Comment rester pertinent en tant que festival résolument rock, à l’heure où le genre est en constante mutation et regroupe des centaines de sous-genres ? Ne vous méprenez pas, La Route du Rock n’accueille pas seulement des groupes de garage, de punk ou de rock psyché : la programmation y est beaucoup plus éclectique et ouverte à des courants musicaux plus pop ou électroniques, mais qui gardent toujours une certaine identité « rock ». Après une édition 2016 assez décevante en termes de fréquentation, cette année, les organisateurs ont placé la barre très haut en invitant des têtes d’affiche comme PJ Harvey et The Jesus and Mary Chain. On y trouvera aussi Thee Oh Sees, Foxygen, Temples, Ty Segall, Mac DeMarco, Angel Olsen et bien d’autres ! Ça se passera du 17 au 20 août et vous pouvez prendre vos places ici !
En attendant, on a pu discuter avec le programmateur Alban Coutoux et le directeur François Floret pour en savoir un peu plus sur l’envers du décor d’un festival devenu mythique.
Manifesto XXI – Quel est le rôle de la soirée d’ouverture du festival, le jeudi, qui est quelque peu en marge du reste de la programmation ?
Alban : Ce n’est pas une date vraiment différente du reste de la programmation du festival, les artistes qui y jouent n’ont pas une notoriété moindre que les autres. Pour La Colonie de Vacances, ça faisait quelques années que l’on voulait présenter le projet lors de La Route du Rock, mais le dispositif scénique était assez complexe pour un concert sur le fort. Ça paraissait évident de le faire à La Nouvelle Vague. Usé tournait souvent avec La Colonie de Vacances et c’était donc logique de les faire jouer sur la même soirée. Le plateau s’est fait assez naturellement. C’est vrai que la jauge de public que l’on peut accueillir à La Nouvelle Vague est beaucoup plus restreinte que sur le fort, on n’y programmera jamais des artistes comme Interpol ou PJ Harvey. Cette année, on aura Allah-Las, qui avait déjà joué dans le fort précédemment, et Andy Shauf. Cette salle nous permet de proposer des expériences plus intimistes, mais au-delà de ça, il n’y pas de différence majeure avec la programmation du reste du festival.
Vous proposez aussi des concerts sur la plage de Saint-Malo, qu’ont-ils de différent par rapport aux concerts programmés au fort de Saint-Père ?
Alban : On fait des concerts sur la plage depuis 2002. La plupart des festivaliers viennent à Saint-Malo pour profiter de La Route du Rock mais aussi des vacances et de la plage. Ça nous semblait logique d’accompagner le public l’après-midi, surtout que le fort est situé à dix kilomètres de Saint-Malo. C’est important pour nous d’investir aussi la vieille ville en proposant des concerts gratuits. Les gens qui ne connaissent pas notre univers peuvent avoir un aperçu de ce que l’on propose lors du festival.
Sur les festivaliers de La Route du Rock, quel est le pourcentage de Bretons présents ?
Alban : D’après notre dernière enquête, le public du Grand Ouest représente 40% des festivaliers.
François : Ce qui varie davantage, c’est la fourchette de Parisiens, qui est en baisse depuis quelques années. Notre public est assez dispersé sur la France, avec un peu moins de sudistes. On a des partenariats historiques avec des radios belges et suisses, ce qui a fait connaître le festival là-bas, mais ça reste marginal. Cette année, il y a beaucoup d’Anglais, ça varie en fonction de la programmation.
Alban : C’est un peu la côte d’Azur pour eux. (rires)
Pour cette édition, comment avez-vous peint le tableau de La Route du Rock 2017 ?
Alban : Pour continuer la métaphore, on prend la même palette de couleurs, c’est-à-dire ce que l’on sait faire depuis vingt-sept ans – le rock indépendant sous toutes ses formes –, avec en premier le booking des têtes d’affiche, qui donneront le ton de l’affiche finale. On essaie de faire un dosage entre groupes plus reconnus et découvertes. On construit aussi les soirées en termes de progression et d’intensité.
Comment assurez-vous la transition entre le jour et la nuit, entre des groupes plus rock et des artistes de musique électronique ?
Alban : Ce n’est pas un schéma automatique, mais ce qui est important, c’est que les artistes électroniques correspondent à l’esthétique du festival. Ils doivent avoir une dimension rock dans leur approche musicale. On n’est pas un festival typiquement électronique avec des DJs qui s’enchaînent, on est attachés à la prestation scénique des concerts. On préfère les lives aux DJ sets. Le public n’est pas aussi tranché que ça.
