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Corridor en ascension avec Junior

Corridor en ascension avec Junior

Plus de deux ans après la parution de Supermercado, l’album qui introduisit pour de bon Corridor à la France via une sortie sur Requiem Pour Un Twister, le quartet montréalais est de retour avec Junior, son troisième long jeu.

Depuis la formation de Corridor en 2013, le groupe s’est toujours laissé porter par les occasions et les hasards rencontrés le long du chemin. Un chemin pentu, en montée, progressif. L’avancée se fait tranquille et prudente, par étapes. Un EP auto-produit sort en 2014, suivi de deux longs-formats qui installent le son distinctif de Corridor, Le voyage éternel et Supermercado. Jusqu’à cette honorable consécration : une signature avec le prestigieux Sub Pop, maison historique des débuts de Nirvana, de The Shins, des Beach Boys, ou plus récemment de Weyes Blood et de Beach House. Le label accompagne Corridor sur son troisième album, Junior.

Ici, fini les récits épiques et les épopées médiévales qui constituaient le thème passionnant de l’album précédent. Junior est une célébration. Celle de Julian Perreault, guitariste de haute volée et élément fondamental des compositions du groupe, toutes papillonnantes d’effets de guitares. Sur Junior, tous les rôles semblent avoir trouvé leur place. Les guitares donc, toujours intensément présentes, répétitives et addictives, sont soutenues par une batterie tantôt mesurée (‘Bang’), tantôt haletante (‘Pow’, ‘Goldie’, ‘Domino’). Et au milieu, les voix de Dominic et Jonathan s’imposent un peu plus fort qu’auparavant, plus claires, se mêlant l’une à l’autre ou se répondant naturellement (‘Topographe’, ‘Agent Double’).

Junior était un véritable challenge pour Corridor. Arrivé chez Sub Pop avec quatre démos sous le bras, le groupe a dû donner le meilleur de lui-même pour composer l’album en quelques mois et tenir l’objectif d’une sortie à l’automne. Malgré l’urgence, rien n’est bâclé, et Corridor a produit ce qu’il sait faire de mieux : du Corridor. Et l’on peut dire que le défi est brillamment relevé. Moins lo-fi que son prédécesseur, le résultat est excellent et Junior sonne comme l’album le plus mâture de leurs productions : effervescent d’une pop mélodieuse et soignée, d’un rock vaporeux – presque psychédélique par moments – et de réminiscences d’un post-punk romantique.

Pour aller plus loin, rencontre avec la moitié de Corridor : Jonathan Robert et Dominic Berthiaume.

Corridor © Dominic Berthiaume


Manifesto XXI – Contrairement à Supermercado, pour lequel vous avez expliqué avoir maturé un processus de création plutôt long, Junior a été réalisé plus précipitamment. Est-ce que travailler dans l’urgence vous a rendu plus créatifs ? 

Jonathan : C’était comme un défi en soi, c’était quelque chose qu’on voulait faire depuis longtemps finalement. Les deux albums précédents ont pris un certain moment à réaliser. Supermercado par exemple, ça a mis dix mois depuis l’enregistrement jusqu’à la fin. Tandis qu’ici, on s’est lancés et on était comme dans une grosse bulle, on ne pouvait pas être plus à fond.

Dominic : Je sais pas si ça nous a rendu tant plus créatifs que ça, mais on ne s’est pas posé de questions. On a lancé des idées sans trop y réfléchir, en se rendant compte pendant le processus qu’on pouvait pas vraiment retourner en arrière. La seule chose qu’on pouvait vraiment faire, « contrôler » après coup, ce n’était qu’au rendu, au mix. C’est seulement là qu’on pouvait se dire : cette idée-là on la garde, celle ci on la lâche, etc. C’est le seul pouvoir décisionnel qu’on avait. On avait pas le droit de se dire qu’on allait essayer autre chose ou qu’on aller essayer différemment.

