Fin mars, Chams sortait L’âme agit sur son label Abîme. Un disque à la sincérité lyrique accompagnée de productions brutes tirant sur l’industriel et l’expérimental. Nous avons rencontré Chams (virtuellement, confinement oblige) afin d’en savoir plus sur ce cri de l’âme.
À travers les quelques titres de son album, Chams alterne règlements de comptes violemment francs et espoirs du futur. Foudroyant, L’âme agit prend la forme d’un exutoire menant l’artiste à une rédemption. Le 23 mars dernier, la plateforme 4:3 de Boiler Room partageait son clip de « Un temps pour elle », dans lequel on retrouve un groupe d’amis passant le temps dans la nature en quête de sens. Vêtus d’habits intemporels, ils cherchent en vain un but à leur existence, entre soutien mutuel et duels. Incompréhension agrémentée de prods tirant sur l’industriel, le mélange a fini par si bien s’exporter à l’international que de multiples critiques élogieuses lui ont été accordées sur des blogs anglophones. Chams nous parle ici de son approche de la sérénité et de la recherche de plénitude en déversant un tout plein d’émotions.
Manifesto XXI – Hello Chams, pourrais-tu te présenter en quelques mots ?
Chams : Je crois que mon album me présente mieux que je ne le ferais, mais je m’appelle Romain et j’habite à Paris. On a lancé notre label Abîme (qui signe également Flagalova) avec mon pote Ytem il y a deux ans et demi maintenant, et on sort nos musiques dessus ainsi que celle de nos proches.
L’âme agit est un album plein de contrastes. La violence libératrice de tes paroles s’oppose à tes productions au synthé plus sereines. Tu pourrais nous expliquer les fondements de cet album ?
Parmi les raisons qui m’ont poussé à faire cet album, la plus importante c’est la peur je crois. Je flippais de poser ma voix pour de vrai sur ma musique, de déballer des trucs que je pensais vraiment, et de faire un album entier. Donc je l’ai fait. Après sur la musique en elle-même, j’ai toujours essayé de réunir des contradictions entre elles, pour créer un truc cohérent avec des éléments qui sont antinomiques, opposés. Du coup ces contrastes se retrouvent dans les morceaux, dans leurs titres, dans la manière dont ils sont agencés entre eux, etc. C’est ce qui m’intéresse le plus, réconcilier les contraires.
L’album est teinté de sincérité justement au niveau des émotions, tu alternes entre douceur, espoir et amertume. Penses-tu que les sentiments perçus comme négatifs par la société sont mis de côté par les musiciens afin de trouver une plus vaste audience ?
Oui c’est sûr. Chacun se situe différemment par rapport à ce qu’il espère trouver en retour de ce qu’il crée. Il faut avoir une certaine confiance pour s’éloigner du calibre « contenu aseptisé qui plaît au plus grand monde », parce que cela demande plus de travail, et la reconnaissance sur la valeur de ce qu’on fait est beaucoup moins instantanée. Le but selon moi c’est d’arriver à allier les deux, exprimer son unicité tout en trouvant le moyen d’être compris dans sa démarche. L’un sans l’autre, cela n’a pas de sens, ce serait être un ermite ou une pop-star en plastique.
Cette introspection mènerait ensuite à l’acceptation de l’écoulement du temps en tant que force absolue, à la fois destructrice et salvatrice. Concernant la « punition suprême » comme tu l’appelles, il est clair que tout ce que je fais est en lien assez direct avec elle, c’est un peu ma muse.
Chams
Dans le clip de « Un temps pour elle », tu explores le conflit entre l’homme et la nature. Il semble que tu évoques souvent aussi la punition suprême, qu’elle soit individuelle ou générale. Quelles sont tes pensées sur la situation actuelle ?
