Il y quelque temps déjà, on a eu le plaisir de poser quelques questions à Lenparrot, autour d’un café en terrasse sous le soleil automnal nantais. Passé par Rhum for Pauline ou encore Pégase, Romain Lallement a ensuite souhaité affirmer une voix plus solitaire, de laquelle a jailli une pop minimaliste délicate et sensible.
Manifesto XXI – Comment as-tu appris la musique, de manière plutôt institutionnelle ou intuitive ?
Lenparrot : Un peu les deux. Je viens d’une famille de musiciens, ce qui est quand même un atout. L’apprentissage d’un instrument est donc venu assez naturellement. J’ai appris le piano et la batterie à partir de l’âge de 5 ans.
Puis en arrivant à Vannes, j’ai trouvé l’enseignement musical très conservateur et un peu trop lié à la religion, donc j’ai décroché. C’était mes années d’adolescence, où j’ai commencé à me faire ma propre éducation musicale, notamment autour du rock, et ce n’était pas du tout en phase avec ce qui m’était proposé.
Quand j’ai arrêté l’école de musique, j’ai eu un autre prof plus ouvert, à qui tu pouvais ramener ce que tu voulais jouer. Ça m’a permis de m’affranchir d’une partition, de travailler l’oreille.
Une fois arrivé à Nantes, où j’ai cessé de prendre des cours, j’avais assez de bases pour continuer à travailler seul, et dans le plaisir. Donc je suis une sorte de faux autodidacte.
Ce projet Lenparrot, quand est-il né ?
Il y a bientôt trois ans.
C’est plutôt un projet qui est né d’un long processus de réflexion, ou qui a démarré sur un coup de tête ?
C’était plutôt « en réaction ». Avant ça, en 2007, j’ai monté Rhum for Pauline, qui a été une sorte de grande épopée pour chacun d’entre nous. Il y a eu plein de remodelages esthétiques au fur et à mesure, et il y a un moment où je n’arrivais plus du tout à écrire, à composer Je n’étais pas content de ce que je faisais, alors c’est Émile qui a repris la main.
Donc l’arrivée de Lenparrot s’est faite en réaction à ce blocage. En 2013, je me suis remis doucement à composer des chansons, vraiment pour moi, pour le coup. Je les ai proposées à Rhum for Pauline, et les gars m’ont dit que c’étaient de bonnes chansons, mais qu’elles prenaient un tournant qui ne collait pas vraiment au groupe.
Il s’agissait juste de textes ou vraiment de démos ?
De démos complètes. C’est le fait de commencer à travailler sur ordinateur qui m’a offert un nouveau terrain de jeu. Et étant très peu aguerri à cette manière de travailler, je suis resté dans quelque chose de super épuré. J’étais dans la maîtrise de ce que je savais faire sur le logiciel. Mes contraintes ont un peu façonné, sans que j’en aie vraiment conscience, l’esthétique de Lenparrot.
Je me suis retrouvé vers Noël 2013 avec un petit panel de titres. Puis je me suis dit qu’il fallait me forcer à poser une deadline, donc même si je ne me sentais pas encore prêt, j’ai calé une première date en mars 2014.
Et comment en es-tu venu au chant finalement, au fil de ton parcours ?
Ça s’est confirmé à un moment où le chant était la seule part de création qui me revenait au sein de Rhum for Pauline, quand j’ai arrêté d’écrire et de composer. Par défaut presque, je me suis concentré sur la voix, ses possibilités, pour sortir de sa zone de confort et aller travailler différents registres.
Et concernant le véritable travail d’écriture, de parolier, comment ce goût-là t’est-il venu ?
Ça, c’est venu vraiment avec Lenparrot. C’était un ensemble, il s’agissait surtout de traduire une émotion, et en effet ça passe par tout ; la composition, l’arrangement, et ce que tu as à dire.
Dans les deux premiers EPs de Rhum for Pauline, il y a de chouettes paroles, mais ça reste quand même assez léger. Ce n’est qu’avec Lenparrot, et après n’avoir rien écrit pendant deux ans, que j’ai réussi à me remettre à écrire quelque chose qui faisait vraiment sens pour moi. Que ça passe par l’expression d’une fragilité par la voix, avec quelque chose de très haut, de très intime, par ce qui est raconté ou par un arrangement très dépouillé, tout concordait au service d’une expression. Et ça, c’est vraiment venu avec Lenparrot, avec la volonté de dire quelque chose, et de le dire seul.
Les médias décrivent souvent ton travail comme une pop minimaliste, intimiste, introspective, sensible… Est-ce que cela a pu être une place difficile à assumer, d’être un homme et de proposer ce type de musique ?
Jusqu’ici j’ai plutôt eu un soutien positif des médias, donc je n’ai pas spécialement ressenti cette idée d’une place difficile à prendre, à assumer.
Naufrage a été très bien accueilli aussi, mais il avait un côté plus sombre, moins accessible. Les thèmes abordés évoquaient le fait de sombrer, il y avait des échos à l’actualité des attentats… Une sorte d’état du monde – sans prétention aucune, je ne me vois pas comme un philosophe en haut de sa tour, ce n’est pas ça mon propos, il s’agit simplement de ne pas raconter n’importe quoi. Quelle que soit l’importance que tu donnes à ton statut d’artiste musicien, il faut qu’il y ait de la substance. J’ai du mal à concevoir le pur entertainment.
