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Pour en finir avec les « fashion addicts »

Pour en finir avec les « fashion addicts »

Tous les ans en janvier/février fleurissent les articles vous expliquant en détail comment vider votre armoire, faire un effet « détox ». La fashion victim, cette reine des virées shopping interminables avec un dressing plus rempli qu’une boîte de nuit un samedi soir, ce n’est peut-être pas vous. Mais c’est en tout cas une bonne copine que nous connaissons tous, qu’on trouve un peu dingo avec sa manie d’acheter.

La mode affectionne les lifestyles opulents… Oui, mais et si la réalité d’une addiction à la mode n’était pas si glamour ? Bienvenue au royaume d’une addiction non remboursée par la Sécu, qui pourrit votre futur financier, et votre estime personnelle au passage.

Oniomanie, kezako ?

L’oniomanie ou l’addiction aux achats (ou shopaholism), oui ça existe. Et même depuis très longtemps… Il y a plus d’un siècle, l’éminent psychiatre allemand Emil Kraepelin étudiait et théorisait les comportements compulsifs d’achat. Difficile de savoir qui est atteint de ces troubles, toutefois une poignée de scientifiques se passionne pour la question.

Le docteur Lorrin Koran de l’université de Stanford étudie les troubles obsessionnels-compulsifs, dont l’oniomanie. Une étude réalisée en 2006 montrait que le phénomène concerne aussi bien les hommes que les femmes, et qu’environ 6% de la population américaine serait concernée (octobre 2006, American Journal of Psychiatry). Le profil type de l’acheteur compulsif n’est pas exactement celui que l’on croit : notre acheteur compulsif serait plutôt un américain à faibles revenus ou bien un jeune adulte/ado. Que se passe-t-il dans la tête de l’acheteur compulsif ? Eh bien tel Emma Bovary, le malade cherchera à acquérir des biens conformes à une version idéalisée de lui-même. Acheter = s’améliorer. CQFD. Les résultats d’une vaste étude menée par des chercheurs de Bergen (Norvège) attesteraient d’une certaine prévalence de l’addiction au shopping chez les femmes, troubles qui s’estomperaient avec l’âge.

Grâce à leurs recherches, ces scientifiques militent pour que la pathologie soit sérieusement prise en compte. Car si nous y réfléchissons quelques minutes, il fait plutôt froid dans le dos de penser que certaines personnes ne peuvent résister à la tentation de l’achat, jusqu’à s’autodétruire. Car si l’accro au shopping tire de la joie au moment de l’achat, telle une retombée de toxico, le bad peut être terrible. Haine de soi, crise d’angoisse… tout y passe !

Pourtant l’oniomanie reste une inconnue mystérieuse auprès du grand public. Comme pour beaucoup de troubles psycho, les symptômes sont assez difficiles à appréhender. Peut-être aussi parce que notre vision glamour et édulcorée qui entoure la consommation nous empêche de prendre au sérieux ces troubles, si bien dissimulés par la normalité des actes d’achat.

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Jennifer Lawrence, égérie Dior campagne 2015 Lipstick Addict

Fashion addict : la banalité du mal

L’oniomanie, dit comme ça c’est pas très sexy. On pense vaguement à une folie des oignons ou à une maladie rare de la voute plantaire. Alors qu’« addictions », « addict » (en anglais, sexappeal +1000), ça sonne sexy. On voit tout de suite le côté sensuel, presque érotique contenu dans le mot. Merci les merveilles du marketing moderne.

Confesser son addiction à la mode reste un plaisir d’initiés, parfois délicatement revendiqué en gros titre comme nom de magazine. Et si on ne fait même plus attention à cette célébration de la fièvre acheteuse, c’est que sa représentation est depuis longtemps dé-diabolisée. La material girl, figure pop, a été incarnée avec sensualité par Marilyn Monroe, puis revampée par Madonna.

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Autour des années 2000, quelque chose semble se passer et en remettre une couche sur le cliché de la femme dépensière. Celle-ci est maintenant indépendante des hommes, mais pas de son shopping. Le personnage de Carrie Bradshaw fait fantasmer, et son dressing aussi…

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La saga « Confessions of a Shopaholic » de Sophie Kinsella paraît en 2000 et essaime depuis sept autres volumes des aventures d’une incorrigible fashionista. Porté à l’écran en 2009, le tome un popularise encore cette figure de la fashion addict sur fond de comédie romantique. Il est tellement admis que ce sont les femmes qui sont des serial shoppeuses, qu’on en fait même des jeux pour petites filles histoire de leur apprendre l’art d’être une bonne fashion victim.

Fétichisme et obsession localisée : nos chaussures

On aime être borderline donc, à défaut d’être véritablement atteint de troubles. Nous serions addict à la mode et elle nous le rendrait bien. Les termes employés ne sont pas neutres, être « fashion victim » suppose une certaine faiblesse qu’un homme ne revendiquerait pas de la même façon… Les hommes « collectionnent » là où les femmes sont addict. Justement, là est le problème comme l’a pointé la journaliste américaine Robin Givhan en prenant l’exemple des sneakerheads (ndlr : accros aux baskets). Comme les baskets ne sont majoritairement pas considérées comme « féminines », elles restent l’apanage des hommes qui les collectionnent mais ne sont pas de vulgaires addict. Le débat est ouvert. Et si l’on y réfléchit bien, les chaussures sont les accessoires pour lesquels les hommes auraient bien autant de faiblesses que les femmes. Deux documentaires,  « God Save My Shoes » (2012),  « Sneakerheadz » (2015), explorent ces deux univers fétichistes qui partagent de nombreux points communs. Et même en se revendiquant du statut de collectionneur, personne n’est à l’abri de la syllogomanie, trouble d’accumulation compulsive cousin germain de l’oniomanie.

L’addiction a des racines pathologiques propres à chaque personne, mais un certain mécanisme de reconnaissance sociale rajoute encore de l’huile sur le feu. Les sneakers, stilettos, ou tous autres accessoires exclusifs sont des biens Veblen tels que théorisés par l’économiste Thorstein Veblen. En somme, nous voulons ce que notre voisin veut aussi, et plus il le désire, et plus je suis fier de posséder ce bien, et plus je ferai tout pour l’avoir et rester au top.

Vendre son âme au diable pour une paire de chaussure peut s’avérer être bien plus qu’une image. Et les spécialistes le disent, avec le développement des achats en ligne tout est maintenant permis sans limite de temps et d’espace, et (cerise sur le gâteau) sous couvert d’anonymat. À l’heure où les consciences éco-responsables s’éveillent et alors que les hommes achètent pour eux avec moins de réserve, la maladie de la consommation a encore quelques beaux jours devant elle. La bonne nouvelle, c’est aussi que les chercheurs de l’université de Bergen en Norvège ont tenté de détecter les symptômes en sept questions pour mieux déceler l’addiction, processus apparemment efficace. Alors, verdict : addict ou pas addict ?

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