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Dwam Ipomée, à la croisée des corps

Dwam Ipomée, à la croisée des corps

Dwam Ipomée, Bishop - Blossom Boys

«L’identité masculine semble être construite en opposition : les hommes me citaient ce qu’ils ne doivent pas être, ne doivent pas faire, et en creusant, c’est surtout, « ne pas être une femme »…». Dwam Ipomée avait exposé une partie de sa série photo Blossom Boys lors du grand feu de joie que fut notre soirée l’Archipel à la Station – Gare des Mines le 21 septembre dernier. Nous avions déjà discuté avec Dwam à propos des nouvelles réglementations des censeurs sur Patreon, et cette artiste pluridisciplinaire ne se contente pas de se battre aux côtés des TDS. Rencontre.

Manifesto XXI : Depuis plusieurs années tu réunis une large communauté en ligne, notamment sur Instagram, que ce soit en ce qui concerne le tatouage, ton militantisme queer, ou tes activités dans le porn… Tu donnes l’impression d’une hyperactivité nébuleuse assez difficile à cerner. Comment te présenterais-tu ?

Dwam : Je suis une artiste pluridisciplinaire –parce que clairement je fais un milliard de trucs à la fois, et je suis queer : je m’identifie en tant que femme non-binaire, bisexuelle. Alors oui, je dis quand même que je suis une femme, même si j’aime pas ce terme-là. J’ai été assignée femme, élevée et traitée comme telle, avec toutes les merdes patriarcales qui en découlent. Il y a aussi une réalité physique, des problèmes médicaux et physiologiques spécifiques, je ne veux pas invisibiliser ces expériences-là, même si mon identité de genre est non-binaire. Dans les termes « femme non-binaire », il y a mon expérience, et mon genre.

Dwam Ipomée, Autoportrait
Dwam Ipomée, Autoportrait

Tu es donc à la fois photographe, tatoueuse, performeuse… sais-tu comment s’est formée ta personnalité artistique si éclectique ?

Alors j’ai fait des études d’arts appliqués, puis un master aux Beaux-Arts d’Angoulême, jamais achevé. J’ai bossé dans un studio de dessin-animé. A cette époque j’ai commencé à graviter un peu autour des Suicide Girls, un site de pin-ups alternatives – dont beaucoup sont tatouées, ou gravitent dans le milieu du tatouage. A l’époque où il n’y avait pas de réseaux sociaux, c’était un creuset de gens un peu cools et créatifs, le point commun n’était même pas tellement les filles nues mais une mentalité assez chouette. Moi, j’y suis allée clairement parce qu’un pote m’a dit que beaucoup des modèles étaient lesbiennes ! C’est grâce à ce réseau que j’ai rencontré mon tatoueur, et commencé à découvrir un peu d’autres styles de tattoo.

Dwam Ipomée, Tatouage
Dwam Ipomée, Tatouage »Tree »

Devenir tatoueuse était un choix calculé : je voulais pouvoir voyager, travailler en voyageant, gagner ma vie correctement, ne pas avoir de patron… Tatoueuse ça collait à tout ça. C’était déjà une époque où je voyageais beaucoup, grâce à Suicide Girls  notamment. Il y avait des modèles partout dans le monde, et c’est aussi comme ça que j’ai commencé à faire de la photo. A 26 ans, je suis revenue à Nantes, j’en avais marre de Suicide Girls et son hyper-sexualisation mensongère, j’avais enchaîné plein de ruptures, j’étais mal, j’avais besoin de passer à autre chose. A mon arrivée, je voulais me concentrer sur mon boulot de photographe, mais comme la vie ne se passe jamais comme on le veut, j’ai au contraire arrêté de faire de la photo, pendant presque deux ans.

Dwam Ipomée, Tatouages
Dwam Ipomée, Tatouages

J’ai commencé à mettre les pieds dans le porn indépendant en 2014, en bossant avec Four Chambers qui commençait à se mettre en place.

Quand tu joues dans un film porn, tu considères que c’est du travail du sexe ?

Question difficile, terrain glissant !

Il y a cette question de légitimité et de stigma à démêler. Performer du porn c’est une forme de travail du sexe, oui, mais dans mon cas, une forme assez confortable. J’ai longtemps eu du mal à me dire TDS parce que je ne me sentais pas légitime d’avoir ce label – j’ai très conscience de ma position de privilégiée. C’est un territoire que j’ai eu envie d’explorer, mais ne pas en dépendre financièrement me fait aborder le porn avec beaucoup de contrôle et de sécurité. Je réalise moi-même, ou je bosse avec des réals ou co-performers en qui j’ai toute confiance, je fais ce que moi j’ai envie de montrer, alors c’est facile de poser ses limites. Par contre le stigma est là et on n’y échappe pas, même si là encore je suis plutôt chanceuse. Pour l’instant.

Four Chambers, The Reverence
Four Chambers, The Reverence

Cela dit je déteste le concept de « travail-passion ». Même si dessiner c’est ma passion initiale, le tatouage c’est mon travail, et comme tout travail, les contraintes et la fatigue sont là. J’imagine qu’on peut dire la même chose du travail du sexe ? Qu’on apprécie ou non notre travail n’est pas la question, c’est toujours un travail.

C’est quoi le lien entre tous ces arts que tu pratiques ?

Je ne l’avais pas réalisé moi-même, mais on me l’a dit tout simplement : je travaille sur le corps. Le rapport au corps, les identités, les sexualités, le plaisir de l’incarnation. Dans tous les mediums en plus ! C’était tellement évident que je ne le voyais pas.