À ce moment-là, des questions ont en effet pu être soulevées sur ce que c’est qu’être artiste aujourd’hui, il y a eu des questions que j’ai souhaité aborder autour du genre, du sexe, par exemple… Notamment une interview que j’ai faite avec TÊTU qui a fait pas mal de remous, mais plutôt dans le bon sens. Ces questions étaient déjà présentes en filigrane dans mon travail, mais elles ont peut-être été davantage soulevées à ce moment-là.
On sent une forme d’intellectualisation, d’exigence qui se dégage de ton projet ; est-ce que tu penses t’adresser à un public en particulier, ou est-ce que tu cherches à t’adresser au plus grand nombre ?
Je n’ai jamais souhaité m’adresser à une certaine population ; après, j’ai bien conscience que la musique que je fais n’est pas forcément des plus accessibles, même si elle n’est pas absconse ou expérimentale pour autant. Mais ce n’est pas réfléchi en amont.
Est-ce que l’approbation d’une certaine communauté a à un moment donné été importante pour toi ?
J’ai été très touché par certains retours après l’interview pour TÊTU… Mais je ne souhaite pas non plus m’adresser spécialement à la communauté LGBT ; je souhaite m’adresser à eux, mais autant qu’aux autres.
Dans un premier lieu, je ne m’adresse pas à une communauté, mais à des mélomanes. C’est surtout par ma musique que je souhaite toucher et créer une émotion, remuer les gens, quand ils écoutent ma musique et viennent me voir en concert… C’est surtout ça qui compte pour moi.
Après, quand j’ai envoyé mes chansons à Atelier Ciseaux et que j’ai pu signer chez eux, ça a été très important pour moi, par exemple.
Parmi les artistes, les liens et échanges que je peux tisser avec des gens comme Cléa Vincent, Julien Gasc, Ricky Hollywood, Juliette Armanet, Fishbach… Ça fait partie d’une clique de personnes de ma génération qui comptent pour moi. Si tant est qu’il y ait des passerelles qui puissent se faire, et qu’on puisse dessiner une sorte de carte postale d’artistes français du moment, dans des esthétiques et degrés de reconnaissances très différents, le fait qu’on se côtoie un peu tous et qu’on arrive à faire des choses ensemble, je trouve ça passionnant.
Tu te sens donc appartenir à une sorte de mouvance ?
Il n’y a pas de manifeste effectif, mais il y a par défaut un ensemble d’artistes ancrés dans un même mouvement, qui est propre à la génération de musiciens en 2017. On est tous le fruit de ce que c’est qu’être un musicien aujourd’hui, au cœur d’une industrie musicale en plein renouveau. On traverse des problématiques qui nous relient, en fait. Et puis c’est devenu quasi impossible de vivre uniquement de sa musique, en évoluant en solo dans son coin. Donc il y a une forme de bienveillance collective. Je crois que la scène française, même si forcément il y a encore des groupes, par style, localisation, etc., a tout intérêt à être soudée en ce moment.
Ça découle aussi de la manière d’écouter et de découvrir la musique aujourd’hui. Dans les années 1980, je pense qu’il y avait beaucoup plus de chapelles, du fait qu’il y avait moins de groupes, déjà, et que tout était plus segmenté. Les mélanges étaient peu concevables, alors qu’aujourd’hui, un mec qui fait du post-punk peut très bien écouter du Cléa Vincent aussi, et je trouve ça très bien. C’est beaucoup moins cloisonné.
Pour parler un peu de ton identité visuelle, comment s’est faite la collaboration avec À Deux Doigts ?
Ça vient des prémices du projet. Quelques semaines avant le premier concert, je suis tombé sur une illustration qu’ils avaient faite pour un agenda culturel nantais, et ça a été le coup de foudre. Il y avait leur photo à côté, et en fait je les croisais depuis des années à Nantes sans savoir qui ils étaient. Un soir, je les ai vus passer, et je leur ai couru après pour leur parler de mon projet et les inviter à venir écouter ce premier concert.
Et ça a matché directement, aussi bien artistiquement qu’humainement. C’est une fantastique rencontre qui a été déterminante dans le travail et l’esthétique de Lenparrot, à tel point que leur travail inspire aussi mes chansons désormais, et j’ai plaisir à croire que c’est réciproque.
Est-ce que tu peux décrire en quelque mots ce qui t’a frappé dans leur travail ?
La fragilité, le rapport à l’enfance, au sexe… Je pense qu’eux, encore plus que moi, font souvent émerger des questions autour du genre, de la sexualité, et du rapport à l’enfance, au souvenir.
Il y a aussi quelque chose de perturbant dans leur travail, que j’aime beaucoup. Ça peut trouver un écho dans ma musique avec certains rebonds inattendus dans les enchaînements harmoniques, dans l’écriture…
Et concernant les clips, tu as beaucoup travaillé avec Elsa & Johanna ?
