Peu de personnages sont aussi politiques par le simple fait d’exister, de mener une carrière. En quelques années, Kiddy Smile s’est écrit un rôle crucial pour la culture française. Une ascension qui s’est encore intensifiée ces derniers mois, et dont le premier album marque un flamboyant point d’orgue.
C’est avec ces mots affichés sur son tee-shirt que de nombreux Français auront découvert Kiddy Smile le 21 juin 2018, invité à jouer pour la fête de la musique sur le perron de l’Elysée : « Fils d’immigré, noir et pédé ». Un set qui aura suscité beaucoup de critiques au sein de la communauté LGBTQI+ française dont le DJ est l’une des figures essentielles. Danseur, évangile du voguing en France, bien connu des nuits parisiennes, le talent de Kiddy Smile amène vers la lumière ceux, les queer people of colors, qui étaient dans l’ombre. Depuis cet événement, le New York Times s’est intéressé à ce Frenchie qui fait tomber toutes les barrières – du genre, de la race, de la classe – en même temps.
One Trick Pony est un premier album qui raconte autant une histoire personnelle que celle d’une époque. Aves ses ups et ses downs, ses moments de gospel-house béats et ses titres de clubbing transpirants de désir, on suit les questionnement d’un artiste qui s’affirme et chante comme jamais sa joie d’être ce qu’il est devenu. On le connaissait géant, le timbre ténébreux dans « Let a Bitch Know », ici se révèle la candeur d’un grand enfant à l’image du clip du titre « Be Honest ». C’est un album généreux, souvent jubilatoire comme une comédie musicale, héroïque au sens où cette musique et ces messages de tolérance et d’acceptation ont tous les bons beats pour toucher un public inédit.
Manifesto XXI – L’album s’ouvre sur le titre « House of God ». Qu’est-ce qu’elle raconte cette chanson ? Elle ressemble à quoi la maison de Dieu idéale en 2018 ?
La religion en réalité ce n’est qu’un gros outil de division, de répression, et c’était important pour moi de rappeler que si on fait une vraie lecture de ces textes, c’est à propos d’accepter l’autre et combattre l’injustice. C’est quoi l’injustice en 2018 ? Je n’allais pas faire une chanson pour le racisme, une pour le sexisme, je pense que c’est bien d’en parler comme ça avec une intention hyper gospel mais sans chœur. Avec tout ce que représente le gospel… C’était important pour moi d’ouvrir l’album sur ça, ça met en condition. Et ça présente aussi qui je suis en tant que personne, et aussi commencer par quelque chose qui est classique en terme de house music. Un espèce de preach, « On est tous ensemble sous le même toit ».
Pour moi « The house of God » c’est le club. C’est là où on est tous égaux et vulnérables face au DJ.
Parlons de la pochette de cet album. Il y a quelque chose de christique dans cette posture…
C’est pas franchement le Christ, mais plutôt « Je viens à vous », genre « je m’offre à vous ». C’est quelque chose de très sincère, on est partis shooter là où j’ai eu mon premier éveil artistique, c’est à dire dans le quartier où j’ai grandi, sur le terrain de foot où mon animateur de quartier est venu me proposer de faire de la danse. Ça faisait sens de revenir là pour un premier album. L’idée de la bouche c’était d’intégrer un élément du live, parce que ce disque va vivre beaucoup par le live on espère. C’est un petit clin d’œil, venez nous voir en live.
Tu as eu une forte éducation religieuse ?
Ma famille nous a fait baptiser, ma famille allait à l’Eglise. Peut-être pas tous les dimanches mais un maximum. Moi j’ai été très impliqué dans l’église de mon quartier, j’ai arrêté pour des raisons qui sont assez simples, la découverte de ma sexualité. En plus d’être quelqu’un de très assidu, j’étais pas vraiment récompensé chez moi parce que le mariage de mes parents allait mal, mon père me maltraitait. Donc très vite, j’ai choisi de consacrer mon temps à quelque chose qui récompensait plus immédiatement. Mais ma foi en Dieu est restée la même sauf que je ne pense pas avoir besoin d’aller à l’église pour le remercier.
À propos de ce titre, « Be Honest », la Fête de la musique, si c’était à refaire, qu’est-ce que tu ferais différement ?
Je jouerais le morceau que j’ai oublié de Michael Jackson, « They don’t really care about us ». C’est le seul que j’ai oublié de glisser.
Pourquoi le titre de cet album, « One Trick Pony » ? Tu n’as pas qu’un tour dans ton sac avec toutes tes multiples casquettes de DJ, danseur, homme de la mode…
Ça fait référence à la chanson de l’album et c’est exactement ce que je raconte. C’était une bonne façon de nommer mon album, sachant que j’ai très souvent été en adversité pour le réaliser. Pour arriver jusque-là, pour tous ces gens qui ne croyaient pas en mon projet. C’était un joli pied de nez.
Dans une interview accordée à Antidote Magazine, tu racontais les déboires de ton premier album avorté avec Because. Tu disais que tu ne comprenais pas le système des labels… (ndlr : Kiddy a crée son propre label pour One Trick Pony)
Je trouve que ça ressemblait à une hypothèque qui n’est pas très juste, puisqu’ils prennent quelque chose qui a une possibilité de prendre de la valeur contre un montant arrêté. Maintenant en plus les maisons de disques ne font plus du tout le travail de développement, avant c’était peut-être justifiable pour ça. Sauf que maintenant elles veulent déjà que tu te sois développé tout seul, et tu n’as pas de gens qui te guident. C’est très dur en France de trouver quelqu’un qui comprend ton projet, moi j’ai déjà mis beaucoup de temps tout seul.