J’ai envie que les gens se sentent bien avec eux-mêmes et prennent du plaisir

Dwam Ipomée, Autoportrait
Dwam Ipomée, Autoportrait

Dans le tatouage, évidemment le rapport au corps ne tourne pas autour de la sexualité, mais il y a un aspect identitaire très fort. Les gens se tatouent à un moment précis, ça résonne avec un truc important chez eux (pas toujours consciemment) ; ça peut être une volonté de dépassement, ou au contraire, un moment pour prendre soin de soi et se faire plaisir.

On a pu découvrir ou redécouvrir une partie de ta série des Blossom Boys à la Station, pourquoi tu avais sélectionné ces photos-là ? On voit déjà des mecs partout, alors pourquoi ce projet ?

Parce qu’on pérore beaucoup sur la construction de la féminité, mais pour la masculinité, y a pas beaucoup de questionnements !

Dwam Ipomée, Drew, Blossom Boys
Dwam Ipomée, Drew, Blossom Boys

Comme toujours, j’ai voulu creuser des questions de genre. J’ai beaucoup travaillé pendant des années avec des personnes identifiées comme femmes ou non-binaires, on me disait « Mais t’aime pas les hommes » ? Ben non, désolée mais les hommes hétéros, ça m’intéresse pas du tout. Comme tu dis, ils sont déjà partout, merci bien.

J’avais fait un gros travail de photos et témoignages sur les tabous autour des règles, qui mettaient en lumière des stéréotypes autour de la féminité. J’ai voulu faire quelque chose autour de l’idée de masculinité, parce que la plupart des hommes autour de moi ne sont pas du tout dans ces stéréotypes toxiques, mais je vois peu de réflexions sur ces sujets.

Dwam Ipomée, D de Kabal, Blossom Boys
Dwam Ipomée, D de Kabal, Blossom Boys

J’ai commencé à photographier des mecs donc, et je me suis aperçue que je les photographiais avec les réflexes venus de l’esthétique Suicide Girls, des trucs intériorisés de regard masculin, hyper insidieux. Ça donnait toujours des résultats d’imagerie gay (ce n’est pas moi qui le dit), quelle que soit l’orientation des modèles; d’une part parce que ce sont mes goûts personnels, mais surtout parce que je les mettais dans des situations de clichés associés au féminin, et souvent très sexualisés.

Donc « féminin + sexualisé », sur un homme, ça fait gay, ok, on en est encore là en 2018…

Comment tes modèles définissent la masculinité ?

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Ce qui est ressorti, en premier, c’était l’idée de force. Honnêtement, ça me fait chier, mais c’est ce qui revenait le plus. Ensuite toute l’identité masculine semble être construite en opposition : les hommes me citaient ce qu’ils ne doivent pas être, ne doivent pas faire, et en creusant, c’est surtout, « ne pas être une femme »…

Je me suis dit, « Ok on va photographier tout ça alors ! » Tout ce qu’il ne faut pas faire. Je fais des images pas compliquées, en soi, mais je veux que ça pose cette question : qu’est-ce qu’il y a derrière ? Si en tant qu’homme tu n’as pas le droit de pleurer (exemple typique), c’est donc que tu ne dois pas montrer tes émotions; si tu ne montres pas tes émotions, si tu ne peux pas les nommer, les identifier, tu les refoules… et donc tout ça nourrit la colère. La seule émotion « autorisée » pour les hommes, semble-t-il. Il y aurait peut-être moins de problèmes de masculinité toxique si on apprenait aux hommes à gérer leurs émotions, au lieu de ce refoulement qui se termine en colère et violence.

Dwam Ipomée, Erwann, Blossom Boys
Dwam Ipomée, Erwann, Blossom Boys

Un autre exemple : pour un shooting photo, j’avais couvert le haut du visage de mon partenaire avec du khôl, qu’il n’a pas réussi à l’enlever complètement. Il était terrorisé à l’idée d’aller au boulot avec un peu de khôl sur les yeux. Parce que c’est un truc de meuf et par conséquent, c’est interdit. Mais qu’est-ce qui l’inquiétait réellement ? La peur d’être ridicule ? Jugé ? Ou de subir de l’homophobie plus ou moins violente ? Peur justifiée : quasiment tous mes potes gays qui se sont teint les cheveux/se maquillent ont été tabassés ou agressés un jour ou l’autre. La répression est réelle.

Alors j’adore ces mecs qui se la jouent « ouais moi j’ai vachement réfléchi au genre, je suis beaucoup plus cool et à l’aise là-dessus, pas de problème »… Oui, eh bien passe donc une semaine en jupe, et on en reparle !

Blossom Boys c’est du féminisme, c’est très simple, parce qu’on part tellement de rien niveau réflexion sur la masculinité… Il faut bien commencer quelque part, là on reprend le b.a.-ba. Tout le monde a tellement à déconstruire, et ça prend des décennies (des générations ?).

Pourquoi ce nom, Blossom Boys : « garçons en fleur » ?

Blossom c’est la floraison. Et boys, pas men. Ces garçons sont en train de s’épanouir vers autre chose, comme une mue de papillons. On parle toujours de jeunes filles en fleur, j’ai pris ce code, et je le retourne, ça m’amuse !

Et puis simplement j’adore photographier des gens dans les plantes.

Quels sont tes futurs projets ?

Je voudrais passer à une série sur les démonstrations d’affection, sur l’amitié, la tendresse, notamment entre hommes. Là encore, on n’en voit pas beaucoup. Je voudrais aussi faire un bouquin de mes travaux, évidemment autour de ça, le corps, le plaisir et la tendresse.

Dwam Ipomée, El Sky
Dwam Ipomée, Eli Sky

Par Azur Amour

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