Je connais Johanna depuis longtemps, parce qu’elle a habité un moment à Nantes. Puis elle est partie à New York, où elle a rencontré Elsa. Quand elles ont commencé à exposer leur travail, j’ai été estomaqué par la qualité et par la beauté de l’univers qu’elles créaient à deux, avec ce côté très caméléon, l’idée de se réinventer constamment.
Quand j’ai fait écouter mes chansons à Johanna, elle m’a très rapidement dit qu’il fallait qu’elles travaillent sur un clip avec Elsa. Je leur ai répondu : « Allez-y ! ». C’était sur « Gena », et je n’avais aucune idée de ce qui allait m’être remis, je leur avais juste laissé quelques clés de lecture. Ça a sonné comme une évidence par la suite de continuer à travailler avec elles.
Il y a quelque chose d’incroyablement rétro dans leurs productions, quel rapport entretiens-tu avec cet aspect nostalgie vintage ?
Je vois ce que tu veux dire, et je pense que ça vient surtout de leur technique. Je ne dirais pas forcément que c’est rétro ou vintage, mais qu’elles arrivent à créer quelque chose qui est hors du temps. C’est ça que je trouve très fort dans leur travail. Ce n’est jamais vraiment actuel mais ce n’est jamais vraiment non plus ancré dans une époque précise.
Je crois qu’elles ont très bien su retranscrire la rêverie latente qu’il y a dans ma musique.
Il y a aussi quelque chose d’ordre cinématographique dans ce qu’elles proposent, au-delà du simple cadre du « clip de musique ».
Oui, c’était complètement ce que je recherchais, car je ne suis pas un grand amateur de clips. Je trouve que souvent, quand il y a une réelle réussite, on sort des codes du clip, c’est plus une sorte de court-métrage. Il faut sortir des codes marketing, qu’il y ait un véritable propos.
Fais-tu partie de ces musiciens qui composent avec beaucoup d’images en tête ?
Oui, complètement. Très rapidement, quand je compose, j’ai soit quelques mots, une bribe de mélodie, une suite harmonique, et ça dépasse directement le simple fait de composer, ça devient une histoire, dont j’ai envie de savoir la suite. Et c’est presque comme si je n’étais pas vraiment maître de la suite ; ah tiens, il y a cette histoire qui se présente à moi, il faut que je découvre la suite.
C’est là où il y a pour moi quelque chose de l’ordre de la transcendance dans l’écriture, et c’est la beauté absolue de l’art, du fait d’être artiste ; il y a quelque chose qui me dépasse, et en même temps c’est ça que je recherche. Quand je commence une chanson, je ne sais jamais comment elle va finir. Si je le savais, ça n’aurait pas d’intérêt, ça voudrait dire qu’il existe une sorte de méthode applicable à tout.
En même temps, je respecte tout à fait les artistes qui prônent quelque chose de très mathématique, et je pense qu’il y une mathématique, en effet ; c’est juste que ce n’est pas la même manière de raconter. Et pourtant, je vois quelque chose de presque géométrique dans l’écriture : je pense que si tu mettais un capteur sur les doigts, il y a des formes géométriques qui devraient souvent revenir.
Une notion d’équilibre ?
Absolument ! Mais j’ai ce côté plus romantique de la narration qui échappe au narrateur.
À quoi travailles-tu en ce moment ?
J’ai terminé l’écriture d’un premier album à la fin de l’été, c’est une collection de chansons que j’ai amassées petit à petit, en gardant certaines compositions de côté exprès pour cet album. Il y a donc onze titres avec un propos d’ensemble. J’ai commencé une première session de pré-production en studio avec Julien Gasc pour voir si ça marchait ensemble, et aussi pour voir si l’expérience d’un vrai studio – contrairement aux deux autres EPs qui ont vraiment été faits à la maison – pouvait fonctionner.
La réponse est oui, donc ça augure plein de belles choses pour la suite. Donc là, je suis en train de poser les jalons d’un premier album, savoir comment, avec qui, chez qui… Et j’ai aussi recommencé à écrire.
Tu fais aussi des dj sets à côté de tes lives, pourquoi cet exercice te plaît-il et que passes-tu ?
Je passe des choses assez éclectiques, et ça dépend beaucoup du lieu aussi. Au départ – et c’est encore le cas aujourd’hui –, c’était plus dans un esprit de sélection que de technique. Mais tout en ayant une technique assez rudimentaire, je me suis aussi retrouvé à faire des sets dans des contextes club.
J’ai écouté beaucoup de minimal house à un moment… J’aime bien faire découvrir ce que j’écoute, ça permet d’élargir l’univers. J’adore les musiques africaines, brésiliennes, je suis amoureux de la pop…
En tout cas, j’aime vraiment bien ça, j’aimerais bien creuser la technique et continuer à en faire.
Un petit mot de la fin ?
C’est anecdotique, mais je suis content car j’ai trouvé le titre de ma nouvelle chanson ce matin. J’aime énormément Blonde Redhead, et ils ont un album qui s’appelle Masculin Féminin, qui m’a fait penser à « Masculine ». Justement, on parlait des questions de genre… Voilà, je trouvais ça très beau !