En s’emparant de l’écriture de Pauline Peyrade avec Poings, le collectif Das Plateau élargit la réalité pour retracer le parcours d’une femme sur le chemin de la ré-appropriation de soi après la dissociation traumatique. Une mise en scène poignante qui sert le texte avec brio.
Collectif créé en 2008, Das Plateau réunit Jacques Albert (auteur/danseur), Céleste Germe (metteuse en scène/architecte), Maëlys Ricordeau (comédienne) et Jacob Stambach (auteur/compositeur). Leur travail s’articule autour du pluridisciplinaire : théâtre, littérature, cinéma, musique et architecture se mêlent au plateau pour faire naître des formes hybrides. En balançant souvent de l’un à l’autre, leurs créations invitent à réinventer les limites des disciplines pour un horizon plus large; qui ferait de l’avancée technologique, entre autres, un outil de travail supplémentaire. Pour leur nouvelle création, iels reprennent pour la seconde fois l’écriture de Pauline Peyrade. Poings est une pièce à plusieurs voix qui suit la reconstruction d’une femme prise dans une relation toxique et violente. L’écriture puissante et poétique de l’autrice est servie par une interprétation sans reproches et une scénographie épatante. Pour leurs premières représentations, le collectif jouait à l’Idéal à Tourcoing, salle annexe du Théâtre du Nord.
Ce n’est pas parler du viol qui est violent. C’est le viol lui-même.
Céleste Germe
Céleste Germe, metteuse en scène du collectif, vient d’une formation d’architecte, et la scénographie tient une place majeure dans son travail. C’est l’une des premières choses qui arrive à la naissance d’une nouvelle création. Le décor est un personnage à part entière de la pièce : à la fois l’écrin et le support -et les comédien.nes n’ont presque jamais répété sans. S’érige au plateau un système complexe jouant de passe-passe de miroirs, de vidéo, de lumières, créant trompe l’œil et illusion.
A travers ce décor multimédia et amovible, Céleste fait exister, côte à côte, différentes temporalités et différentes voix d’un même personnage. Toi et Moi se répondent ou vibrent à l’unisson, créant un kaléidoscope des pensées et moments de vie du personnage et illustrant ainsi le dédoublement de personnalité parfois créé par un choc traumatique, tel qu’un viol, une agression, un harcèlement psychologique… Pauline Peyrade fait inconsciemment écho à ce trouble de la personnalité dans son texte. « Il y a nécessité pour le personnage féminin, de faire mémoire, de réparer sa mémoire traumatique. De faire récit avec sa propre histoire qui est éparpillée par le traumatisme » raconte Céleste. « Tout son trajet dans le spectacle, c’est ça : se réunifier pour s’en sortir. »
Poings est écrit pour deux comédiennes, qui répondent à Lui, l’amoureux et l’agresseur. Moi et Toi. La protagoniste vit le souvenir de la relation et celui de cette voix intérieure qui la pousse à reprendre le dessus, à se sauver. Pour Céleste Germe, il est évident qu’il ne faut qu’un seul corps pour ces voix diffractées. Maëlys Ricordeau interprète alors ces deux face d’une même femme et propose, parallèlement à cette mise en scène riche et multiple, un jeu de simplicité et de finesse. Les mots se suffisent et, portée par ce texte d’une rare puissance, elle délivre une interprétation d’une extrême justesse, toujours sur le fil, au bord du gouffre, débarrassée de tout artifice d’acteur·ice pour faire grandir le sentiment nu, pur. Laissant à la fin un public tremblant, ému.
Pour lui donner la réplique : Antoine Oppenheim, qui exécute habilement une reprise de rôle au pied levé. Encore une fois, la banalité du mal se présente dans toute sa cruauté. On ne voit pas un homme physiquement violent, il ne hurle pas, ne frappe pas du poing ni ne se montre directement menaçant. Le texte et le jeu s’accordent pour dessiner non pas l’acte violent, mais le ressenti de la victime, et son propre combat. Rien ne sert de montrer puisque tout est dit. Cette direction d’acteur·ice proposée par Céleste, et induite par le texte de Pauline, est guidée par l’intuition que la parole suffit à l’image.
Il ne suffit plus de montrer les viols et autres violences conjugales, il est temps d’en parler. « Avec Poings, je voulais, le plus simplement possible, dire ce qu’est un viol, concrètement. Il me semble qu’on a énormément de représentations visuelles du viol (films, pubs…) mais qu’on en parle véritablement jamais. Et ainsi, on soustraie au viol sa violence. » explique Céleste. « Je ne voulais surtout pas que l’on se trompe de violence. Ce n’est pas parler du viol qui est violent. C’est le viol lui-même. » Sa volonté est d’ouvrir un dialogue, entre la victime et elle-même, entre les femmes et le public, entre les femme et la société. « Si on ne partage pas ça, ce que c’est qu’un viol, on n’avancera jamais. Quelque part il y a pour moi une nécessité de se parler et le théâtre le permet. Il y a un rapport entre le fait de se parler et la possibilité de s’en sortir, ensemble. Cette nécessité pour les femmes d’une part et pour la société d’autre part de faire récit, est sans doute la chose la plus importante pour moi dans ce spectacle. La seule solution pour avancer… »
Le texte de Pauline Peyrade est écrit comme une partition complexe, que la mise en scène respecte consciencieusement. Ainsi les spectateur·ices sont directement plongé·es dans les affres de la mémoire du personnage, entre ses deux voix sur le chemin de ne faire plus qu’une à nouveau, qui tente de se rassembler après le choc d’une violence inouïe. Pauline Peyrade et Das Plateau offrent une performance politique, en replaçant la parole au centre, entre les bonnes mains, faisant de ce témoignage de fiction une réponse au manque de considération apporté à la parole des femmes en-dehors de la salle de théâtre.
Cette saison Poings tournera :
- du 1er au 12 février 2022 (relâches les 03 et 07 février) au T2G – CDN de Gennevilliers
- les 08 et 09 mars au Lieu Unique à Nantes
À venir sur la saison 22/23 : TNB à Rennes, Parvis à Tarbes, Théâtre 13 à Paris, Théâtre Jean Vilar à Vitry, Théâtre de Chatillon… (en cours)
Image à la Une : © Simon Gosselin