Non, vos enfants ne seront pas tous des cracks en informatique
La ficelle est toujours aussi grosse. Lorsque les politiques sont en panne d’idée pour enrayer les problèmes de l’Education Nationale, ils pondent un énième «Plan Numérique pour l’école». La Vème République en a déjà connu une quinzaine, selon les décomptes du journal Le Monde, et François Hollande vient d’apporter sa pierre à l’édifice. D’après ses termes, « le numérique va être généralisé à l’école » dès la rentrée 2016. La formule est tellement creuse qu’elle ferait presque sourire.
Et pourtant, le gouvernement multiplie les annonces en faveur de l’e-éducation, depuis quelques mois. On a beaucoup entendu parlé de l’enseignement du « code » informatique : après tergiversation, le Ministère a annoncé que des initiations facultatives allaient enfin être introduites dans les classes de primaire.
En parallèle, Najat Vallaud-Belkacem a récemment annoncé que tous les collégiens devraient être équipés de tablettes tactiles à l’horizon 2016. Un effort financier pour le moins conséquent en période de disette budgétaire… A titre d’exemple, le Royaume-Uni aurait déjà dépensé 226 millions d’euros pour l’achat de… seulement 300 000 machines. Rappel : on recense environ 12 millions d’élèves en France, de la maternelle au lycée.
Interaction et autonomie
Il est vrai que la France est à la traîne en matière d’équipement technologique. En moyenne, nos établissements scolaires disposent d’un ordinateur pour 10 élèves de primaire, une performance très inférieure à celle de nos voisins européens. Alors que la France ne cesse de reculer dans les indices mondiaux de performance éducative, le rattrapage numérique semble désormais inévitable.
A l’heure des classes surchargées, les supports numériques sont vus comme un antidote à l’accroissement des inégalités scolaires. L’apprentissage interactif est évidemment ludique : les manuels numériques stimuleraient l’attention des élèves en enrichissant l’expérience traditionnelle. Surtout, l’école connectée fait la promesse d’une prise en charge différenciée des élèves. Chaque enfant progresse à son rythme, grâce à des contenus adaptés.
A l’évidence, l’école ne peut plus ignorer l’essor des nouvelles technologies. Une large majorité d’enfants côtoie ces outils au quotidien : 77% des 11–17 ans seraient des internautes assidus. Face à ce constat, l’école républicaine est plutôt bien placée pour responsabiliser les jeunes internautes. Peu d’entre eux sont sensibilisés à ce sujet dans la sphère familiale. L’Education Nationale devrait ainsi s’emparer d’une « alphabétisation numérique » devenue indispensable.
Réinventer la pédagogie
Il faut toutefois bien se garder de rétrécir le spectre du numérique aux simples outils que sont les tablettes et ordinateurs. Investir dans du matériel technologique ne réglera pas les maux de l’école française. Comme le souligne le Conseil National du Numérique (CNNum) dans son dernier rapport, l’ère numérique offre une opportunité formidable pour repenser nos pratiques pédagogiques.
L’école numérique n’est pas l’école des tablettes
Sophie Pène, membre du Conseil National du Numérique
Trop rigide, pas assez inclusif : on s’accorde presque tous sur les lacunes du système français, resté quasi-immuable depuis des décennies. Une transformation profonde des méthodes semble désormais à portée de main. A leur modeste niveau, de nombreux professeurs se lancent dans des expérimentations pédagogiques.
Au programme, un apprentissage moins magistral et davantage de travaux collectifs. L’objectif est d’ouvrir les classes sur l’extérieur et de privilégier l’esprit collaboratif. En clair, insuffler l’esprit « start-up » au sein de l’école.
Citoyenneté digitale
Au premier rang des innovations, l’introduction officielle du code a fait beaucoup de bruit cet été. Cette initiation optionnelle, limitée aux écoles primaires, vise à éveiller les esprits au raisonnement logique. Déjà testé par divers pays, ce type de programme semble prospérer et devrait se généraliser à moyen-terme dans les collèges et lycées.
