La rentrée littéraire de janvier a amené avec elle le dernier Olivier Adam. Si beaucoup le connaissent surtout pour « Je vais bien, ne t’en fais pas », son dernier roman « La renverse » s’inscrit dans un tout autre registre. « La renverse » c’est l’histoire d’un petit libraire de province, Antoine, obligé de se confronter à un passé qui ne passe pas le jour où il apprend la mort d’un homme politique, anciennement mêlé à une affaire d’agressions sexuelles quelques années auparavant. Le problème c’est que la maîtresse de cet homme politique était aussi impliquée dans cette histoire, et celle-ci n’est autre que la mère d’Antoine…
À cette occasion, nous avons rencontré Olivier Adam, pour discuter des traumatismes d’enfance, de comment Bourdieu se mêle de nos histoires intimes et de ces villes qui poussent entre les champs de betteraves.
Manifesto XXI- Une phrase de Goethe me reste en tête quand je lis vos romans « Pour devenir adulte, il faut pardonner à ses parents ». Êtes-vous d’accord ? Peut-on vraiment tout pardonner à ses parents ?
Je ne suis pas sûr qu’on devienne adulte. Je n’ai pas l’impression de connaître beaucoup d’adultes. Peut-être parce que dans mon entourage il y a beaucoup de comédiens, d’artistes, et qu’on n’est pas ratiboisés par la norme et par le quotidien.
Moi, ce qui m’intéresse c’est le commun. Je constate que ce qui nous blesse c’est le sociologique et je suis frappé de voir l’importance de l’enfance : comment des gens qui ont réussi professionnellement, réussi leur vies restent scotchés à des épisodes, à la relation avec leurs parents, avec leurs frères et sœurs. J’interroge ça sans dire qu’il est bien d’affronter ou de fuir, je tente d’en faire le tour. Ce qui m’intéresse c’est la constitution des casseroles et ce qu’on en fait. La renverse c’est ça, assumer sa fuite.
Vu les discours dont on nous inonde actuellement avec toutes ces questions d’identités, je voulais faire l’éloge de la réinvention, d’une délivrance du territoire, de l’identité et pourquoi pas des parents aussi.
Manifesto XXI- Comment éduquer ses propres enfants avec ses casseroles justement ? Comment cela vous atteint vous-même dans votre vie de famille ?
Le problème quand on est écrivain, qu’on vit la littérature, c’est qu’on devient « sur-conscient » de choses dont nos parents n’étaient pas conscients. Il y a des choses que les enfants sentent, et on se demande qu’est-ce qu’on leur en laissera ? Oui parfois, je me demande comment mes enfants perçoivent mon instabilité émotionnelle, mais je sais que je suis tendre avec eux. Et puis bon, on souffre rarement du « trop d’amour ». Je pense qu’il y a une vraie « sur-conscientisation » du fait du développement de la psychologie de bazar, de la manipulation des sciences sociales. Le romancier est un généraliste mais il est là pour délivrer, essayer de rectifier. Souchon, essayer de raconter à son échelle.
Pour moi, il y a deux idées principales : pour parler de la société française, il faut parler de son cœur, et pas que de la bourgeoisie. Puis, il faut écrire à hauteur d’homme c’est-à-dire être empathique, sans être dégoulinant de compassion ni de mépris à la Houellebecq qui vous écrit d’en haut à vous pauvres gens…
Manifesto XXI- Une question par rapport à « La renverse », vous avez dit que vous vouliez dépeindre l’aspect macho en politique. Vous êtes féministe Olivier Adam ?
Si on entend par féministe traquer la domination masculine partout où elle se niche, alors oui. Je suis heurté tous les jours par les violences faites aux femmes, par les écarts de traitement. J’ai peu de goût pour les manifestations viriles.
