Comme tu le sais, mon petit lecteur, Manifesto, c’est un magazine du turfu. Du coup, on s’est demandé à quoi on allait ressembler dans quelques décennies. On s’est donc renseignés sur le sujet, et on n’a pas été déçus… Alors ? Mi-homme mi-robot ? Doté de super-pouvoirs de folie ? De retour à l’âge de pierre ? Allez, viens découvrir avec nous à quoi ressemble l’avenir du corps humain.
Première remarque : la recherche sur le corps et ses transformations 2.0 se concentre essentiellement autour de deux secteurs, à savoir la santé et la beauté. Par exemple, les nanoparticules (éléments dont la taille est comprise entre 1 et 100 nanomètres) sont utilisées tant pour conférer des qualités de brillance ou de texture aux cosmétiques que dans la recherche contre le cancer. Mais les innovations ne se limitent pas au microscopique.
Avec les microrobots à avaler ou encore les organes imprimés en 3D à partir d’encre cellulaire, les soins médicaux se reposent toujours plus sur les nouvelles technologies pour nous guérir. Et ça marche : on annonce un accroissement de la longévité record grâce aux progrès de la médecine. Voire même la formule de l’immortalité. Non, il ne s’agit pas d’élucubrations tout droit sorties du cerveau malade d’une bande d’alchimistes en mal de sensations, mais du très sérieux et tout récent projet Calico lancé par Google. Si le géant du net reste assez taiseux sur ses activités, il semblerait néanmoins qu’il se lance dans la recherche sur le vieillissement et les maladies associées.
Pour ce qui est de la beauté, la modification du corps est déjà bien ancrée dans les mœurs. Le recours à la chirurgie esthétique est une pratique parfaitement admise, et ce des pieds à la tête. Idem pour le tatouage qui devient une parure comme une autre. Ce qui n’empêche pas l’émergence de nouvelles tendances, tel le cyborgisme, de faire leur entrée sur les podiums. Il n’est plus si rare de voir défiler un mannequin doté d’une prothèse ultra high-tech, comme Rebekah Marine et son bras bionique à la Fashion Week 2015 de New York. Ce qui peut signifier deux choses : la mode s’ouvre aux handicaps, et revendique clairement sa technophilie. Donc oui, les borgnes culs-de-jatte deviendront peut-être ta target numéro 1.
L’autre point commun entre les versions connectées de la santé et de la beauté, c’est qu’elles sont toutes deux soumises à un contrôle extrême. C’est même ce que revendique le mouvement Quantified Self, qui, au moyen d’objets connectés, mesure et analyse un certain nombre de leur activités quotidiennes comme leur activité physique, leur temps de sommeil, l’évolution de leur poids…
Les développeurs de ces applis et objets vantent la sécurisation du consommateur. Pour ma part, l’idée d’analyser le nombre de calories ingérées à chaque repas ou la qualité de mon caca du matin me crispe. Vraiment. Et ce, sans compter le possible détournement commercial et profilactique des données ainsi recueillies.
Côté cul, on n’est pas en reste. Tandis que les pornos en oculus rift font leur apparition, le premier robot « baisable » vient d’être commercialisé. Même si ces nouveautés manquent encore de réalisme, et sont parfois même vraiment awkward (franchement, qui voudrait faire l’amour à Roxxxy ?), elles annoncent un tournant majeur de la sexualité. Le corps, dans ce qu’il a de plus intime, se trouve vidé de sa substance charnelle pour ne devenir qu’une projection virtuelle du désir.
Le sexe perdra même sa fonction reproductrice, puisque les futurologues s’accordent à penser que la fertilisation in vitro is the new black. Du coup, plus besoin de mettre papa dans maman pour procréer. Et possibilité nouvelle de bidouiller les gènes de nos chères têtes blondes, comme c’est déjà le cas en Chine. Il est donc très probable que nos petits seront biologiquement augmentés : QI plus élevé, suppression de maladies et anomalies génétiques, voire choix parental de telle ou telle pigmentation de la peau ou couleur des yeux (oui oui, comme dans les Sims).
On dirait donc bien qu’un eugénisme qui ne dit pas son nom est en marche (Himmler likes this!). À l’arrivée, des humains toujours plus performants, productifs et prévisibles.
Le bilan de ces prédictions sur le futur du corps est donc mitigé. Si les métamorphoses qui s’annoncent ont un côté innovant et protéiforme assez excitant, elles n’en sont pas moins terriblement radicales, et soulèvent beaucoup, beaucoup de questions.
Ces mutations se développent très vite, trop vite pour qu’on puisse mesurer l’ampleur des transformations sociales, environnementales, individuelles qu’elles ne manqueront pas de provoquer. D’autre part, elles risquent fort de mener à des inégalités dramatiques, puisqu’elles ne sauront se démocratiser à travers le globe. Du moins, pas de la même manière, ni à la même vitesse dans l’ensemble des régions du monde. Enfin, elles reflètent une perception de soi par l’homme pour le moins inquiétante. Course à la dématérialisation, exigence de performance, refus de la défaillance et du vieillissement… On ne peut que constater le rejet radical du corps dans ce qu’il a de plus sensible, de plus substantiel. C’est la chair comme attache à la réalité matérielle soumise au hasard, à la contingence, à l’erreur dont on ne veut plus. On est donc en train de faire basculer la norme de ce qui caractérise le plus grand nombre et est admis par tous à un modèle de perfection fantasmé de ce que devrait pouvoir l’homme indépendamment de sa propre nature.
En même temps, cette réaction fait carrément sens dans le contexte actuel. Face à un avenir sombre marqué par l’urgence climatique, les conflits régionaux et l’échec du progrès technique et des modèles politiques contemporains, l’inquiétude et le sentiment d’impuissance dominent. Et ce sont eux qui nous poussent à vouloir nous débarrasser de la fatalité, de l’incertitude, de l’aléa… Bref, à reprendre le contrôle sur notre environnement et sur nous-mêmes.
Mais certains éléments nous permettent d’éclaircir ce constat bien sombre. Déjà, parce que la virtualité n’est pas à condamner en bloc : elle nous permet la création de toutes pièces de nouveaux horizons à explorer, inexistants sans elle.
C’est dans cette optique que Neil Harbisson, artiste catalan, a développé son cyborgisme. Atteint d’une maladie de la vue qui le privait de la vision des couleurs, il a travaillé pendant des années à la mise au point d’un capteur qui lui retransmet les fréquences lumineuses colorées en fréquences sonores directement à travers un implant intracrânien. Et le résultat est carrément bluffant : non seulement il perçoit la couleur aussi bien que toi et moi, mais il a aussi accès à l’infrarouge et à l’ultraviolet que, pour le coup, ni toi ni moi ne pourrions imaginer.
Peut-être que c’est là que se trouve la clé de la réussite du futur du corps. Dans une expérimentation créatrice qui redéfinit le rapport à soi et au monde. Dans une volonté de découverte mesurée et éthique. Bref, dans un transhumanisme éclairé.
Par Juliette Payrard