Jonathan : C’était quand même dangereux, mais en même temps juste avant d’enregistrer on avait seulement les quatre maquettes qu’on avait fait écouter à Sub Pop et un mois auparavant il a fallu terminer la composition, les textes… L’album s’est créé dans un temps record, ça a été assez intense.

Ce tri que vous avez dû faire à la fin, de devoir choisir rapidement de jeter ou garder des choses, ça ne vous a pas donné de regrets ?

Dominic : Personnellement, là on est en septembre, l’album est fini depuis le mois de mai, j’ai même pas encore eu le temps de me poser la question « est-ce qu’on aurait dû faire ci plutôt que ça ? ». J’ai pas encore eu le temps d’assimiler tout ça parce que c’est encore tellement chaud que peut-être qu’on s’en rendra compte après avoir joué les chansons en live, après que l’album soit sorti, après avoir lu des chroniques, ou whatever. Ce sera plus clair une fois qu’on aura un feedback général.

Jonathan : C’est extrêmement frustrant comme processus parce que t’as jamais vraiment de recul. Mais c’était cool d’essayer cette démarche là, de revoir le processus artistique à chaque enregistrement d’album, ça nous challenge nous aussi. et c’est intéressant parce qu’on n’aurait jamais eu ce résultat là avec un autre processus.

Dominic : Par exemple, la chanson « Pow » qui est l’avant dernière de l’album. Au début, on avait douze samples de Formule 1. Ensuite, on en a enlevé et il en restait quatre, puis moi je pense qu’on a pris la bonne décision de garder ces quatre-là, mais peut-être que dans un an je me dirai « ah mais Jo avait raison, on aurait dû garder les douze ». C’est ce genre de choix là qu’on a eu à faire.

Qu’est-ce que votre collaboration avec Sub Pop change pour vous ? Est-ce que cela vous a amenés vers une nouvelle façon de composer ou d’envisager votre musique ?

Dominic : Non, par rapport à la musique je pense pas que ça a changé quoi que ce soit. On les a approchés avec quatre démos, et de base ils nous ont dit qu’ils aimaient vraiment les quatre chansons. Nous on s’est juste dit qu’on allait juste faire notre truc, dans la continuité de ça. Ils nous ont rien demandé de spécifique, simplement de leur donner le meilleur album de Corridor possible par rapport à notre jugement à nous. Ils voulaient sortir l’album dont on est le plus fiers. Et au final, la deadline de rendu, c’est nous qui nous la sommes imposée parce qu’on voulait que l’album sorte cet automne. Et pour ça, il fallait tout rendre en mai.

Sur certaines chansons, on en parlait juste avant, vous avez intégré des samples de bruits de verre qui se cassent au sol, de Felix the Cat, de voiture de Formule 1… Cet album a t-il été le cadre d’expérimentations ?

Dominic : Oui, ça l’a été mais encore une fois c’était sans que ça soit prévu, ce n’était pas réfléchi.

Jonathan : En fait j’arrivais avec l’idée et eux n’avaient même pas eu le temps de me dire que c’était une idée nulle qu’on l’essayait.

Dominic : C’est ça, on s’est vraiment pas freinés, on avait quand même une dizaine de jours juste consacrés à ça, aux arrangements puis à d’autres trucs, des folleries. Dans le peu de temps qu’on avait au mixage. On a pas eu le temps de mûrir. Ça a été très expéditif. Mais on a brimé personne. C’est Jonathan qui a dit « Je veux des bruits de F1 », tout le monde se disait que c’était une idée de merde mais finalement on l’essayait quand même, on lui a dit de ramener ses bruits d’F1 puis qu’on en jugerait.

Jonathan : Je suis arrivé comme ça : « Eh les gars, j’ai mis un arpeggio de voix et un gros bruit d’aspirateur ! »

Vous avez un son de guitare très distinctif et reconnaissable, mais vous arrivez tout de même à apporter une certaine diversité dans vos chansons. Ça a été beaucoup de recherche de trouver le son Corridor, et le son de cet album ?

Jonathan : Je crois qu’on a des patterns dans lesquels on a toujours baigné, dans lesquels on est confortable mais on essaie naturellement d’aller voir ailleurs à chaque fois, pour éviter les répétitions de trucs qui ont déjà été faits.

