Contemporaines, pour que la parité soit le genre de l’art

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« Créer des vocations, oui, c’est aussi le but, en montrant que ce n’est pas inaccessible. » Bien avant le grand tumulte de la FIAC, quand Paris était encore ramollie par l’été, la commissaire d’exposition Anne Bourrassé nous a énuméré les objectifs de Contemporaines, association dédiée à la promotion des femmes artistes qu’elle a cofondée.

Lancée symboliquement le 8 mars 2019, Contemporaines affiche la ferme intention de faire progresser la parité dans le monde de l’art, grâce à un programme de soutien ambitieux. Car, paradoxe inquiétant, et c’était le point de départ de notre enquête sur le sujet, les femmes représentent plus de la moitié des diplômées d’écoles d’art depuis le début des années 2000 mais sont encore largement sous-représentées dans les espaces dédiés à la jeune création et peinent donc à accéder à la reconnaissance. Auto-éviction, entre-soi masculin archaïque, pression sociale… les obstacles aux carrières féminines sont multiples. Qu’à cela ne tienne, les bénévoles de Contemporaines planchent sur plusieurs solutions pour faire émerger une génération de talent.


Prise de conscience

Vouloir agir en faveur de la parité dans n’importe quel champ de la culture implique de remettre en question le fonctionnement de chaque rouage de ce milieu. À la prise de conscience féministe personnelle s’est ajouté pour Anne la prise de conscience des enjeux professionnels :

Je m’interrogeais de plus en plus sur la place des artistes femmes dans la société. Parce qu’en tant que commissaire d’exposition, curatrice, tu dois en permanence faire des choix sur les artistes que tu présentes, et pourquoi.

Ces réflexions touchent aussi Sonia Ye, journaliste reporter d’image qu’Anne a rencontrée en travaillant pour une galerie. Une première occasion de mettre leurs convictions en pratique se présente à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes : la DJ Piu Piu, résidente de Rinse France, leur donne carte blanche pour organiser une première expo pour Converse, sponsor de la journée. Galvanisées par l’expérience, Anne et Sonia lancent la procédure administrative pour créer l’association.

L’annonce de la création de l’association rencontre rapidement un écho favorable et, agréable surprise, les candidatures pour le bureau abondent. « On a passé 4 jours à recevoir les gens dans un café pour des entretiens » se souvient la jeune commissaire en souriant. « C’était un peu étrange de demander à tant de gens ce qu’ils veulent faire et comment. »

En quatre mois, Anne et Sonia recrutent 25 bénévoles, des profils de jeunes professionnel·le·s assez diversifié·e·s : commissaires d’expo, consultant·e·s, communicant·e·s, journalistes… « Ça rentre tout pile dans la salle de réunion » souligne la fondatrice de l’association avec une pointe de fierté. Contemporaines s’organise en trois pôles maintenant solidement constitués : événements, mentorat, médias ; plus une équipe de com et une équipe de mécénat et business pour assurer le développement de l’ensemble. L’esprit de gestion de projet, que l’on retrouve plus souvent dans des structures entrepreneuriales qu’associatives, est assumé. Chaque pôle est vu comme un projet délégué où chacun est responsable d’une mission précise.

Si Contemporaines se définit comme une association féministe, ses fondatrices se prononcent pour une approche généraliste : « Avec Sonia on part du principe qu’il y a autant d’hommes et de femmes que de manières d’être féministes. L’idée ce n’est pas de dire que Contemporaines est la meilleure asso féministe, non. Ça veut dire que nous aussi on va contribuer à ce combat global sur la place des femmes. » La place serait d’ailleurs laissée en interne à la discussion et à la pluralité des points de vue : « On le fait pour les artistes. Chacun·e a un lien avec ce combat, c’est très fédérateur. »

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Visibilité pour toutes

Contemporaines mise sur la création de son média pour assurer la promotion des artistes. Sur Instagram, l’association se distingue par des vidéos-portraits d’artistes efficaces et une identité visuelle bien affirmée, imaginée par la designer graphique Ariane Delahaye. Cette partie média, plus régulière que l’organisation d’expositions, est un pari sur le pouvoir du réseau de référence de la culture et permet d’étendre les possibilités de médiations au-delà du cadre des galeries : « Le but en créant le média et les événements c’est que le public ait plus facilement accès à ces artistes, et qu’il y ait un contact plus direct. Que ça les inspire, et que ça aide les professionnel·le·s à construire leur programmation. La réflexion récurrente c’est : « Je ne connais pas d’artiste femme, je n’en ai pas dans mon réseau. » Mais ce n’est qu’une question de temps, ces gens doivent aller dans leur deuxième cercle et c’est ce qu’on aide à faire. »

Pourtant, faire tenir artistes, œuvres et pitch de présentation dans les exigences d’un format ultra condensé de l’époque n’est pas simple : « La grosse problématique, à laquelle Sonia s’est confrontée, c’est que déjà il faut pouvoir montrer et expliquer l’art contemporain. Aujourd’hui, c’est un domaine qui a des codes assez complexes, intimidants, donc il faut pouvoir enlever les barrières de l’art contemporain pour faciliter l’accès aux artistes femmes. » La ligne éditoriale de la curation s’affirme éclectique :

Notre objectif c’est d’être le plus diversifié·e·s possible. Ce n’est pas de défendre un style.

