Comme chaque été français, les salles obscures voient débouler les films de la sélection cannoise précédente. Si tout le monde se souvient de la vague 120 battements par minute de la saison dernière (accompagnée du score d’Arnaud Rebotini, césarisé pour l’occasion), un autre film tout aussi marquant par son œuvre que par sa BO fait sensation ce mois d’août : Le Monde est à toi de Romain Gavras. Suite à son road trip sur les terres désolées du nord de la France dans Notre jour viendra, le rejeton de Costa-Gavras revient ici avec son Pulp Fiction à la française, et choisit non pas une bande originale onirique et mélancolique composée par SebastiAn du premier opus, mais une compilation de morceaux qui font mouche.
Le pitch du film ? Un ancien dealer choisit de se ranger et décide de devenir propriétaire de la filiale Mr. Freeze au Maghreb. Pour y parvenir financièrement, il doit assurer un dernier coup en remontant une marchandise d’Espagne à l’aide d’acolytes. Un film de gangsters, avec des morceaux mythiques, et une esthétique léchée (vu les clips de Gavras, le contraire aurait été perturbant). Attardons-nous sur cette soundtrack.
La musique qui épouse ce long métrage se décompose en deux faces : la première est une œuvre originale de SebastiAn (on ne change pas une équipe qui gagne) accompagnée de Jamie XX (évident quand on sait que Gavras a réalisé le clip le plus plus impressionnant de la décennie, “GOSH”) ; mais on retiendra surtout la seconde face de la pièce : une compilation de morceaux venus d’univers complètement différents : Booba, Laurent Voulzy, Jul, Daniel Balavoine, PNL… Mais comment tous les morceaux de cet iPod en lecture aléatoire sont-ils pertinents dans chaque scène ?
Le Monde à toi est un portrait de voyous français. Du vieux lascar cinquantenaire à l’adolescent bicraveur naïf, le film est un portrait, une peinture, de la petite délinquance gauloise d’une partie du XXè siècle. Et les morceaux choisis le sont aussi. Outre les tracks de Jamie XX ou encore d’Omar Souleyman, on retiendra deux genres majeurs de cette sélection : la chanson française populaire et le rap.
Le gangster français a toujours aimé la chanson à texte populaire pour plusieurs raisons : tout d’abord, elle a toujours été facilement accessible et la petite délinquance provient souvent des milieux modestes, qui n’a pas accès facilement à la culture “élitiste”. Les voyous ont écouté Johnny Hallyday, Jacques Dutronc, Les Béruriers Noirs, NTM, La Mafia K’1 Fry, PNL… Et la chanson populaire raconte des histoires où l’on peut facilement s’identifier. Voilà pourquoi ces deux genres musicaux sont intimement liés culturellement. Et cela a donné des rencontres étonnantes : on a pu entendre Alkpote dire qu’il « écoutait du Balavoine » ou Siboy écouter du « Alain Souchon en chaussons » ; Booba rapper sur un sample de « Mistral Gagnant » de Renaud, voire le duo Brigitte reprendre « Ma Benz » de NTM.
Chaque crapule du film retrouve son univers musical adapté en fonction des scènes du film : Poutine, jeune dealer abruti dans sa chicha, écoute « Tchikita » de Jul ; le personnage joué par Isabelle Adjani, nostalgique, écoute Laurent Voulzy dans son appartement ; les deux Mohamed, les petits frères rêvant d’une vie à la Scarface, chantent « Le monde ou rien » de PNL, Henry (l’un des meilleurs rôles de Vincent Cassel) fait le sage de bistrot sur le morceau Hallyday de Michel Sardou.
Ce film est un réel témoignage de l’Histoire (et de sa culture musicale) de cette petite délinquance française attachante, loin des idéaux gangsters véhiculés par les films hollywoodiens de Martin Scorcese ou Brian De Palma. Ici, Gavras ne fait pas l’éloge du gangster, il le peint, tel qu’il est, dans la culture où il s’inscrit : des voyous désabusés filmés avec un réalisme d’une neutralité scientifique, qui ne se lamentent jamais sur leur sort. Le film n’est pas moralisateur, il dresse le tableau de ce qui est aujourd’hui, de ce qui a toujours été, et de la musique qui l’a accompagné car, comme le souligne le dernier morceau de Balavoine sur le dernier plan du film, cadrant Fares, le héros du film regardant le ciel, « la vie ne m’apprend rien ».