Dominic : Y a beaucoup de répétitions dans nos chansons mais ça veut pas forcément dire que c’est quelque chose qu’on répète.

Jonathan : Je pense que la production est différente, on a droit à quelque chose de moins lo-fi qu’on a eu auparavant.

Dominic : Aussi il y a beaucoup plus de synthés… On est pas limités. Mais c’est ça qui devient de plus en plus difficile, justement, avec la composition. On veut rester nous mais en même temps on veut évoluer, on ne veut pas se répéter. Ça devient un peu contraignant d’un côté. Enfin, le fait de se dire qu’on va évoluer, ça nous met pas de contraintes mais en même temps tu veux gagner de nouveaux fans tout en gardant tes fans existants. Après je te dis ça mais on s’en fout, on fait de la musique puis tant que ça nous plait à nous quatre on est contents, après ça les fans on y pense vraiment après. Notre signature porte un peu tout ça au final, on se demande pas « ça fais-tu trop comme d’hab ? ». On se dit juste que c’est une bonne chanson.

Vous avez toujours donné de l’importance aux thèmes que vous abordez dans vos chansons, mais jusqu’alors c’était plutôt les guitares qui étaient mises en avant plus que les paroles. On dirait que pour la première fois dans Junior, les textes prennent plus de place. Avez-vous abordé l’écriture différemment ?

Jonathan : Ils sont peut-être un peu plus sans l’être trop. On nous a souvent dit ou même reproché qu’on comprend pas les voix. En même temps ça n’a jamais été trop le but premier de faire de la chanson à textes. Elles sont super importantes pour moi les paroles mais il faut que la musique transcende quelque chose aussi, d’abord et avant tout. Et qu’ensuite ce soit une couche que tu puisses découvrir par après. Je pense pas que quand t’écoutes du death metal ou de l’opéra ou du mumble rap ou du shoegaze pour la première fois tu peux comprendre quoi que ce soit.

Dominic : Dans notre cas, c’est un paquet de facteurs qui a fait que le rendu soit comme ça. C’est premièrement un choix de réalisation, c’est notre producteur qui nous a vendu l’idée de mettre les voix plus en avant, plus forte. Nous on est toujours partisan de mettre les voix moins fortes donc on a balancé comme ça les désirs de chacun.

Jonathan : Puis on n’est pas des grands chanteurs non plus, c’est pas ça qu’on veut mettre en avant. C’est de savoir c’est quoi ses forces, ses faiblesses, je dis pas que c’est une faiblesse de pas être un grand chanteur, mais ce qui est beau, ce qui est intéressant c’est le tout, cette espèce de soupe des éléments.

Dominic : Puis le troisième facteur, c’est que je pense qu’on a eu un peu plus de temps pour enregistrer les voix. Donc c’est sûr qu’on a eu plus de chances de faire des bonnes prises. Même si ça c’est fait très rapidement, on a quand même pris le temps de tout bien faire les choses. Mais c’est juste qu’on a jamais vraiment réfléchi concrètement à les mettre plus en avant. 

Parce qu’au final, oui, ça a pris dix mois de faire Supermercado mais en temps de studio on était moins dans le studio, c’était plus étalé. Junior c’est l’album qui a bénéficié le plus de jours en studio mais dans un plus court laps de temps.

Corridor © Dominic Berthiaume

Junior est le surnom que vous donnez à Julian Perreault, votre guitariste. Pourquoi lui avoir consacré une chanson et un album carrément ? Est-ce qu’il est comme le pilier du groupe ?

Jonathan : T’es la seule qui a réussi à trouver ça. On dit pas c’est qui à tout le monde ! Il est important, oui. Dans la chanson « Junior », les deux couplets racontent deux moments, deux histoires qui sont arrivées concernant Julian. C’est un peu la star du groupe, avec un talent supérieur. 