François : On le voit sur les réseaux sociaux : dans le public, il y a deux cas de figure, ceux qui attendent plus d’électro et ceux qui attendent plus de guitare. Finalement, c’est nous qui construisons notre festival, et on ne fait rien en fonction de ce qui est demandé. On a eu des moments dans l’histoire du festival où on se posait la question de rester enfermés dans un carcan « rock ». En 1998-1999, on avait une imagerie assez pop anglaise, mais on ne voulait pas rester enfermés là-dedans. On trouvait ça réducteur, parce qu’on écoutait plein d’autres trucs, comme de l’indus ou des choses plus électroniques. C’est le même cas de figure tous les ans, on se remet en question sans cesse. Cette année, on trouvait qu’on n’avait pas assez représenté le rock garage depuis un certain temps, on a donc corrigé le tir en invitant ce qui se fait de mieux en garage. En électro, je pense qu’on peut mieux faire, n’en déplaise aux fans hardcore de rock indé.
Une année, on avait fait jouer My Bloody Valentine puis A Place to Bury Strangers. C’était logique artistiquement, mais c’était plus dur à vivre pour le public. My Bloody Valentine jouait à donf avec l’effet d’un Boeing qui te passe au-dessus de la tête, et le groupe d’après jouait presque aussi fort. C’était une erreur, parce qu’après My Bloody Valentine, tu ne mets rien.
Comment avez-vous fait évoluer le terme « rock » au fil des éditions du festival ?
François : C’est un vrai handicap. Le nom du festival est parti d’un jeu de mots débile avec La Route du Rhum. Ça nous enferme dans une imagerie et des clichés. Pour nous, le rock est juste une appellation générique et comporte plein de variantes. Il peut y avoir de l’électro, du garage, de la pop… Ça englobe tout, mais les gens ne voient pas forcément le rock de cette manière. On trouve aussi que le nom du festival ne nous ressemble pas. Il y a plein de festivals avec le mot « rock » dedans, et ça peut nous nuire parce qu’on n’est pas dans la même optique. Je pense à plein de noms plus évocateurs et qui donnent une identité immédiate, comme Astropolis, Levitation, les Trans Musicales.
La programmation de cette année est particulièrement pointue, vous avez dépensé plus en termes de booking d’artistes ?
François : Juste le double. L’année 2016 a été très mauvaise, en termes de fréquentation en tout cas. La météo était magnifique, le public était ravi par les concerts, mais on s’attendait à beaucoup plus de monde. On a perdu de l’argent mais aussi un peu de notre aura. Descendre en dessous de 20 000 spectateurs, c’est déjà décevant pour nous, mais faire moins de 13 000, c’est une catastrophe. On s’est demandé si on intéressait encore les gens. Il fallait que l’on se rassure vite et que l’on prouve que La Route du Rock pouvait être un festival extraordinaire. On est passés d’un budget de 300 à plus de 600 000 euros. En déplaçant le festival d’une semaine, on a eu la chance d’avoir plus de disponibilité de la part des artistes. S’il se passe un truc au Japon ou en Scandinavie au même moment, c’est fini pour nous. On est davantage sur une concurrence mondiale que nationale.
Vous avez une certaine pression pour programmer des artistes qui feront venir un minimum de monde ?
François : On a trois spots pour défendre nos artistes : la plage pour les concerts plus délicats, La Nouvelle Vague pour les artistes qui ont plus leur place dans une salle avec une certaine intimité, et les premières parties dans le fort de Saint-Père. Il y a vraiment de la place pour les nouveaux venus. Si on doit faire une sélection dans les découvertes, ce ne sera pas sur la popularité mais sur l’excellence.
Il y a des petits groupes sur lesquels vous aviez parié et qui ont connu le succès suite au festival ?
Maxime : Typiquement, je pense à alt-J, qui avait joué pour la première fois en France à La Route du Rock et qui est devenu une grosse tête d’affiche par la suite. C’était en 2012, à l’ouverture du festival.
François : L’année dernière, il y avait Sleaford Mods, qui ont bien marché par la suite. Si on va un peu plus loin dans l’histoire du festival, il y a eu Placebo, et Muse qui y avait fait sa première date française en 1999, devant 200 personnes.
Aujourd’hui, vous avez cette même excitation lorsque vous pensez faire découvrir de nouveaux groupes au public ?
Alban : En 2017, se targuer d’avoir fait découvrir un groupe, je trouve ça assez prétentieux. Il y a trente ans, tu pouvais chercher un groupe au fin fond d’une cave à Londres ou à New York et le ramener en France. En 2017, il y a tellement de relais et d’outils… Les schémas de découverte que l’on pouvait avoir il y a quelques années ne sont plus les mêmes. Forcément, on est sur des musiques de niche, donc il y aura toujours une place pour la découverte pour certaines personnes, mais on ne dira jamais qu’on a sorti un artiste de sa cave pour l’exposer au grand jour. Le risque de courir après la nouveauté et de faire les choses avant tout le monde, c’est de faire jouer des groupes qui ne sont pas prêts. Parfois, tu peux sentir un potentiel chez un groupe, mais tu lui laisses six mois ou un an pour se perfectionner et s’enrichir d’expériences scéniques. Je préfère un bon concert d’un groupe inconnu qu’un mauvais concert d’un groupe connu.