D’ailleurs dans le livre (ndlr : « La renverse »), l’agression sexuelle est une sorte de sommet. C’est une domination masculine, culturelle, identitaire… Mais la domination se reproduit dans la famille. Les mauvais parents ont le chic pour faire penser qu’on est des mauvais fils, des mauvais enfants. Tous les dominants ont d’ailleurs cette capacité à faire culpabiliser : si tu es pauvre, c’est que tu n’as pas travaillé assez dur, etc.… Ça renvoie à tout cet impensé social du « quand on veut on peut », donc c’est forcément un peu de notre faute ce qui nous arrive…
Manifesto XXI- C’est drôle c’est exactement ce qu’Édouard Louis disait hier, il parlait de cette domination perpétuée et des critiques que Simone de Beauvoir essuyait au début de sa carrière…
Ah mais Édouard Louis, je suis un bourdieusien de Prisunic à coté de lui ! Ah mais au début c’était difficile. « Je vais bien ne t’en fais pas » a été refusé par Gallimard : ils le trouvaient trop cliché et dogmatique… Il faut se souvenir qu’Annie Ernaud à l’époque était doublement décriée, et pour ce qu’elle écrivait et parce que c’était une femme. En littérature française on a pendant longtemps privilégié le style, l’écriture sur l’histoire et le vécu… Faire rentrer des données sociologiques dans une démarche intime comme nous essayons tous les trois de faire, c’était complètement mal vu.
Manifesto XXI- Plus précisément, ma question par rapport à l’œuvre d’Édouard Louis c’est est-ce que vous partagez ce parti pris de valoriser la langue populaire comme il le fait? Quelle place donner ?
Je ne crois pas au résultat sur le long terme, ça paraît toujours sonner un peu faux, comme les films sur les banlieues. La justesse ne se joue pas dans ce langage. Ça se joue par la phrase, comment on rend une texture, si vous voulez l’écriture c’est un sismographe des états intérieurs. Je trouve que le livre à dispositif n’est pas intéressant… Pour reconstituer un langage, il faut vraiment être « dans le jus », l’avoir connu de près comme c’est le cas d’Édouard Louis. Pour moi, l’écriture ne se joue pas dans la reconstitution d’un langage mais dans celui d’un rapport au monde. Quand un écrivain me dit « Je travaille la langue… », j’ai surtout plus envie de me marrer qu’autre chose.
Manifesto XXI- On vous décrit souvent comme « l’écrivain du peuple », vous vous reconnaissez là-dedans ?
Dans cet énoncé, il faut comprendre qui parle. Vu de Saint-Germain-des-Prés, vous êtes le peuple si vous faites vos courses au supermarché, si vous partez en vacances avec une location Pierre Vacances, si vous allez acheter des fringues à vos enfants chez Kiabi, Bonobo ou H&M ou je ne sais quoi… c’est un peu sordide mais c’est ça. J’ai mis en scène toute une série de personnages. Je dirais que mon spectre va des classes populaires jusqu’aux petites classes moyennes. Par négation, on est vite un écrivain du peuple en France. On est vite « social » en France, parce qu’on parle de supermarchés par exemple. L’hiver dernier par exemple, il y avait un sondage qui montrait que les gens avaient l’intention de moins se chauffer. Ça dit quelque chose sur la société française… C’est un des énormes problèmes en littérature, et je me nourris de cette incapacité.
Par rapport aux copains des cités j’étais un bourgeois parce que j’habitais dans un pavillon. Bon, ma mère ne travaillait pas, mon père était employé de banque, c’est un autodidacte… Arrivé à Dauphine, j’ai pris conscience qu’on est toujours le pauvre d’un autre. J’ai compris comment ça marchait, qu’il y avait papa-maman, les vacances à Courchevel… Et la distance était énorme quand je disais que je rentrais à Juvisy le soir.
Alors oui, je suis le romancier du majoritaire à partir de ce constat d’une sous-représentation. Personne ne représente cette majorité en politique et en littérature, on lui laisse des Patrick Sébastien et Cyril Hanouna… Pourtant la banlieue est un terrain d’exploration parfait, c’est autant Versailles que Clichy.
Manifesto XXI- D’où le choix de ne pas nommer la ville « M » autour de laquelle est construite « La renverse » ?
Je n’ai pas de fidélité particulière au lieu. « M » c’est un mélange d’endroit comme c’était déjà le cas pour la ville d’origine du narrateur dans « Les Lisières » (ndlr : sorti en 2012). En ce moment, on voit des villes nouvelles pousser partout : par exemple rien qu’en faisant la route entre Saint-Malo et Rennes, il y a plein de lotissements qui apparaissent comme ça entre deux champs de betteraves. C’est d’autant plus de territoires complètement indifférenciés mais où vit de plus en plus de monde.