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Dominic : On le vante mais Junior c’est un peu les deux, c’est pas qu’on le rabaisse parfois mais, tu sais, on le taquine. Dans la chanson ce qui lui arrive c’est pas très joyeux mais le refrain c’est comme la glorification de Julian. 

Il contribue grandement au fait d’avoir une signature. C’est beaucoup de choses, je pense, la signature de Corridor j’imagine, mais pour moi les lignes de guitare de Julian c’est souvent ça qui vient comme faire que la chanson est cool. Tout le reste de la chanson est déjà cool mais quand il vient rajouter sa ligne, c’est… Vraiment très très bien. 

Jonathan : Ça a toujours été un des titres qui fait le nom de l’album, on avait pensé à plein de choses collectivement chacun de notre côté puis au final il n’y avait rien qui plaisait à tout le monde et Junior c’était en fait une évidence parce qu’il a cette place-là dans le groupe.

Jonathan : Les chansons parlent de trucs quand même assez immédiats et proches de nous, qui nous entourent. C’est la première fois qu’on n’est pas allés avec une ligne directrice et conceptuelle. Donc qu’est-ce qui était plus près de nous que notre guitariste ? Puis en même temps c’est ça, c’est un album assez naïf et… expresso là. C’est pour ça le petit œuf sur la pochette. Ça s’est pondu vite. Et Coco c’est le petit nom qu’on se donne au groupe en interne. 

Dominic : Les Cocos. Les Cocorridor.

Quand ils parlent de vous, les médias américains ou anglais précisent à chaque fois que vos paroles sont chantées en français, et vous êtes désormais le premier groupe francophone de Sub Pop. Est-ce que vous pensez que finalement, chanter en français vous a démarqué de cette scène à laquelle vous appartenez ?

Dominic : Je pense que oui. On fait de la musique qui ressemble à plein d’autres groupes, enfin qui appartient à un même créneau de musique ou whatever. Mais nous on est celui qui chante en français. Je pense que ça joue en faveur et en défaveur en même temps parce que y a des gens qui vont se dire « Francophone : ish! », ils vont même pas écouter ils vont juste lire le mot « francophone » et se dire « ah non moi je préfère quand c’est en anglais ».

Jonathan : Mais pourtant c’est ça quand on est allés tourner aux USA, c’est pratiquement la dernière chose qu’ils nous mentionnent, y a des fans c’est cool. J’ose espérer qu’il y a quelque chose au-delà de la langue.

Dominic : Mais c’est sûr que c’est un genre de bonus d’avoir ça. Je suis quand même à l’aise avec cette étiquette là.

Jonathan : Après, c’est pas un genre musical non plus de chanter en français.

Dominic : Oui c’est pas non plus ce qui nous définit.

Vous jouez tous les deux ensemble depuis l’âge de 14 ans. Dans le groupe, certains prennent part aussi à Jonathan Personne, et c’est également toi Jonathan qui réalise votre univers visuel (pochettes, clips). Vous fonctionnez un peu comme un collectif finalement.

Dominic : Je dirais pas qu’on est comme un collectif, comme par exemple Crack Cloud. Eux, ils font sensiblement la même chose que nous, ils font leurs propres artworks, leurs propres clips, ils design leur propre merch comme on fait aussi. 

Jonathan : C’est des trucs qui ont été fait parce qu’on évoluait en jouant dans des groupes punk, DIY, on a toujours appris à être un peu indé et se charger nous-mêmes de répondre aux mails, etc. 

Dominic : On est jamais mieux servis que par soi-même comme on dit. Ça a toujours été notre cas. Plutôt que de prendre telle personne qui va faire un visuel, puis lui dire soit quoi faire, soit à la fin du processus lui dire que finalement on n’aime pas ce qu’elle a fait. C’est comme travailler dans le vide, ça créé des déceptions. On s’est dit qu’on allait faire les choses nous-mêmes, on ne voulait pas impliquer d’autres personnes particulièrement.

Jonathan : Et je pense que l’image du groupe est bonifiée de cette façon-là, et qui mieux que nous pour mettre en valeur ce qu’on veut représenter. 

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