François : On prend quand même plus de risques que d’autres, parce qu’on en a envie, et si certains ne marchent pas, tant pis.
Quels sont les groupes que vous êtes le plus excités de voir en live ?
François : Depuis ce matin, on parle de Idles, c’est un groupe qui nous a scotchés dès la première écoute. C’est un groupe punk, donc je ne sais pas si ça plaira à tout le monde. Disons que ce n’est pas très grand public.
Alban : Le but n’est pas qu’un groupe devienne immense non plus. Ulrika Spacek a fait un très beau concert l’année dernière, mais on est conscients qu’ils ne rempliront pas des stades dans dix ans, de par leur démarche et leurs compositions. On n’est absolument pas dans une démarche de trouver le futur Coldplay ou le futur Muse.
Des groupes à ne pas rater cette année, je dirais qu’il y a Cold Pumas, Froth et Yak.
Même s’il y en a quelques-unes sur l’affiche, je trouve que la programmation manque encore d’artistes féminines. Un avis ?
Alban : La tête d’affiche est une femme. Il y a eu beaucoup d’offres déclinées par des artistes ou groupes féminins. De façon générale, on n’a jamais programmé en fonction du sexe, du genre ou de la nationalité. On a une programmation d’indie rock et, dans l’absolu, la plupart des groupes sont masculins. Je me souviens d’une polémique, il y a quelques années, sur Belle and Sebastian au Pitchfork : un journaliste s’était plaint que le groupe manquait de diversité. Il trouvait qu’il n’y avait que des Blancs tout pâles et des roux. (rires) Susan avait répondu en rigolant : « J’adorerais que mon groupe ressemble à Os Mutantes, mais on vient de Glasgow. » Je pense que c’est un mauvais procès que de nous reprocher un manque de diversité à La Route du Rock.
François : On aurait rêvé d’avoir Patti Smith, Beach House, Weyes Blood…
Alban : Des groupes qui défendent les causes de la femme, on en a eu pas mal… Je pense notamment à Peaches, Savages, The Organ.
Il y a des festivals français à plus petite échelle que vous appréciez et respectez particulièrement ?
Alban : Il y a un événement que j’aime bien depuis quelques années, c’est le Levitation à Angers. Il y a un côté garage/psyché qui me parle beaucoup.
François : Au-delà de la musique, il faut reconnaître la sincérité des gens qui organisent. Il faut éviter les machines à gaz qui font toutes jouer les mêmes trucs. Il y a des gens qui se défoncent pour faire des choses intéressantes. Je pense au Binic et au Motocultor pour le métal. Ces mecs sont courageux parce qu’ils sont d’abord animés par leur passion musicale. J’avais rencontré l’organisateur du Motocultor, et c’est un mec qui vient de la rue. Il y aussi le festival Visions, qui se passe à Brest et qui vaut le coup d’être soutenu.
Que pensez-vous du revival du rock psyché qui s’opère depuis quelques années ?
Alban : Forcément, c’est un mouvement qui puise dans les années 1960 mais pas seulement. Un festival comme le Levitation ou le Liverpool Psych Fest démontre bien qu’il y a une place pour ces groupes, qui ne se contentent pas de faire du sous-Pink Floyd. Dans le lot, il y a des artistes électroniques aussi, pas seulement des groupes à guitares. Le terme de « rock psyché » est beaucoup plus large aujourd’hui, il englobe plusieurs styles. Ce n’est pas un mouvement de revival nostalgique, c’est tout autre chose, donc c’est forcément intéressant.
Vous avez une collection été et une collection hiver, en quoi sont-elles différentes ?
Alban : J’aurais tendance à dire que rien ne les différencie, on essaie de proposer le même type d’artistes, que ce soit en hiver ou en été. En termes d’esthétique, c’est vraiment similaire.
François : C’est le même projet, seule la jauge change et fait donc varier la taille des artistes. L’ADN reste le même.
En marge des concerts, vous proposez aussi des expositions photo.
Alban : Ça fait deux ans que l’on met en place des expos photo, en partenariat avec agnès b. ; cette année, c’est un photographe qui s’appelle Godlis. On fait un petit focus sur les quarante ans du punk, de 1977 à 2017, avec cette exposition de Godlis qui a vu l’émergence du mouvement punk à New York, au CBGB notamment. Il y aura des portraits, des photos de concerts d’artistes comme The Ramones, Television, Patti Smith et Blondie. Il y aura également une conférence de Christophe Brault sur les prémices du mouvement aux États-Unis puis l’explosion en Grande-Bretagne avec The Clash, The Buzzcocks et The Sex Pistols.
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