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Cette diversité correspond aussi à une évolution des pratiques artistiques selon Anne Bourrassé : « Aujourd’hui les artistes ne se définissent plus par un médium mais par plusieurs. » Le souci de représentation a aussi amené l’équipe à se demander qui sont les femmes artistes aujourd’hui, quelle est la diversité de leurs profils et de leurs parcours : « Il y des inégalités qui ne dépendent pas que du genre, mais aussi des inégalités raciales par exemple, et aujourd’hui il faut vraiment représenter toutes les artistes femmes » poursuit-elle.

De même que les artistes et la vie culturelle ne sont pas uniquement concentrées sur Paris, l’action médiatique de Contemporaines permet de dépasser le biais du parisianisme. La production du média est progressivement déléguée aux bénévoles du pôle référent, et les volontés se manifestent en région, et en Suisse.

Tout comme la production de contenus est petit à petit déléguée et décentralisée, le commissariat d’exposition pourrait suivre le même chemin. Au mois de juin, Contemporaines présentait sa deuxième exposition à Paris, Room 237, une réflexion sur l’espace domestique : chaque œuvre permettait de reconstituer symboliquement un objet d’une pièce à vivre. « Si quelqu’un d’extérieur à l’asso veut faire une expo d’artistes femmes et être labellisé Contemporaines, ce sera possible » imagine Anne. En faisant le point sur cette deuxième manifestation, elle poursuit, satisfaite : « Ça ne paraît rien mais c’est important pour moi : des œuvres ont été vendues », et 10% de ces ventes sont revenues à l’association.

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Accompagner des carrières

Donner à voir une diversité de milieux sociaux, de pratiques, d’ancrages géographiques permet dans un mouvement plus large de rafraîchir la définition de ce qu’être artiste veut dire… et peut-être par là démocratiser encore un peu l’audace de la création.

Anne Bourrassé a étudié aux Arts Décoratifs, le sexisme du monde de l’art était alors un non-sujet. Pourtant, aux promos quasi exclusivement féminines, seuls des hommes enseignent : « On entendait des rumeurs, il y a toujours eu des histoires louches » se souvient-elle. Mais pire encore, les jeunes artistes ne sont pas préparées à s’accrocher pour faire carrière : « Quand on venait de sortir, c’est là qu’au fur et à mesure, en travaillant avec des amies, en les aidant, je me suis rendu compte qu’elles devaient résoudre des sujets de déterminisme. » 

En 2008, une enquête des chercheurs Magali Danner et Gilles Galodé mettait en évidence la plus forte proportion des femmes diplômées en école d’art à opter, moins de deux ans après leur diplôme, pour un emploi salarié. Un « choix » de stabilité qui révèle plutôt des difficultés à composer avec l’instabilité des carrières artistiques.

Pour y pallier, les membres de Contemporaines ont imaginé en partenariat avec l’agence bildung une formation de trois jours pour couvrir les sujets élémentaires de droit, communication et fiscalité. Une mesure salutaire mais, le besoin d’un suivi plus régulier s’est également exprimé dès l’annonce de la création de l’association. Aussi, Contemporaines prévoit la mise en place d’un programme de mentorat. Une enquête a été lancée afin de renforcer le dispositif imaginé. Pour bénéficier de ces accompagnements, les artistes devront encore attendre l’ouverture des adhésions, début 2020.

Si l’aide extérieure est bien attendue par des jeunes artistes, la fondatrice de Contemporaines aimerait pousser l’idée d’un cran encore et mettre en place un système de marrainage entre artistes émergentes et établies. Selon elle, « il y a un vrai manque de solidarité, entre les femmes, et inter-générationnelle ».

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L’association vient de recevoir une bourse de 4000€ décernée par le cabinet de conseil Accenture. Un bon coup de pouce qui devrait être mis à profit pour se développer selon les lignes fixées : d’ici six mois, Contemporaines aimerait compter une équipe à Marseille et atteindre une échelle européenne (avec peut-être une antenne à Bruxelles, qui sait ?) pour suivre au mieux les parcours souvent internationaux des artistes.

Voilà, très vite je pense qu’on aura besoin de salarié·e·s pour l’asso. Et l’objectif à long terme, c’est de dissoudre l’association quand on aura atteint la parité. 



Image à la une :  Alexia Chenal

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