et moi on doit faire un concert…. Bon, on a fait des live-sessions. Elles sont réalisées par Tara-Jay Bangalter, qui est un peu comme le troisième membre de Kids Return parce qu’il donne son avis sur tout et c’est très précieux pour nous. La première était très sobre, juste nous deux, sans batterie et avec des potes pour faire les chœurs. Pour celle de « Our Love », au contraire, il y a huit personnes sur scène. Et c’est très important pour nous, le live, on est des énormes fans de concerts. Seulement on n’a pas encore trouvé ce juste milieu entre le too much et le trop petit. Mais on y réfléchit, et si on propose quelque chose aux gens, ça ne peut pas être mauvais ou moins bien. On va le faire, et on est des bosseurs alors ce sera bien. » Un bon mois plus tard, ils se retrouvent programmés dans trois festivals, dont la petite scène fluviale du GlouGlou festival à Paris. Pas d’orchestre ni de violon. Seulement Adrien derrière sa guitare et Clément derrière son clavier, ravis de trouver un public qui connaissait déjà « Melody » par cœur. Et c’était déjà quelque chose.

© Ella Hermë

Au-delà de la technique, les deux ont besoin d’un cadre détendu, ouvert et libre pour composer. C’est que leur musique, en plus d’être physique, est intrinsèquement liée à leur quotidien. Leur inspiration naît de leurs voyages, de l’eau qui bout en attendant les pâtes, des bouteilles vides qui s’accumulent dans un coin de pièce. Ils préfèrent répondre à l’inspiration plutôt que de la faire venir, la laisser couler sur eux plutôt que de la brusquer. Et dans cette valse permanente avec la démiurgie, la cuisine et le voyage sont des rituels indispensables. « Tu fais une meilleure musique quand tu cuisines plutôt que lorsque tu commandes un deliveroo » atteste Adrien, avant de reprendre « Et on a commencé à composer dans l’appart de mes parents, avec nos machines, nos guitares, puis on est parti à la montagne dans la maison de l’arrière grand-père de Clément, avec une vue démente. On a fait dix heures de route, on a choppé le covid en même temps. Puis on est allé enregistrer les cordes en Champagne – Ardenne, puis dans ce studio, ici à Pigalle, puis chez mes parents en Bourgogne où on a retourné le salon pour se faire un studio. Et on a fini quelques trucs au studio Motorbass. Donc il y a vraiment l’idée de voyager avec nos machines et nos synthés. Et dans un esprit assez libre. On est plutôt en phase avec la nature, c’est très important pour nous d’avoir une vue dégagée. On a aussi quelque chose de naïf, peut-être. Beaucoup de vin, pas de drogues dures »

Pendant cette année de composition épicurienne, sur les routes de France, posant bagage et mellotron ici et là, « Our Love » naît. Deuxième titre et déjà la confirmation d’un talent couvé qui n’attend que d’éclater. Leurs influences ressortent et s’accordent dans un gros bouillon de sonorités contraires (acoustique-électriques, vintage-modernes). Leur nostalgie joyeuse prend de l’ampleur et la composition s’enrichit largement, laissant fleurir des violons et gambader une flûte. Réalisée encore une fois par Tara-Jay en super 16 et en plan séquence, cette fois dans le studio légendaire de Philippe Zdar. La vidéo est tournée en une seule fois, en même temps que la prise de son. Clément y excelle au piano tandis qu’Adrien vagabonde dans l’espace en chantant, accompagné de leur fameux minimoog. Kids Return étale une nouvelle carte : la beauté de sa prestation live, que l’on aimerait voir crever l’écran pour finir sur une vraie scène.

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À l’image de l’album, l’histoire d' »Our Love » est itinérante. La mélodie des « ouh-ouh » qui balisent le morceau de leur entrain naïf et victorieux, vient à Adrien en mai 2020, toujours en confinement, alors qu’il expérimente sur le piano de ses parents. Plus tard, en Normandie, lui vient la mélodie des couplets, et à Clément le beat de batterie qui rythmera le morceau. Plus tard encore, et ailleurs encore, ce sont les refrains et pré-refrains qui naissent dans la tête de l’un et de l’autre. « Ce morceau a un peu tout traversé. Quand on l’a commencé, on se cherchait, on ne savait pas encore ce à quoi allait ressembler le groupe, ni ce qu’on allait faire comme musique. Et puis petit à petit, alors qu’on composait d’autres choses parallèlement, il s’est construit. » explique Adrien. Il leur semble alors logique de le sortir en deuxième, ce titre qu’ils trimballent avec eux depuis le début de leur histoire. 

On y retrouve les aspects les plus saillants de leur identité musicale : l’amour de la mélodie et l’importance de l’émotion. « Kids Return, c’est aussi un hymne à la mélodie, que l’on perd trop aujourd’hui, je trouve » note Clément. « On a des morceaux qui sont seulement des hymnes à la beauté de la musique, sans qu’on ait besoin de dire les choses. En France, on a parfois la sensation qu’il y a tellement de choses à dire et qu’il faut absolument les dire. Mais l’émotion peut aussi passer par l’harmonie. Même si à l’inverse, le texte prend de plus en plus d’importance pour nous. Et aussi, on en a marre des gens qui nous disent qu’il faut faire des trucs plus méchants. Si t’as envie de faire des trucs méchants, fais-le. Mais on peut aussi faire des trucs gentils. Il faut que ce soit sincère, qu’il y ait une deuxième lecture, de la profondeur, mais la mélodie peut transmettre tellement d’émotions. » À ça, Adrien ajoute « cette notion d’émotion est très très importante pour nous. On veut pouvoir faire pleurer et sourire. On tient à cette nostalgie dans nos morceaux. »

Pour avoir un beau son, il faut que la musique soit physique.

ADRIEN ROZÉ, KIDS RETURN

« Récemment, j’ai vécu une période de rupture qui m’a fait réaliser beaucoup de choses sur ma vie, reprend Clément. Je sors d’une longue relation amoureuse et il y a eu la séparation des Teeers, beaucoup de changements qui m’ont inspiré. On était en plein dans la composition de l’album quand c’est arrivé. Donc on a écrit des textes là dessus. Et moi je me moquais toujours, je me disais que ça devait être ridicule les mecs qui écrivent des textes quand ils se font quitter par leur copine. Mais en fait c’est très beau, ça permet d’extérioriser. Mais c’est jamais dépressif, c’est la beauté de la rupture, du changement. » Adrien lui, explique leur rapport au jukebox, motif central de leur premier titre. « La musique c’est le meilleur moyen de s’évader et de rêver. Et pendant cette période, le studio était en quelque sorte notre troisième meilleur ami. Et le jukebox, c’est un moyen de diffuser de la musique de façon vraiment pas très qualitative. Et c’est justement ce qu’on adore, ce son un peu cheap. »

« Notre but est de procurer un maximum d’émotion aux gens à travers la mélodie et le groove. » conclut Adrien, avant que Clément n’ajoute : « On s’appelle Kids Return, on est meilleurs potes et on fait des chansons qu’on essaye de produire le mieux possible, avec sincérité. » Pour la suite, il faudra encore patienter.

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