Manifesto XXI- Dans la représentation de certaines tranches de population, est-ce que vous avez l’impression que les personnes décrites se retrouvent ? Vous avez quelles réactions de votre lectorat la plupart du temps ? Parce que pour revenir sur Édouard Louis, chez lui au contraire les personnages décrits dans Eddy Bellegueule ne se retrouvent pas…
Édouard Louis prononce un rejet tout à fait compréhensible au vu de ce qu’il a vécu, et il exprime sa gratitude envers cette bourgeoisie intellectuelle qui l’a sauvé. Moi je n’ai jamais remercié la bourgeoise intellectuelle, j’ai une position d’observateur de tous les milieux. Évidement, on va me dire que je vis à Montmartre, que je suis un bobo…
Mais de fait, j’ai un lectorat particulier à la fois littéraire et aussi beaucoup de gens qui bossent dans des hôpitaux, des assistantes sociales… Des strates de populations qui sont engagées. Je rencontre mes lecteurs.
Et puis, ceci dit faut pas oublier qu’il y a toute une partie de la France qui ne lit pas, alors ces lecteurs vont peut-être commencer par Marc Levy et passer par plein d’autres avant d’arriver peut-être jusqu’à moi… Mais les gens ont de la reconnaissance pour ce que j’écris. Mais en même temps, je décris la violence de l’ennui pavillonnaire, ce que certains qui y vivent n’ont pas forcément apprécié. Cela dit, j’ai aussi critiqué violemment le milieu littéraire dans « Les Lisières », ce qui n’a pas été toujours bien reçu non plus par les intéressés.
Mon boulot est reconnu, mais c’est pas un site d’information pour les gens qui vivent dans le 7e. Je me suis beaucoup posé cette question au moment de la réalisation de Welcome (ndlr : réalisé par Philippe Lioret), c’est comme un effet d’accumulation de gouttes d’eau. Il y a eu un effet d’entraînement avec les acteurs, il y a plus d’écho quand c’est Vincent Lindon qui en parle au JT. La réception de l’histoire a été plus ou moins favorable ou défavorable en fonction de la situation politique. Mais il y a eu aussi les remerciements des organisations qui sont en demande de représentations de ces histoires de migrants. Ça a même abouti à l’amendement « Welcome ». Bon on s’est un peu fait enfumer sur cette affaire-là d’ailleurs. On échoue toujours dans les démarches de démocratisation en soi, mais on peut parvenir à ébranler le premier élément qui va aboutir au changement. Les mots, c’est de l’action.
Manifesto XXI- Vous parliez de cette partie de la France qui ne lit pas, mais beaucoup de vos romans sont adaptés au cinéma. Vous voyez ça comme une façon de toucher plus de gens, l’adaptation ?
Non, ça n’a pas de sens pour moi. Le film ne m’appartient pas, je ne le vois pas comme mon livre. D’abord, je ne donne aucun accord au projet s’il n’y a pas de réalisateur. Pour moi, ça a de l’intérêt d’avoir un artiste qui m’intéresse et que cette personne y trouve matière, que le livre soit le chemin. Je leur dis toujours « Je m’en fous que vous soyez fidèle au livre, soyez fidèle à vous-mêmes ». Après oui, il y a une forme de circulation à partir du film grâce à l’achat. Surtout pour les plus jeunes générations qui découvrent les films et après achètent mes livres : il y a eu un vrai effet « Je vais bien, ne t’en fais pas », entre le succès du film, de ses rediffusions, de la chanson « U turn Lily »…
C’est un cas encore différent dans le « Le cœur régulier » qui sortira le 30 mars prochain. Pour le coup c’est la projection directe de ce que j’avais imaginé. La réalisatrice a trouvé des paysages parfaits. L’épure parfaite, en plus, correspond à mon cinéma perso. Et puis c’est drôle, ça fait trois fois qu’Isabelle Carré joue dans des adaptations de mes livres !
Propos recueillis par Salvade Castera et Apolline Bazin
Merci pour cet entretien. Très intéressant.