Un an après les sonorités electronica de Ripples, le prometteur duo Jaffna est de retour avec Retrograde, un second EP qui affirme une direction plus synthwave. Fort d’une maîtrise technique grandissante, le binôme nous plonge avec ce cinq titres dans un univers aussi cinématographique que dansant. Textures et rythmiques se superposent savamment pour créer des atmosphères tantôt épiques, rêveuses ou nostalgiques. Orienté instrumental, le disque comprend toutefois deux featurings (avec Dyllan et Anna Majidson), ainsi qu’un titre chanté et du sampling vocal. Jeune projet à la maturité déjà remarquable, pas étonnant que Thylacine en personne l’ait accueilli sur son label, Intuitive Records.
Quand est-ce que vous avez commencé à travailler sur ce nouvel EP, et quelles étaient vos envies par rapport à l’opus précédent ?
Bravin : Ça fait presque un an qu’on a commencé, avec le morceau « Eleven ». On avait pas vraiment de direction, on voulait surtout expérimenter et trouver un son qui nous ressemble.
On est tombé par hasard sur des sons un peu rétro, et on s’est dit que c’était une touche qui nous plaisait bien.
Stan : Comme on est au début de l’aventure, on essaie de faire des choses assez différentes, c’est pour ça qu’à nos yeux le deuxième EP est quand même assez différent du premier. Surtout qu’entre temps on a acquis beaucoup de nouvelles compétences techniques en termes de production.
On a aussi effectivement été inspirés par toute cette vague rétro et les synthétiseurs. Les choses se sont faites assez naturellement, sans forcément de DA au départ. C’est ça qui est ressorti, c’est ce qu’on aime en ce moment, mais si ça se trouve le prochain EP sera très différent.
Comment vous avez travaillé dessus concrètement ?
Bravin : Dans notre home-studio à Paris, on travaille tout le temps là-bas. Comme c’est de la musique électronique avec beaucoup de synthèse on n’a pas besoin d’énormément d’espace ni de matériel. On utilise Ableton, des plugs-ins, quelques claviers, une MPD pour le rythme.
Stan : Il y aussi un morceau où on chante, et deux featurings. Dyllan est une chanteuse qui vit au Etats-Unis, donc on a travaillé à distance, et Ana est venue en studio, a écrit toutes les paroles et enregistré d’un coup.
Est-ce que vous avez développé une méthodologie de composition ?
Bravin : Ça dépend complètement. Pour moi comme je suis pianiste à la base c’est plus facile de commencer avec des accords et une mélodie par exemple.
Stan : Parfois ça peut venir simplement d’un son qui nous intéresse dans une banque, on travaille dessus, puis on commence à trouver une mélodie…
Bravin : Sur cet EP on a pu partir d’une mélodie, d’un rythme… comme sur le morceau avec Ana par exemple, qui est un peu plus trap, où c’est le rythme qui importe.
Un morceau intéressant en termes de composition pour moi c’était « Eleven », parce qu’on a démarré avec la voix de Stan, complètement improvisée.
À quoi ressemblent vos backgrounds respectifs dans la musique ?
Stan : Moi il n’y en a aucun. (rires)
J’ai commencé la musique avec Jaffna, je n’en faisais pas du tout avant, j’étais chef cuisinier. Quand j’ai rencontré Bravin, lui débutait sur Ableton, et avait déjà une formation classique depuis longtemps, on a commencé la production ensemble, et le projet est né, ça fait trois ans maintenant.
Bravin : Moi j’ai une suivi une formation classique de piano à Londres. En finissant mes études j’ai travaillé un peu dans la musique de pub, plutôt acoustique, mais j’utilisais déjà un peu Logic. J’ai découvert les musiques électroniques avec Stan, et on s’est mis à la production ensemble.
Stan : On a créé des passerelles entre nos deux mondes.
Comment s’est passée la signature sur Intuitive Records, le label de Thylacine ?
Stan : Très simplement en fait. Je bossais à La Bellevilloise il y a longtemps avec une personne proche de Thylacine. Quand on a commencé à faire écouter ce qu’on faisait autour de nous, on a eu plutôt de bons retours, donc je me suis dit pourquoi pas envoyer les sons à Thylacine histoire d’avoir son avis, un feedback. En fait il nous a dit direct moi j’adore les gars j’aimerais vous signer. Nous on a fait ben ok parfait, et du coup ça a démarré comme ça. C’est un label indépendant, il y a juste nous et lui, on a tous le même âge, on s’entend très bien, Thylacine nous a fait énormément de retours sur notre premier EP, il nous a aidé à progresser.
Est-ce que vous êtes plutôt attentifs à ce qui se passe dans la scène environnante ou plutôt dans votre bulle ?
Stan : On écoute énormément de musique, on essaie de suivre les sorties, pas forcément pour s’en inspirer, mais simplement parce qu’on est passionnés de musique avant tout. On écoute aussi bien du classique que du rap français, de l’électro, de la musique de film…
Bravin : On va voir pas mal de concerts aussi.
On s’envoie également beaucoup de morceaux dans une optique de travail, en se disant « Tiens j’ai repéré telle texture de synthé que j’aime bien, qu’est-ce que t’en penses ? »
Stan : Je ne m’attendais pas à ça en arrivant, la scène électronique française est énorme…
Il y a des différences notables pour toi Stan entre le contexte que tu connaissais à Londres et maintenant ici à Paris ?