Je n’ai pas vraiment d’opinion à donner sur la situation actuelle. Concernant le clip qu’on a fait, on a voulu créer une symbolique autour de l’idée de fin du monde, où chacun se retrouverait face à lui-même. Cette introspection mènerait ensuite à l’acceptation de l’écoulement du temps en tant que force absolue, à la fois destructrice et salvatrice. Concernant la « punition suprême » comme tu l’appelles, il est clair que tout ce que je fais est en lien assez direct avec elle, c’est un peu ma muse. Mon premier EP s’appelle Lettre d’Amort donc je crois que c’est assez éloquent sur la relation que j’ai avec elle.
Il y aussi un petit moment d’angoisse où vous vous livrez, sûrement énervés, à quelques bousculades. Comment fais-tu face à ce confinement, et quels sont tes gestes pour épauler tes proches ?
Honnêtement je suis quand même pas mal habitué à être « confiné » donc ça ne me dérange pas plus que ça pour l’instant. Il ne faudrait pas que ça dure trop non plus. Sur la scène d’embrouille, on se disait que dans une situation critique, on passe rapidement par plusieurs stades émotionnels. Donc avant d’accepter la fin du monde, il nous semblait assez normal qu’il puisse y avoir des frictions, à la fois internes aux personnages et entre eux. Ce sont des étapes qui mènent à la résignation je pense.
Le titre éponyme de l’album, « L’âme agit », est également une chanson qui parle du besoin d’affranchissement et de plénitude à travers la sonorité. Est-ce que c’est quelque chose qui te parle ?
Oui c’est bien ce genre de sentiment que j’ai recherché en faisant ce morceau. Il représente l’accès à l’absolu, ou à la plénitude comme tu dis, qui ne peut se passer qu’en dernière instance. Dès lors qu’il y a du mouvement il y a perturbation, et comme le mouvement définit notre réalité, la plénitude est impossible à atteindre ici-bas. Elle n’arriverait alors qu’après l’existence organique. Ce morceau illustre le moment crucial du passage de notre monde à l’au-delà, l’acte de mort, qui selon moi doit être l’apogée de l’existence.
Il y a plusieurs étapes dans ton album qui semblent être le reflet de son évolution en pleine réflexion. Par moments, tu sembles exprimer ta rage du plus profond de toi-même, puis tu passes à des exclamations plus douces et poétiques. Un album doit-il forcément suivre une même lignée expressive ?
Je ne parle pas pour les autres, mais si je devais faire un album évoquant la même émotion tout le long, je m’ennuierais assez vite et je ne le finirais pas. Je me retrouve plus quand je fais des morceaux qui retranscrivent une certaine intensité, avec des rebondissements, plutôt que de rester sur la même ligne tranquille. Cela reflète sûrement la manière dont j’envisage la vie, je préfère quand c’est agité.
En parlant d’intensité et de rage, j’ai découvert ton album via un blog anglophone. Boiler Room s’est fait le relais de ton visu pour L’âme agit. Les médias francophones semblent plus distants de ton travail pour l’instant. Quelles en sont les raisons selon toi ?
Je pense que pour les médias non spécialisés, c’est plus compliqué de parler d’un artiste qui fait des morceaux qui mettent au défi l’auditeur et qui diffèrent des standards habituels. Surtout, la scène dans laquelle on évolue est assez jeune, et honnêtement en France elle ne résonne pas encore beaucoup. Mais ça marche assez bien à l’international donc ça devrait arriver à nos portes un jour.
Je retrouve pas mal de Die Antwoord, Celestial Trax, du Gaika, beaucoup d’artistes qui mixent indus et IDM à des propos ou ambiances relevant plutôt du divin. Quelles sont tes inspirations ?
Oui Gaika j’aime beaucoup. Il y a des artistes que j’aime écouter mais ce ne sont pas des inspirations, je suis beaucoup plus influencé dans mes choix créatifs par mes proches que par n’importe quel musicien. Pour le reste, j’utilise mon vécu comme matière première que j’essaie de mettre en forme pour arriver à me faire comprendre.
Image en une : ©Ytem