N’ayez peur, vos enfants ne deviendront pas (tous) des geeks en puissance. L’initiation au code est surtout un moyen de garder un oeil critique sur des technologies qui envahissent notre quotidien. Refuser d’être un simple «consommateur » de technologie, c’est préférer l’humain face à l’algorithme tout-puissant.
Au-delà du fameux « code », l’école doit accompagner les futurs citoyens dans l’ère numérique. Il devient par exemple incontournable de savoir trier l’information, si abondante sur Internet. Une jolie chimère ? Non, à condition d’oser des pratiques disruptives. Le Danemark autorise par exemple l’accès à Internet pendant les examens : on évalue alors la capacité à identifier et vérifier l’information, plutôt que l’ingurgitation exponentielle de connaissances !
Le lifting numérique de l’école répondrait bien sûr aux dynamiques économiques, en préparant davantage aux métiers du futur. Il ne faut toutefois pas penser que cette stratégie vise uniquement à combler l’actuelle pénurie de développeurs informatiques. L’apprentissage du numérique devrait irriguer tous les enseignements, plutôt que se limiter à la grande méchante « informatique ».
Le mur du réel
Mais comme souvent, les experts ne sont pas unanimes. Faut-il enseigner le code de façon autonome ou bien appliquer un « vernis digital » à toutes les matières ? Au lycée, l’enseignement de l’informatique est actuellement restreint à la filière Scientifique (en option !). L’Académie des Sciences et le CNNum proposent d’aller plus loin et de généraliser ce cours dans toutes les filières.
La création d’une quatrième filière générale consacrée aux « Humanités Numériques » a aussi été évoquée récemment. La démarche se veut pragmatique mais certains spécialistes critiquent cette vision étriquée et isolée d’enjeux qui devraient concerner tout le monde.
Alors que le rapport plaide plusieurs fois pour considérer le numérique comme irriguant toutes les strates de la société et de l’éducation, cette proposition revient à la réduire à un segment thématique, entre langues, sciences de la vie et mathématique.
Joël Ronez, spécialiste des médias numériques
Tout les projets engagés sont ambitieux et prometteurs. Du moins, sur le papier. Car leur mise en oeuvre se heurtera à de nombreux obstacles. De l’aveu du CNNum, il faudra inévitablement « investir dans l’humain ». La formation de professeurs qualifiés est une étape inévitable. Certains proposent de solliciter les professeurs de maths ou de technologie — une fausse bonne idée qui raviverait les barrières entre disciplines.
Etonnement, la bonne surprise provient des professeurs : ils seraient de moins en moins réfractaires au numérique. Auraient-ils perdu leur réputation millénaire d’anti-réformistes ?
Pendant ce temps là, en Californie…
Alors que le numérique est en passe de s’introduire dans le système français, le mouvement inverse se répand… dans la Silicon Valley, berceau légendaire des nouvelles technologies. Toujours à contre-courant, les gourous américains du Web ont lancé une nouvelle tendance : envoyer leurs enfants dans des écoles 100% traditionnelles, sans aucune présence numérique.
A en croire ceux qui façonnent le numérique, il n’y aurait nul besoin d’ordinateurs pour apprendre à lire, écrire ou compter. Du moins dans ces écoles privées, réservées à l’élite californienne… En tout cas, alors qu’on parle des tablettes éducatives comme d’une évidence, leur efficacité pédagogique n’est toujours pas solidement démontrée.
Nous ne sommes qu’au début de l’ère numérique. En pleine phase de transition, il est difficile d’imaginer quelle sera l’école du futur. Prions toutefois pour que n’émerge pas une éducation à deux vitesses, où seuls les enfants les plus favorisés ont accès à un enseignement de qualité. A moins que ce ne soit déjà le cas.
Maxime Loisel