Stan : Oui, bien sûr, personne ne me croit quand je dis que j’ai été émerveillé en quittant Londres et en arrivant ici. Il y a plein d’artistes, ça bouge beaucoup, il y a plein de concerts, c’est très accessible… c’est vraiment plus facile par rapport à Londres.
Bravin : À Londres c’est beaucoup plus dur de devenir artiste.
Stan : Là-bas c’est plutôt indie, ou bien rap ou hiphop, mais à Paris au niveau de l’électro c’est vraiment le top, il y a beaucoup d’artistes très talentueux.
L’état d’esprit est différent entre les deux villes ?
Stan : C’est plutôt sociétal je crois. Par exemple en France il existe le statut d’intermittent, tu peux espérer gagner ta vie décemment en tant que musicien. Et en début de carrière, tu es mieux payé ici qu’à Londres. Le nombre de fois là-bas où on m’a proposé de venir faire un concert de piano contre du thé et des gâteaux comme si c’était complètement normal… Comme il y a énormément de concurrence, il y aura toujours quelqu’un qui va dire oui pour la visibilité. Alors bien sûr ça arrive aussi à Paris, mais les choses sont quand même un peu plus encadrées, il y a plus d’aides aussi.
Bravin : Après il a une image idéaliste aussi parce qu’en arrivant il a tout de suite trouvé un taf, un label au premier envoi… les choses ont été faciles ! (rires) Parce que c’est pas si facile que ça, en France il y a aussi plein d’artistes qui galèrent.
Stan : Bien sûr, mais je trouve que le contexte est quand même plus motivant ici.
Jaffna est un projet qui existe également en live, à quoi ressemble votre show ?
Stan : Ça a pas mal changé depuis le début. Maintenant on a deux claviers, une MPD, un mixer Ds1, un launchpad. Là on prépare un live spécial pour le Marvellous, avec des versions plus techno que les originaux, et une certaine part d’improvisation.
Qu’est-ce que vous préférez et qu’est-ce qui vous donne le plus de mal dans votre activité de musiciens ?
Bravin : Le grand kif c’est quand même le live, surtout quand tu as l’opportunité de jouer dans des belles conditions.
Stan : Et la partie création aussi bien sûr. Après, la partie préparation du live ça peut être nettement plus fastidieux.
Bravin : Ce qui peut être angoissant c’est l’expectative juste avant la réception du public, par exemple là ça fait un an qu’on bosse sur ce nouvel opus, et on ne peut pas s’empêcher de se dire si ça se trouve les gens n’aimeront pas…
Stan : C’est un deuxième EP aussi, donc c’est un peu plus de pression. Il faut confirmer.
Bravin : En tout cas nous on a l’impression d’avoir fait un EP plus affirmé et plus technique en termes de production, après c’est vrai que c’est différent, donc à voir, mais nous on en est très fiers en tout cas, on est impatients de le faire découvrir.
Comment vous projetez l’évolution du projet dans un futur proche ?
Bravin : On aimerait faire de plus en plus de live, après tout dépend de comment va marcher cet EP aussi, mais on aimerait poursuivre sur un album. À plus court terme on avait un projet qui nous tenait à cœur c’était un clip sur le morceau « Beyond », et il sort là bientôt.
Comment vous travaillez sur l’aspect visuel du projet ?
Stan : Pour le clip on voulait essentiellement des belles couleurs et des belles images, on était moins préoccupés par l’aspect narratif. Comme c’est le début du projet, on préfère un clip qui ne prenne pas trop le pas sur la musique.
Brévin : On voulait des images qui mettent en valeur la musique plutôt que l’inverse.
Ensuite pour les visuels des deux EPs ils ont été fait par la même personne, on aime bien avoir un suivi graphique. En live on a pas testé de visuels parce qu’on est encore au début, mais on aimerait bien introduire ça dans le futur.
Mais la musique restera toujours clairement prioritaire par rapport à l’aspect visuel dans tous les cas.
Est-ce que vous prenez plaisir à vous occuper de l’aspect visuel et communication du projet où est-ce que vous trouvez ça plutôt pesant tout ce travail qui incombe maintenant aux musiciens pour espérer faire la différence ?
Brevin : Pour les réseaux sociaux, même si on sait très bien que pour avoir une communauté il faut les faire vivre, on poste quand on a vraiment une info particulière, on ne poste pas pour poster.
Stan : Après on voit autour de nous des artistes qui passent énormément de temps là-dessus effectivement, ça peut devenir très chronophage.
Brevin : Puis aujourd’hui tu te sens limite plus en place avec 25 000 personnes qui te suivent sur Instagram qu’avec 1 million d’écoutes, c’est n’importe quoi.
Et le côté formats, calendrier et délais normalisé par l’industrie, est-ce qu’il vous dérange ? Est-ce que vous cherchez d’autres terrains d’expérimentation plus spontanés en parallèle ?
Brevin : Pour l’instant on fait les choses étape par étape, mais ce qui pouvait être frustrant, même avec notre premier EP, c’est que ça a mis beaucoup de temps à sortir, du coup pour les lives qui ont suivi on en avait déjà un peu marre de jouer ces morceaux-là.
C’est pour ça maintenant on essaie de faire des versions vraiment différentes de nos morceaux entre le studio et la scène.
Au-delà de ça on préfère ne pas s’éparpiller, rester focus. Et puis en attendant les sorties, on continue de produire, on ne perd pas le rythme.