Tu as travaillé avec beaucoup de très beaux noms pour la production : Boston Bun, Jean Tonique… Qu’est-ce que tu es allé chercher chez eux ?
Boston Bun c’est quelqu’un qui a une qualité de production incroyable. Je le suis depuis le début, j’adore ce qu’il fait. C’est un être humain exceptionnel qui comprend de quoi je veux parler quand je parle de house music queer et noire. On s’entend bien là-dessus. C’était l’occasion de l’inclure dans un projet puisqu’on partage ce même amour de la house music quand ça flirtait avec la pop. Jean Tonique a ce côté hyper funky, il m’a offert une super chanson « Moving on Now ». On a composé ensemble, et c’était une expérience qui me tétanisait un peu mais en deux jours on l’a fait. Ensuite, j’ai travaillé avec Crookers, plutôt à distance. Ce qui était incroyable c’est qu’il avait produit des choses pour quelqu’un que j’admire énormément qui est Roisin Murphy. Ce que je cherchais avec « Dickmatized » c’est quelque chose de très rough, de très club, un truc qui transpire, et il a rempli complètement la mission. Mais il fallait que j’aborde quelque chose de plus léger, tout en faisant référence à des classiques de bitchy house que je n’ai pas eu la chance de connaître à leur sortie.
Ce clip, c’est une représentation de la masculinité qu’on ne voit quasiment jamais. Tout comme le titre « Slap my but » qui est très explicite, c’est inédit cette expression du désir masculin en France. Comment en es-tu arrivé là ?
Ça s’est composé avec le temps. On n’a jamais fini de grandir, je pense que ça aurait été compliqué de faire ce clip là avant « Let A Bitch Know », avant de parler de l’homosexualité. Les choses se font graduellement, en fonction de mon acceptation de moi, de mon corps.
C’est quoi ces interludes, les titres 5 et 10 ?
Alors, il y a une introduction qui est faite par ma mother de ma house, Jack, la founding mother de la house Mizrahi qui existe depuis maintenant 27 ans. C’est quelqu’un que j’affectionne tout particulièrement, qui m’a prise sous son aile. Donc c’était important de l’avoir sur l’album avec cette femme, qui s’appelle Somaya Braxton, qui est de la house of Ebony et qui est vraiment la personne qui me guide dans la ball room scene new-yorkaise. Elles ont une conversation ensemble, et Jack lui dit « Tu devrais écouter les trucs de Kiddy ». Elle répond dans un mood très shady et très bitchy : « Mais tu parles de qui ? Ah le petit qui fait du voguing… » J’aime bien le son « vinylesque » de l’enregistrement, on ne comprend pas tout ce qu’elles disent.
Sur les deux autres, c’est une autre mother de ma house et qui était en prison quand j’y suis rentré. On a commencé à communiquer via lettres, et je lui envoyais de l’argent. C’est quelqu’un qui n’est pas très aimé dans notre communauté alors un jour quand elle est sortie, elle a fait un discours pour dire à tout le monde que notre communauté existe grâce aux transgenres, parce qu’elle a été l’une de celles qui a permis qu’il y ait des balls comme Harlem, à l’époque où ça déclenchait des manifestations, qu’il y ait des rassemblements homosexuels. Donc avant que les gens parlent d’elle, qu’ils se rappellent de l’histoire. C’est important car je trouve qu’il y a trop de parts d’histoire comme ça qui sont effacées. La scène ballroom est très importante pour moi donc je voulais garder ce témoignage de sa part.
L’autre c’est un interlude que j’ai fait avec des jeunes de la ballroom scene avec qui je traîne. Parce qu’ils sont cools, weety, intelligents, assez éveillés. On explique pourquoi on est des bad bitches sous la forme d’un chat, c’est ce qui accompagne la performance des danseurs sur la piste pour les exciter à se dépasser. Et à la fin on éclate de rire parce qu’on a tous raconté des conneries.
Qu’est-ce que tu vas chercher à New-York, qu’il n’y a pas à Paris ?
La première fois que j’y suis allé c’était pour un truc de danse en 2004. C’est pas un pays qui m’a tout de suite donné envie d’y retourner, j’y suis revenu essentiellement pour la danse. Maintenant quand j’y retourne c’est également pour des balls de voguing mais parce que j’ai envie d’avoir un statut international à l’intérieur de cette communauté et ça me demande à moi de participer à des balls d’envergure internationale aux Etats-Unis là où ça existe depuis longtemps et me confronter à ceux qui font partie de La Mecque du voguing.
Le collectif est très présent dans ton album, avec ces interludes et aussi les chœurs. C’est important pour toi de mettre en avant d’autres personnes ?
On ne peut pas faire tout, tout seul. Même si je voudrais avoir des capacités pour décupler ma voix pour faire un choir, je ne peux pas. Heureusement j’ai des amis qui chantent incroyablement bien qui sont des gens qui m’ont soutenu quand il a fallu assumer le fait que j’allais devenir un chanteur.
Je n’aurais pas réussi à faire cet album seul, sans l’amour des gens, et leur envie.
Release party dimanche 2 septembre avec un ball géant gratuit à L’Aérosol